2009-02-06
Deux Japonais se croisent dans la rue. Le premier demande « Alors, c’était bien ton voyage à Paris ? ». Le second de répondre « Je ne sais pas, je n’ai pas encore regardé la vidéo. ».
http://pdphoto.org/PictureDetail.php?mat=pdef&pg=6441
Cette petite blague me faisait bien rire il y a une vingtaine d’années lorsque j’usais le fond de mes bermudas sur les bancs de l’école. Mais force est de constater que, une fois de plus, les Japonais était tout simplement en avance sur nous.
Je viens de lire un article (traduction française) qui détaille une position que je soutiens depuis fort longtemps : à force de se concentrer à tenter de partager ou de fixer les évènements que l’on vit, on en oublie de les vivre tout court.
http://pdphoto.org/PictureDetail.php?mat=pdef&pg=6912
je soutiens depuis fort longtemps
Combien de moments importants, de concerts démentiels sont à présent vus à travers l’écran d’un téléphone portable ? Combien d’émotions ont été diluées en tentant de les retranscrire en un court SMS ?
Il fût une époque où l’on rentrait de trois semaines d’aventures au fin fond de l’Inde avec une voire deux pellicules de trente-six photos chacune. Et là, mystère, il fallait attendre un jour ou deux afin de voir enfin le résultat, résultat dont on collait les 80% non flous dans un album.
Aujourd’hui, le moindre barbecue avec tonton René génère à peu près 184 photos en deux heures, chacune des photos étant aussitôt commentée par tous les participants. On passe finalement plus de temps à regarder les photos de l’événement qui est en train de se dérouler.
– Aha ! Excellent ! La tête que tu fais !
– Montre ! Fais voir !
– Tiens, appuie là.
– Quelle horreur. Efface tout de suite.
– Ah non, elle est bien. Au fait, tiens, j’ai encore les photos de hier soir, tu veux voir ?
http://pdphoto.org/PictureDetail.php?mat=pdef&pg=6267
Et le pire c’est que tout cela induit une dépendance, une pression psychologique énorme. Il devient nécessaire d’avoir à tout moment un appareil photo, de pouvoir envoyer un sms sur twitter. Le photographe est en permanence soumis à la peur de manquer « la » photo, « le » truc à ne pas rater. La vie en devient un prétexte à prendre des photos !
Et, soyons honnête, personne ne regarde plus ces photos. Si il est bien agréable d’avoir quelques photos pour décorer son bureau et ses murs, visionner plusieurs centaines de photos devient un véritable calvaire pour votre entourage. Certes, Tombouctou c’est intéressant, mais après 84 photos en gros plan des légumes du marché local, on commence à se lasser…
Personnellement, j’aime beaucoup la photographie. J’ai eu la chance d’être formé très jeune aux subtilités techniques de cet art. Et même les bêtes photos de vacances sont agréables à parcourir de temps en temps. Du moins, quand il y en a quelques unes. Étouffé sous la quantité, les souvenirs photographiques deviennent un poids plutôt qu’autre chose. Lorsque vous vous plaignez de Tatie Irène qui vous raconte ses souvenirs de la guerre 40 avec deux photos en noir et blanc de la libération, ayez une touche de compassion pour vos propres petits enfants qui vont hériter de disques durs remplis de vos soirées arrosées et d’image de Tommy qui vomit dans les toilettes lors du voyage à Madrid. Avec la disparition des pensions et l’effet de serre, les soirées photos sont assurément un des pires cauchemars qui attendent les générations futures.
Personnellement, j’ai pris il y a déjà quelques années une décision simple : je n’ai pas d’appareil photo. J’en emprunte un lorsque l’occasion se prête à prendre des photos mais, en temps normal, je ne prends tout simplement pas de photos. J’aime bien la photographie mais, tant pis, ce sera pour une autre vie. Je me remplis les yeux et lorsque je veux me rappeler d’un moment particulier, je sors mon carnet et je prend note. Un appareil photo composé de quelques feuilles et d’un stylo, c’est ma manière à moi de faire un geste pour les générations futures…
Ploum faisant une fleur à la nature
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