2024-09-23
L’écrivain de SF John Scalzi réagit au fait que certaines personnes semblent faire de lui une idole, surtout depuis que Neil Gaiman est accusé d’agressions sexuelles. Son argument principal : tous les humains sont imparfaits et vous ne devriez prendre personne pour idole. Et surtout pas ceux qui le souhaitent.
Please Don’t Idolize Me (or Anyone, Really) (whatever.scalzi.com)
Ce qui est intéressant, ce que nous avons tendance à idéaliser les personnes que nous suivons en ligne et qui font des choses que nous aimons. Je ne suis pas le millionième de John Scalzi, mais, à mon échelle, j’ai constaté parfois certaines réactions effrayantes. Comme lorsqu’un lecteur qui me rencontre s’excuse auprès de moi d’utiliser un logiciel propriétaire.
Mais bon sang, j’utilise aussi des logiciels propriétaires. Je lutte pour le logiciel libre, mais je ne suis (heureusement) pas Richard Stallman. Je cède comme tout le monde à la praticité ou à l’effet de réseau. C’est juste que j’essaye de conscientiser, de dénoncer la pression sociale. Mais, comme tout le monde, je suis très imparfait. Lorsque j’écris sur mon blog, c’est à propos de l’idéal que je souhaite atteindre au moment où j’écris, pas ce que je suis. Retenez également qu’un idéal n’est pas censé être atteint : il n’est qu’un guide sur le chemin et doit pouvoir être changé à tout moment. Un idéal gravé dans le marbre est morbide. Ceux qui vous font miroiter un idéal sont souvent dangereux.
D’une manière générale, les combats d’une personne sont très révélateurs de son obsession. Les homophobes sont souvent des homosexuels refoulés. Les scandales sexuels touchent le plus souvent ceux qui ont une image publique de rigueur. Personnellement, je parle beaucoup des dangers de l’addiction aux réseaux sociaux. Je vous laisse deviner pourquoi le sujet m’obsède à ce point…
Je me reconnais également dans ce que Scalzi raconte au sujet des conventions et des conférences : tout le monde le trouve sympa et puis, en rentrant chez lui, il s’écroule et s’enferme dans sa solitude. Je fais exactement pareil. J’ai un personnage public très différent du Ploum privé. Ma femme déteste le Ploum public : « Tu es plus sympa avec tes lecteurs qu’avec ta propre famille ! ».
Je déteste également cette propension à sur analyser la perfection d’un individu, surtout à travers ses supposés liens sociaux. Combien de fois n’ai-je pas entendu que « Tu as partagé ce texte de machin, mais sais-tu que machin a lui-même partagé des textes de untel et que untel est en fait très limite au niveau de l’antisémitisme ? »
Réponse : non, je ne le sais pas. Et je n’enquête pas sur toutes les personnes qui publient parce que toutes, sans exception, ont leurs zones d’ombre, leurs erreurs de jeunesse, leurs œuvres qui appartiennent à une époque, mais ne sont plus du tout acceptables aujourd’hui.
Personne n’est parfait. Si je partage un texte, c’est pour le texte. Parce qu’il me parle et je le trouve intéressant. Le contexte peut parfois apporter une compréhension plus fine, mais je ne veux et ne peux pas juger les individus sur leur passé, leurs agissements ou toute information que je peux entendre sur eux. Je ne suis pas juge. Je ne condamne ni ne cautionne qui que ce soit en partageant des œuvres.
Si vous jugez les gens, je suis certain que, dans les 900 billets de ce blog, s’en trouve au moins un qui vous choquera et me condamnera définitivement à vos yeux. Oui, Bertrand Cantat est un con coupable de féminicide. Oui, j’adore et j’écoute Noir Désir presque tous les jours.
Paul Watson a été arrêté. Depuis des années, il est accusé d’écoterrorisme.
Paul Watson, le fondateur de Sea Shepherd arrêté au Danemark (contre-attaque.net)
J’ai tant à dire, mais, pour ne pas me répéter, je vous invite à relire ce que j’avais écrit suite à la lecture de son livre.
Lectures : utopies, écologie, pirates et meta-bullshit (ploum.net)
Oui, Paul Watson est copain avec Brigitte Bardot qui est elle-même copine avec Jean-Marie Le Pen qui est un gros con. Il n’empêche que je soutiens le combat de Paul Watson pour préserver les océans. Ce combat me semble juste et important. J’ai l’impression que Paul Watson défend réellement les intérêts de la faune marine. Je peux évidemment me tromper, mais c’est ma position aujourd’hui.
J’insiste sur le sujet, car, comme je vous l’ai dit, j’ai lu le livre de Paul Watson et ne peux que constater que les médias déforment complètement des propos ou des passages dont je me souviens particulièrement.
Dans la même veine, la professeure Emily Bender décrit comment ses propos ont été déformés sur la BBC pour transformer son discours "démystification de chatGPT" en "l’AI c’est le futur".
Correcting the Record (buttondown.com)
J’ai un jour vécu une expérience similaire. Une télévision belge voulait m’interviewer sur un sujet d’actualité informatique. Le rendez-vous était fixé et le journaliste m’appelle une heure avant pour préparer son sujet. Au téléphone, il me pose quelques questions. Je réponds et il rephrase mes réponses de manière à dire exactement l’inverse. Je crois à une incompréhension. Je lui signale. Il insiste. Le ton monte légèrement.
– Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit. C’est même exactement l’inverse.
— Mais moi j’ai besoin de quelqu’un qui dise cela.
— Mais c’est faux. Je suis l’expert et c’est que vous voulez dire est complètement faux.
— C’est trop tard, tout notre sujet a été préparé en ce sens, il faudra adapter votre discours.
— Si vous savez déjà ce que vous voulez que je dise, vous n’avez pas besoin de m’interviewer. Au revoir.
Je n’ai plus jamais eu de nouvelles de ce journaliste ni même de cette chaîne.
Méfiez-vous de ce que disent les experts dans les médias. Parfois, le désir de passer à la télévision est plus fort que le souci de véracité. Parfois, on s’autojustifie en disant "au moins, on va faire passer un message dans le bon sens même s’il est un peu falsifié". Mais le montage final, l’englobage dans un sujet plus large ou la musique d’ambiance déformeront définitivement les propos.
Dès que vous connaissez un peu un domaine, vous vous rendez compte que tout ce qui est dit est dans les médias grand public est complètement faux. À un tel point qu’un article qui est vaguement juste est souvent souligné par les experts du domaine. C’est tellement rare !
Souvenez-vous-en à chaque fois que vous lisez un article dans un média grand public : ce que vous lisez est complètement faux, mensonger et a été écrit par une personne qui ne comprend rien au domaine et est payé pour générer du clic sur les publicités.
Un exemple qui illustre très bien cela sont ces fameuses « zones bleues », des régions d’Italie, de Grèce ou du Japon où pulluleraient les supercentenaires. Les médias parlent souvent de ces régions où vivre jusque 110 ans semble être la norme, avec des articles qui vantent l’huile d’olive ou la vie rurale en communauté, le tout illustré par de souriants vieillards assis sur un banc au soleil.
Et bien le professeur Saul Justin Newman vient de percer le secret de ces zones bleues et d’obtenir pour cela le prix « Ig Nobel » (un prix qui récompense les recherches les plus absurdes).
Pourquoi un Ig Nobel ? Parce qu’il a découvert que le secret de ces zones est tout simplement que 80% des supercentenaires sont… morts. Les autres n’ont pas de certificats de naissance.
Ces « zones bleues » sont souvent les régions où tout semble encourager et faciliter la fraude à la pension.
Je vous parie que cette recherche restera confidentielle. Les médias continueront à nous vanter l’huile d’olive pour vivre jusqu’à 110 ans et nous parler du « mystère » des zones bleues. Parce que la réalité n’est pas intéressante dans un programme de divertissement à vocation publicitaire.
Comme le disait Aaron Swartz: je déteste les actualités !
I Hate the News (Aaron Swartz's Raw Thought) (www.aaronsw.com)
Un excellent article de Dave Karpf qui m’apprend que Sam Altman, l’actuel CEO derrière ChatGPT, était dans l’incubateur de startup YCombinator en même temps qu’Aaron Swartz. Sur la photo de 2007, ils sont littéralement épaule contre épaule. La photo m’a arraché une larme de tristesse et une autre de colère.
Aaron Swartz, Sam Altman and Paul Graham in YCombinator 2007
Paul Graham and the Cult of the Founder (davekarpf.substack.com)
Aaron Swartz voulait libérer la connaissance. Il avait créé un script pour télécharger, à travers le réseau de son université, des milliers d’articles scientifiques. Soupçonné de le faire afin de les rendre publics illégalement, il a été poursuivi en justice et risquait… des décennies de prison ce qui l’a poussé au suicide. Notez qu’il n’a finalement jamais rendu ces articles publics, articles financés par les contribuables, soit dit en passant.
Aujourd’hui, Sam Altman aspire un milliard de fois plus de contenu. Tous les contenus artistiques, tous vos messages, tous vos emails et, bien sûr, tous les articles scientifiques. Mais, contrairement à Aaron, qui le faisait pour libérer la connaissance, Sam Altman a un motif beaucoup plus correct. Il veut gagner de l’argent. Et donc… c’est acceptable.
Je n’invente rien, c’est réellement l’argument de Sam Altman.
OpenAI Pleads That It Can’t Make Money Without Using Copyrighted Materials for Free (futurism.com)
On enferme les militants écolos, les défenseurs de baleines. On décore les CEO des grosses entreprises qui détruisent la planète le plus vite possible. En fait, je crois que je commence à voir comme une sorte de fil rouge…
Le problème, comme le souligne Dave Karpf, c’est qu’YCombinator est rempli de gens qui rêvent et veulent devenir… comme Sam Altman. Devenir un rebelle qui se suicide ou qui est envoyé en prison ne fait envie à personne.
À un moment de ma vie, baigné dans l’environnement « startups », j’ai moi-même essayé de devenir un « entrepreneur à succès ». Intellectuellement, je comprenais tout ce qu’il fallait faire pour y arriver. Je me disais « Pourquoi pas moi ? ». Mais je n’y arrivais pas. Je n’étais pas capable d’accepter ce qui ne me semblait pas juste ou parfaitement moral. Peut-être que je partage un peu trop de points de communs avec Aaron Swartz (surtout les défauts et les spécificités alimentaires, un peu moins le génie).
Et bien tant pis pour le succès. Aaron, chaque fois que je pense à toi, les larmes me montent aux yeux et j’ai envie de me battre. Tu me donnes l’énergie pour tenter de changer le monde avec mon clavier.
Je n’espère pas y arriver. Mais je n’ai pas le droit d’abandonner.
Dave, dans ton article tu te plains que tout le monde veut devenir Sam Altman. Moi pas. Moi plus. J’ai grandi, j’ai muri. Je veux (re)devenir un disciple d’Aaron Swartz. Lui, je peux en faire un modèle, une idole, car il n’a pas eu la chance de vivre assez longtemps pour développer ses zones d’ombre, pour devenir un vieux con.
Un vieux con comme celui vers lequel l’entropie cérébrale me pousse chaque jour un peu davantage.
Faut dire que pour taper ses billets de blog dans Vim et ses romans sur une machine à écrire mécanique, faut vraiment être un vieux con…
Je réalise d’ailleurs que les héros de mon prochain roman sont une jeune rebelle et un vieux con. En fait, c’est pas si mal de devenir un vieux con rebelle… (sortie le 15 octobre, vous pouvez déjà commander dans votre librairie l’EAN 9782889790098)
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