2024-06-11
Lors d’une conversation avec Lionel, mon éditeur, j’ai un jour dit que j’aurais aimé vivre lors de « l’âge d’or de la SF », cette fameuse période des années 50 durant laquelle n’importe quel aspirant auteur pouvait envoyer ses nouvelles aux fameux magazines pulps et se retrouver publié entre Poul Anderson et Frederik Pohl tandis qu’Isaac Asimov passait ses soirées à rigoler avec Lyon Sprague de Camp et Lester del Rey.
La réponse de Lionel fut immédiate :
— Tu es peut-être en train de vivre ce qui, pour les prochaines générations, sera perçu comme un âge d’or.
De retour des caves de Pesmes (voir photo) et de son festival « Si l’imaginaire m’était Comté » où nous avons fêté les 10 ans de la maison d’édition PVH, je repense à cette réponse. Simple. Évidente. Digne de l’historien de formation qu’est Lionel.
Et je ne veux qu’agréer à la chance que j’ai de connaître une forme d’âge d’or. Ou, du moins, de la tentative que nous faisons pour le créer.
Après 10 ans d’efforts, les livres de PVH sont désormais disponibles dans toutes les librairies de Suisse, de France et de Belgique. La qualité et l’attention portée au détail, notamment dans la collection Ludomire, sont particulièrement appréciées des critiques et des lecteurs.
Dans cette collection, « L’Héritage des Sombres » de Pascal Lovis est déjà devenu un best-seller et un classique de la fantasy suisse. La saga One Minute, de Thierry Crouzet, est un ovni littéraire qui bouleverse les codes de la SF. « Sortilèges et Syndicats », de Gee, est pressenti pour participer au prix littéraire Grolandais. Mon propre recueil de nouvelles « Stagiaire au spatioport Omega 3000 » est, d’après Wikipédia, le premier livre disposant d’une piste cachée (un truc que les moins de vingt ans ne peuvent pas comprendre).
La collection Ludomire est particulière, car elle est, à ma connaissance, la première collection de littérature de l’imaginaire entièrement sous licence libre (CC By-SA). Les auteurs qui rejoignent la collection sont obligés, par contrat, de libérer leur œuvre. À travers le programme print@home, les lecteurs ont été encouragés à télécharger et imprimer chez eux des exemplaires de mon roman Printeurs puis de tous les autres de la collection.
Libération de la collection Ludomire (pvh-editions.com)
La licence libre ouvre également des portes vers des pays qui sont peu ou pas approvisionnés par les circuits de distribution classiques. PVH travaille notamment avec le Sénégal et la république démocratique du Congo. Et si, plutôt que de transporter des tonnes de papiers sur des milliers de kilomètres, on permettait à chaque pays de faire sa propre impression des œuvres ? La licence libre le permet !
GNU/PVH, Ploum et Lionel dans une librairie, avec t-shirt GNU jaune et un polo mauve PVH
La liberté facilite la diffusion, l’adaptation et notamment les traductions. « À l’orée de la ville », le (trop) court roman cyberpunk d’Allius sera bientôt diffusé en italien !
Libérer les livres, c’est très bien. Les vendre à travers une plateforme libre, c’est encore mieux. C’est pourquoi PVH a développé sa propre plateforme de vente sous licence libre : be-BOP.
be-BOP a pour objectif de libérer les commerçants, les créateurs, les associations des plateformes centralisées comme Patreon, Ulule voire VISA et Mastercard grâce à la possibilité de payer en espèce, virements ou bitcoins.
be-BOP, l’outil de monétisation des communautés
Grâce à l’incroyable énergie de Christophe Gérard, auteur de « La légende du bretteur qui se battait pour un petit pois », le tout premier livre publié par PVH, be-BOP est devenu une plateforme multifonction. À la fois CMS pour réaliser un site de commerce en ligne, mais également plateforme autohébergée permettant le crowdfunding, les abonnements, l’achat en direct comme logiciel de caisse, la comptabilité, la facturation. Be-BOP supporte même la gestion des tables et des tickets d’un restaurant !
Que vous achetiez les livres sur le site PVH ou dans un salon, vous passez désormais par be-BOP et sa licence AGPLv3.
Tout comme la libération de la collection Ludomire, l’objectif de be-BOP est double : libérer les outils de l’économie de la création et rendre celle-ci accessible au plus grand nombre. À travers des expériences au Salvador et au Sénégal, PVH a été confronté au fait que disposer d’un compte en banque et d’une carte de crédit est loin d’être la norme et ne devrait en aucun cas être une condition d’accès à la culture. Dans certaines régions, s’affranchir du système bancaire fait toute la différence !
Tenter de faire revivre les mondes de l’imaginaire, créer une culture libre, créer des outils économiques libres. Je ne sais pas si l’histoire jugera qu’il s’agit d’un nouvel âge d’or au cours duquel Ploum emmenait Pascal Lovis et Sara Schneider se baigner sous la pluie dans l’Onion (je vous passe les innombrables jeux de mots de Pascal), où Ploum et Bruno Leyval rivalisaient à qui ronflerait le plus fort. En fait, je ne sais pas si l’histoire retiendra quoi que ce soit.
Nos tentatives paraissent parfois dérisoires face aux monstres commerciaux qui imposent aux libraires la présence de 50 exemplaires de chaque nouveauté en tête de gondole.
Mais, au moins, nous essayons de proposer une alternative : la liberté et l’originalité. Et nous continuerons d’essayer, de toutes nos forces.
Mon prochain roman sortira en septembre/octobre aux éditions PVH (mais pas dans la collection Ludomire, je vous laisse la surprise). C’est un roman univers et les discussions vont déjà bon train pour l’adapter en jeu de rôle. Les premiers lecteurs rêvent également de le voir adapté en bande dessinée (si un dessinateur accroche à l’intrigue).
Car tout ce que nous créons avec PVH n’aurait aucun sens s’il n’y avait pas vous, les lecteurs. Des lecteurs qui peuvent s’approprier la culture libre, l’adapter, la partager autour d’eux ou sur des blogs. Des lecteurs qui viennent discuter lors des salons et des séances de dédicaces. Comme ce couple dont la fille a été baptisée en l’honneur d’une héroïne de Sara Schneider. Où ces lecteurs de mon blog, qui m’avouent préférer les versions epub pirates, ce que j’encourage fortement ! C’est d’ailleurs le défaut des licences libres : les versions pirates n’en sont plus vraiment, ce qui enlève un peu le sel du téléchargement sur libgen.rs.
Et puis il y a les libraires, qui partagent notre passion, qui mettent en valeur un livre de la collection où nous accueillent pour une dédicace, qui font vivre la littérature de l’imaginaire malgré son caractère désormais démodé et peu rentable. Si vous ne piratez pas vos livres, s’il vous plait, tentez de vous les procurer chez un libraire indépendant ! Leur apport à la culture est essentiel.
Je suis baigné dans un maelstrom d’auteurs, d’artistes de tout poil, d’éditeur, d’intellectuels, de blogueurs que je croise dans les trains, de programmeurs, de rôlistes, de geeks, de lecteurs de ce blog avec qui j’échange régulièrement. Je rencontre des personnes de tous les horizons qui partagent mes passions pour l’imaginaire et la liberté. Qui partagent souvent mes colères. Qui, parfois, deviennent des amis.
Peut-être que ce n’est pas un nouvel âge d’or. Ce n’est certainement pas un nouvel âge d’or.
Mais, pour moi, grâce à vous tous, ça y ressemble vachement.
Et c’est peut-être tout ce qui compte…
Alors merci ! Merci d’en faire partie et, chacun·e à votre manière, de le faire exister.
----
Email:
permalinks: