2019-06-14
Le terrorisme a toujours été une invention politique d’un pouvoir en place. Des milliers de personnes meurent chaque année dans des accidents de voiture ou en consommant des produits néfastes pour la santé ? C’est normal, ça fait tourner l’économie, ça crée de l’emploi. Qu’un fou suicidaire trucide les gens autour de chez lui, on parle d’un désaxé. Mais qu’un musulman sorte un couteau dans une station de métro et on invoque, en boucle sur toutes les chaines de télévision, le terrorisme qui va faire camper des militaires dans nos villes, qui va permettre de passer des lois liberticides, de celles qui devraient attirer l’attention de n’importe quel démocrate avisé.
La définition de terrorisme implique qu’il est une vue de l’esprit, une terreur entretenue et non pas une observation rationnelle. On nous parle de moyens, de complicités, de financement. Il s’agit juste d’une tactique pour obnubiler nos cerveaux, pour activer le mode conspirationniste dont notre système neuronal ne sait malheureusement pas se défaire sans un violent effort conscient.
Car si le pouvoir et les médias inventent le terrorisme, c’est avant tout parce que nous sommes avides de combats, de sang, de peur, de grandes théories complexes. La réalité est bien plus prosaïque : un homme seul peut faire bien plus de dégâts que la plupart des attentats terroristes récents. J’irais même plus loin ! Je prétends qu’à quelques exceptions près, le fait d’agir en groupe a desservi les terroristes. Leurs attentats sont nivelés par le bas, leur bêtise commune fait obstacle à la moindre lueur de lucidité individuelle. Je ne parle pas en l’air, j’ai décidé de le prouver.
Il est vrai que les panneaux m’ont coûté un peu de temps et des allers-retours au magasin de bricolage. Mais je n’étais pas mécontent du résultat. Trente panneaux mobiles reprenant les consignes de sécurité antiterrorisme : pas d’armes, pas d’objets dangereux, pas de liquides. En dessous, trois compartiments poubelles pour faire du recyclage et qui servent également de support.
Dans ce socle, bien caché, un dispositif électronique très simple avec une charge fumigène. De quoi faire peur sans blesser.
Il m’a ensuite suffi de louer une camionnette de travaux à l’aspect vaguement officiel pour aller déposer, vêtu d’une salopette orange, mes panneaux devant les entrées du stade et des différentes salles de concert de la capitale.
Bien sûr que je me serais fait arrêter si j’avais déposé des paquets mal finis en djellaba. Mais que voulez-vous dire à un type bien rasé, avec une tenue de travail, qui pose des panneaux informatifs avec le logo officiel de la ville imprimé dessus ? À ceux qui posaient des questions, j’ai dit qu’on m’avait juste ordonné de les mettre en place. Le seul agent de sécurité qui a trouvé ça un peu bizarre, je lui sortis un ordre de mission signé par l’échevin des travaux. Ça l’a rassuré. Faut dire que je n’ai même pas imité la signature : j’ai repris celle publiée dans un compte-rendu du conseil communal sur le site web de la ville. Mon imprimante couleur a fait le reste.
D’une manière générale, personne ne se méfie si tu ne prends rien. J’apporte du matériel qui coûte de l’argent. Je ne peux donc pas avoir inventé ça tout seul.
Mes trente panneaux mis en place, je suis passé à la seconde phase de mon plan qui nécessitait un timing un peu plus serré. J’avais minutieusement choisi mon jour à cause d’un match international important au stade et de plusieurs concerts d’envergure.
Si j’avais su… Aujourd’hui encore je regrette de ne pas l’avoir fait un peu plus tôt. Ou plus tard. Pourquoi en même temps ?
Mais n’anticipons pas. M’étant changé, je me rendis à la gare ferroviaire. Mon billet de Thalys dument acheté en main, je gagnai ma place et, saluant ma voisine de travée, je mis mon lourd attaché-caisse dans le porte-bagage. Je glissai aussi mon journal dans le filet devant moi. Consultant ma montre, je remarquai à haute voix qu’il restait quelques minutes avant le départ. D’un air innocent, je demandai où se trouvait le wagon-bar. Je me levai et, après avoir traversé deux wagons, sortis du train.
Il n’y a rien de plus louche qu’un bagage abandonné. Mais si son propriétaire est propre sur lui, porte la cravate, ne montre aucun signe de nervosité et laisse sa veste sur le siège, le bagage n’est plus abandonné. Il est momentanément déposé. C’est aussi simple que cela !
Pour la beauté du geste, j’avais calculé l’emplacement idéal pour mettre mon détonateur et acheté ma place en conséquence. J’ai ajouté une petite touche de complexité : un micro-ordinateur avec un capteur GPS qui déclencherait mon bricolage au bon moment. Ce n’était pas strictement nécessaire, mais en quelques sortes une cerise technophile sur le gâteau.
Je ne voulais que faire peur, uniquement effrayer ! La coïncidence est malheureuse, mais pensez que j’avais été jusqu’à m’assurer que mon fumigène ne produirait pas la moindre déflagration susceptible d’être interprétée comme un coup de feu ! Je voulais éviter une panique !
En sortant de la gare, j’ai sauté dans la navette à destination de l’aéroport. Je me faisais un point d’honneur à parachever mon œuvre. Je suis arrivé juste à temps. Sous le regard d’un agent de sécurité, j’ai mis dans la poubelle prévue à cet effet des bouteilles en plastique qui contenait mon dispositif. C’était l’heure de pointe, la file était immense.
Je n’ai jamais compris pourquoi les terroristes cherchaient soit à s’introduire dans l’avion, soit à faire exploser leur bombe dans la large zone d’enregistrement. Le contrôle de sécurité est la zone la plus petite et la plus densément peuplée à cause des longues files. Renforcer les contrôles ne fait que rallonger les files et rendre cette zone encore plus propice à un attentat. Quelle absurdité !
Paradoxalement, c’est également la seule zone où abandonner un objet relativement volumineux n’est pas louche : c’est même normal et encouragé ! Pas de contenant de plus d’un dixième de litre ! Outre les bouteilles en plastique, j’ai pris une mine dépitée pour mon thermo bon marché. Le contrôleur m’a fait signe d’obtempérer. C’est sur son ordre que j’ai donc déposé le détonateur dans la poubelle, au beau milieu des files s’entrecroisant.
J’ai appris la nouvelle en sirotant un café à proximité des aires d’embarquement. Une série d’explosions au stade, au moment même où le public se pressait pour entrer. Mon sang se glaça ! Pas aujourd’hui ! Pas en même temps que moi !
Les réseaux sociaux bruissaient de rumeurs. Certains parlaient d’explosions devant des salles de concert. Ces faits étaient tout d’abord démentis par les autorités et par les journalistes, me rassurant partiellement. Jusqu’à ce qu’une vague de tweets me fasse réaliser que, obnubilées par les explosions du stade et par plusieurs centaines de blessés, les autorités n’étaient tout simplement pas au courant. Il n’y avait plus d’ambulances disponibles. Devant les salles, les mélomanes aux membres arrachés agonisaient dans leur sang. Le réseau téléphonique était saturé, les mêmes images tournaient en boucle, repartagées des milliers de fois par ceux qui captaient un semblant de wifi.
Certains témoignages parlaient d’une attaque massive, de combattants armés criant « Allah Akbar ! ». Des comptes-rendus parlaient de militaires patrouillant dans les rues et se défendant vaillamment. Les corps jonchaient les pavés, même loin de toute explosion. À en croire Twitter, c’était la guerre totale !
Il parait qu’en réalité, seule une quarantaine de personnes ont été touchées par les coups de feu des militaires apeurés. Et que ce n’est qu’à un seul endroit qu’une personne armée, se croyant elle-même attaquée, a riposté, tuant un des militaires et entrainant une riposte qui a fait deux morts et huit blessés. Le reste des morts et des blessés hors des sites d’explosion serait dû à des mouvements de panique.
Mais la présence des militaires a également permis de pallier, dans certains foyers, au manque d’ambulance. Ils ont prodigué les premiers soins et sauvé des vies. Paradoxalement, ils ont dans certains cas soigné des gens sur lesquels ils venaient de tirer.
Encore heureux que les armes de guerre qu’ils trimbalaient ne fussent pas chargées. Une seule balle d’un engin de ce calibre peut traverser plusieurs personnes, des voitures, des cloisons. La convention de Genève interdit strictement leur usage en dehors des zones de guerre. Elles ne servent que pour assurer le spectacle et une petite rente aux ostéopathes domiciliés en bordure des casernes. En cas d’attaque terroriste, les militaires doivent donc se défaire de leur hideux fardeau pour sortir leurs armes de poing. Qui n’en restent pas moins mortelles.
J’étais blême à la lecture de mon flux Twitter. Autour de moi, tout le monde tentait d’appeler la famille, des amis. Je crois que le déraillement des deux TGVs est quasiment passé inaperçu au milieu de tout ça. Exactement comme je l’avais imaginé : une déflagration assez intense dans un wagon, à hauteur des bagages, calculée pour se produire au moment où le train croisait la route d’un autre. Relativement, les deux rames se déplaçaient à 600km/h l’une par rapport à l’autre. Il n’est pas difficile d’imaginer que si l’une vacille sous le coup d’une explosion et vient toucher l’autre, c’est la catastrophe.
Comment s’assurer de l’explosion au bon moment ?
Je ne sais pas comment les véritables terroristes s’y sont pris, mais, moi, de mon côté, j’avais imaginé un petit algorithme d’apprentissage qui reconnaissait le bruit et le changement de pression dans l’habitacle lors du croisement. Je l’ai testé une dizaine de fois et je l’ai couplé à un GPS pour délimiter une zone de mise à feu. Un gadget très amusant. Mais ce n’était couplé qu’à un fumigène, bien sûr.
C’est lorsque l’explosion a retenti dans l’aéroport que je fus forcé d’écarter un simple concours de circonstances. La coïncidence devenait trop énorme. J’ai immédiatement pensé à mon billet de blog programmé pour être publié et partagé sur les réseaux sociaux à l’heure de la dernière explosion. J’y expliquais ma démarche, je m’excusais pour les désagréments des fumigènes et me justifiais en disant que c’était un prix bien faible à payer pour démontrer que toutes les atteintes à nos droits les plus fondamentaux, toutes les surveillances du monde ne pourraient jamais arrêter le terrorisme. Que la seule manière d’éviter le terrorisme est de donner aux gens des raisons pour aimer leur propre vie. Que, pour éviter la radicalisation, les peines de prison devraient être remplacées par des peines de bibliothèque sans télévision, sans Internet, sans smartphone. Incarcéré entre Victor Hugo et Amin Maalouf, l’extrémisme rendrait rapidement son dernier soupir.
Mon blog avait-il été partagé trop tôt à cause d’une erreur de programmation de ma part ? Ou piraté ? Mes idées avaient-elles été reprises par un véritable groupe terroriste qui comptait me faire porter le chapeau ?
Tout cela n’avait aucun sens. Les gens hurlaient dans l’aéroport, se jetaient à plat ventre. Ceux qui fuyaient percutaient ceux qui voulaient aider ou voir la source de l’explosion. Au milieu de ce tumulte, je devais m’avouer que je m’étais souvent demandé ce que donneraient « mes » attentats. J’avais même fait des recherches poussées sur les explosifs en masquant mon activité derrière le réseau Tor. De cette manière, j’ai découvert beaucoup de choses et j’ai même fait quelques tests, mais il ne me serait jamais venu à l’esprit de tuer.
Tout a été planifié comme un simple jeu intellectuel, une manière d’exposer spectaculairement l’inanité de nos dirigeants.
Il est vrai que de véritables explosions seraient encore plus frappantes. Je me le suis dit plusieurs fois. Mais de là à passer à l’acte !
Pourtant, à la lecture de votre enquête, un malaise m’envahit. Je me suis tellement souvent imaginé la méthode pour amorcer de véritables explosifs… Croyez-vous que je l’aie inconsciemment accompli ?
Je ne veux pas tuer. Je ne voulais pas tuer. Tous ces morts, ces images d’horreur. La responsabilité m’étouffe, m’effraie. À quelle ignominie m’aurait poussé mon subconscient !
Jamais je ne me serais senti capable de tuer ne fut-ce qu’un animal. Mais si votre enquête le démontre, je dois me rendre à l’évidence. Je suis le seul coupable, l’unique responsable de tous ces morts. Il n’y a pas de terroristes, pas d’organisation souterraine, pas d’idéologie.
Quand on y pense, c’est particulièrement amusant. Mais je ne suis pas sûr que ça vous arrange. Êtes-vous réellement prêt à révéler la vérité au grand public ? À annoncer que la loi martiale mise en place ne concernait finalement qu’un ingénieur un peu distrait qui a confondu fumigènes et explosifs ? Que les milliards investis dans l’antiterrorisme ne pourront jamais arrêter un individu seul et sont à la base de ces attentats ?
Bonne chance pour expliquer tout cela aux médias et à nos irresponsables politiques, Madame la Juge d’instruction !
Terminé le 14 avril 2019, quelque part au large du Pirée, en mer Égée.Photo by Warren Wong on Unsplash
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