2024-08-05
Si j’apprécie le fait de nager ou de faire un sauna tout nu, le naturisme ne m’avait jamais réellement attiré. Sans juger ceux qui le pratiquaient, je considérais que ce n’était tout simplement pas pour moi.
Jusqu’au jour où un couple d’amis est parti vivre à l’étranger. Depuis trente ans, ils passent toutes leurs vacances dans un centre naturiste. Ils nous ont invités à les rejoindre une semaine.
J’ai tout d’abord rechigné. Mes plus bas instincts patriarcaux, dont j’ignorais jusqu’à l’existence, se sont rebellés à l’idée que mon épouse soit nue au milieu d’étrangers. Mais elle a argué que nous n’aurions plus beaucoup d’opportunités de revoir nos amis, que je n’étais pas obligé de l’accompagner, que ce n’était que quelques jours, qu’au pire, cela ferait une expérience intéressante.
J’ai opposé un mâle refus catégorique. C’est ainsi que, quelques mois plus tard, nous avons débarqué en famille avec armes et (trop de) bagages au sein d’un gigantesque complexe naturiste.
La première chose qui m’a rassuré fut de constater que beaucoup de gens étaient bel et bien habillés. Si la nudité est obligatoire à la plage et à la piscine, le reste du camp est entièrement libre.
Force est de constater que, durant les premières heures, mon regard fut irrémédiablement attiré par ces corps nus marchant, faisant du mini-golf, du vélo ou de la pétanque. Mon esprit y voyait quelque chose d’anormal, de choquant. Moi-même, je ne me déshabillais que pour accéder à la plage.
Et puis, bien plus rapidement que tout ce que j’avais pu imaginer, mon sentiment de normalité a basculé. Ces jeunes, ces vieux, ces vieilles, ces hommes, ces femmes, ces enfants, ces ados, ces gros·ses, ces maigres. Tou·te·s sont devenu un brouillard couleur chair bronzée dans lequel je me mouvais sans avoir à faire attention à ma propre apparence, à l’image que je véhiculais.
Depuis les zones de campings de tentes Décathlon aux larges chalets devant lesquels sont garées des Tesla flambant neuves, le camp naturiste fédère un panaché de catégories sociales. Pourtant, une fois dégagées de l’incontournable apparat des vêtements, les classes ne se distinguent plus. Une sensation d’égalité se dégage.
Très vite, mon propre corps m’est apparu comme parfaitement normal, banal. Ni le plus gros, ni le plus maigre, ni le plus musclé, ni le plus malingre. J’ai acquis la conviction particulièrement reposante qu’il n’intéressait personne. Ce fait est particulièrement important pour les femmes habituées à être reluquées. Mon épouse m’a confié l’étonnant sentiment de confiance de se sentir nue sur la plage avec un respect naturel des hommes. Car, dans un camp naturiste, un homme indélicat ne va pas s’attarder sur un corps comme il peut le faire en temps normal sur un décolleté ou un string. Les corps nus sont la normalité.
Il faut avouer que cette ambiance respectueuse est rendue possible par l’organisation d’une sécurité impressionnante. De jeunes jobistes patrouillent en permanence. Tout comportement indélicat est immédiatement sanctionné et, en cas de récidive, peut mener à l’exclusion.
La liberté de la nudité n’est pas simplement psychologique. Elle est également matérielle. Mon épouse et moi-même avons découvert que nous avions prévu beaucoup trop de linge pour la semaine. Pas de linge, pas de lessive, pas d’usure, pas de besoin de renouveler une garde-robe. Outre l’égalité, la nudité offre une contre-mesure incroyable au consumérisme.
Nous qui ne supportons pas le tabac, nous avons également rarement été aussi peu dérangés par la cigarette. Si certains fument, ils m’ont semblé moins nombreux que dans les endroits que je fréquente habituellement. Philosophiquement, le refus du tabac et le l’alcool font partie des fondements historiques du naturisme. Il est d’ailleurs interdit de fumer sur l’île naturiste du Levant, dans le Var.
Une règle évidente d’un camp naturiste est l’interdiction de prendre des photos sur lesquelles peuvent apparaitre d’autres membres. Cela semble logique, mais cela a un impact profond : l’immense majorité des vacanciers se déplace sans smartphone. Sans poche, c’est d’ailleurs peu pratique. À quelques rares exceptions près, je n’ai vu personne rivé sur son écran durant toutes la semaine. En croisant des bandes d’adolescents qui se retrouvaient ou se déplaçaient, je fus plus frappé par la disparition totale des smartphones que par l’absence de vêtements.
En les voyant faire du surf ou des concours de poirier, la nudité souriante de ces corps élancés m’est apparue comme une métaphore de la déconnexion.
L’une de mes craintes inconscientes avant de pratiquer le naturisme était certainement l’aspect sexuel. Je ne supporte ni le voyeurisme ni l’exhibitionnisme et j’avais peur de me retrouver au milieu d’une population pratiquant une forme douce des deux.
Je m’étais totalement fourvoyé.
Ce n’est pas la nudité qui sexualise. C’est nous qui sexualisons la nudité en la cachant, en la rendant honteuse.
Nous avons tellement peur que nos enfants soient confrontés à la violence de la pornographie en ligne que nous en oublions que c’est l’une des seules occasions durant laquelle ils seront confrontés à la nudité. Le corps est alors irrémédiablement associé au sexe, à la violence, à l’humiliation.
L’hyper sexualisation de la nudité est poussée à l’extrême par les religions qui cherchent à camoufler le corps des femmes. Mais, d’une manière générale, toutes les religions monothéistes rejettent violemment la nudité. En cachant le corps, on génère artificiellement la honte et la violence. On transforme le corps en marchandise tout en soumettant l’esprit aux dictats religieux.
À l’inverse, l’ostentation si prisée par le consumérisme est également délétère. Sur tout le séjour, une seule personne m’a négativement impactée. Une femme sur la plage qui, bien que nue, portait de lourds bracelets aux poignets et aux chevilles, un collier, des lunettes de soleil de marque, un chapeau compliqué. Marchant avec des sandales aux talons surélevés, elle fumait de longues et très fines cigarettes. Il m’a fallu quelques secondes avant de comprendre pourquoi j’avais été choqué. Contrairement aux milliers d’autres naturistes, cette personne mettait sa nudité en scène. Elle perpétuait, probablement sans en être conscient, le jeu capitaliste de la marchandisation des corps. Le fait qu’elle ait été la seule de tout mon séjour à fumer sur la plage n’est probablement pas anodin.
Le souvenir d’un ancien voisin m’est un jour revenu. Il y a quelques années, cet homme, avec qui j’échangeais jusque là de simples « Bonjour », avait commencé à m’injurier en hurlant, en me traitant de malade mental. Il m’avait fallu de longues minutes de palabres pour comprendre qu’il m’avait un jour vu nu dans mon jardin.
Il faut reconnaitre que lorsqu’il faisait nuit noire, persuadé que personne ne pouvait me voir, j’allais parfois me plonger nu dans le bac d’eau qui nous sert de piscine.
Mes explications et excuses n’ont en rien atténué sa colère. Le simple fait que je puisse être nu chez moi m’avait transformé définitivement en monstre abject mentalement dérangé.
Ma brève expérience du naturisme m’a permis de me rendre compte à quel point ce rejet de la nudité est une maladie. Car nous sommes tous nus sous nos vêtements. Nous avons tous un corps. Il n’y a rien de plus naturel que la nudité. Que ce voisin soit entré dans une colère aussi noire pour un événement aussi anodin en dit long sur sa propre haine inconsciente du corps humain.
En rejetant et sexualisant la nudité, nous traumatisons le regard de nos enfants sur leur propre corps, nous générons artificiellement de la violence, de la souffrance, de la honte.
À toutes les personnes qui sont complexées vis-à-vis de leur propre corps, je ne peux que conseiller de passer quelques jours dans un camp naturiste.
Cela demande du courage, c’est réellement étrange. Ce n’est certainement pas pour tout le monde.
Mais c’est un avant-goût d’une liberté que nous avons trop souvent camouflée. C’est un remède contre la marchandisation et la bigoterie qui étouffent nos corps et nos esprits.
Être nu, c’est une lettre d’amour à la vie, à l’humanité. Nues, les personnes sont belles. En se croisant au détour d’une promenade, leurs regards se disent :
« Vous êtes beaux, vous êtes belles ! Décidément, un rien vous habille ! »
Photo par Trougnouf sur wikimedia
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