2024-05-14
Le chant des baleines est-il un langage avec une véritable grammaire et une signification précise ? Ou bien est-ce un chant « musical », émotionnel ? Nous n’en savons encore rien. Et c’est extrêmement difficile d’apprendre leur langage, car nous n’avons pas de conversation. Nous ne faisons que les écouter, nous n’avons aucun point de référence.
Rappelons que les hiéroglyphes égyptiens étaient indéchiffrables alors qu’il s’agissait d’une écriture humaine utilisée moins de 2000 ans auparavant. Nous ne comprenions pas nos propres ancêtres, avec le même cerveau que nous, le même mode de fonctionnement. Il a fallu, pour les déchiffrer, trouver un texte pour lequel nous connaissions la signification (la pierre de Rosette).
Les baleines sont une espèce totalement différente de nous, qui évolue dans un milieu totalement différent du nôtre et les seules interactions que nous avons avec elles, c’est pour les massacrer. Nous accomplissons un génocide, nous exterminons une espèce consciente, intelligente et communicante sans sourciller. Et sans réelle nécessité autre que notre petit confort absurde.
Nous sommes littéralement les mauvais extra-terrestres d’Independance Day ou de Mars Attack. En plus stupide. Car c’est notre propre planète que nous détruisons.
Je profite de la référence SF pour présenter un tout nouveau blog de critiques de Science-Fiction qui me fait l’honneur de parler de mon recueil « Stagiaire au spatioport Omega 3000 »
Stagiaire au spatioport Omega 3000 (lacorporation.fr)
Nous sommes tellement stupides que, lorsque nous nous rendons vaguement compte du mal que nous faisons, nous tentons de nous acheter une conscience en, surtout, ne changeant rien. J’ai reçu un email qui me demandait, littéralement, si j’avais des solutions pour rendre le monde plus écologique, mais sans rien changer.
À ce sujet, Louis Derrac dézingue Écosia, qui le mérite amplement. Le principe d’Écosia c’est de vous montrer des publicités pour vous faire consommer, mais de vous dire que c’est vert parce qu’ils plantent des arbres.
Bref, c’est du bullshit à l’état brut. C’est une arnaque jusqu’au plus profond. Car, comment croyez-vous que l’on plante des arbres de manière industrielle ? C’est très simple : on rase une forêt, on fait une plantation d’arbres que l’on coupe régulièrement pour faire du papier et puis on replante. On génère de cette manière des certificats verts qu’on peut revendre. C’est une des raisons qui fait que les « certificats verts » sont une catastrophe écologique.
Au départ, je croyais qu’Écosia était simplement un truc un peu benêt, fait par des gens pas très malins. Je commence à penser qu’ils sont, en fait, vraiment malhonnêtes et cyniques. Mais également stupide.
Car, comme disait le père Brown, le personnage de G.K. Chesterton :
Être assez intelligent pour gagner autant d’argent implique d’être assez stupide pour le vouloir
D’une manière générale : la publicité est une arnaque. C’est le principe. Il y a vingt ans, la publicité prétendait blanchir votre linge sale. Aujourd’hui c’est votre conscience. Mais c’est toujours un mensonge.
Ce qui me fend le cœur, c’est de voir des personnes hautement impliquées dans l’écologie et les luttes sociales trouver normal de promouvoir à tout prix leur compte Facebook où Instagram. Avec un iPhone parce que ça prend des plus belles photos pour Instagram. Voire dire que « l’informatique ne les intéresse pas » (alors que c’est la base de notre société et de ses rapports de force).
C’est pourquoi je suis content de voir que des initiatives existent désormais pour aider les assocs qui se veulent éthiques à être éthiques également dans le choix de leurs outils.
Associations : les géants du numérique, c’est pas automatique ! (louisderrac.com)
Nous sommes tellement stupides que nous tentons d’optimiser des métriques absurdes en payant ceux qui fournissent ces métriques. Votre manager ne veut pas entendre parler de Mastodon, mais veut que vous intégriez une IA et vous mettiez en avant la page Facebook ?
Parce, comme tout le reste du monde, votre manager est, n’ayons pas peur du mot, stupide, et accroc aux statistiques absurdes. Car la page Facebook permet de voir "le nombre de clics journaliers" et le fameux "reach" de chaque post avec des jolis graphiques et des boutons à cliquer pour augmenter ces statistiques pour seulement quelques euros. Mastodon pas. Peertube, non. Alors, difficile de justifier le boulot sur ces plateformes.
Comment Facebook gagne de l’argent (ploum.net)
Ce comportement, crétin et stupide, est tellement normalisé que c’est une des premières critiques que me disent les particuliers qui n’aiment pas Mastodon et/ou Gemini. Ils n’ont aucun intérêt commercial et pourtant ils se plaignent « de ne pas avoir de statistiques ».
Vous allez probablement me demander en quoi augmenter des statistiques en payant le fournisseur de statistique a une quelconque utilité et peut être considéré comme un succès.
Je suis content que vous posiez la question parce que, justement, les plus grandes entreprises de la planète basent aujourd’hui tout leur business model sur le fait que personne ne la posera jamais.
Le crétinisme ambiant devient particulièrement visible lors des bulles technologiques. Oui, les algorithmes LLMs sont intéressants. Mais non, vous n’en avez pas besoin. Même les utilisateurs les plus enthousiastes de Github Copilot commencent à réaliser qu’ils passent plus de temps à tenter de comprendre ce que le générateur pond plutôt que de l’écrire eux-mêmes. Et, avec candeur, de penser qu’il « suffirait que ça s’améliore juste un peu ».
Did Github copilot really increase my productivity? (trace.yshui.dev)
Viznut, le mec qui a inventé le terme « permacomputing », réfléchit avec finesse sur ce que nous appelons l’intelligence artificielle.
Machine learning is neither good or evil (viznut.fi)
Il en sort des conclusions que je partage totalement : oui, la technologie est fascinante et intéressante. Oui, c’est une pure bulle qui va exploser. Mais il en rajoute une couche : le concept même de prompt est absurde et jette à la poubelle 50 ans de recherche et d’expérience sur la notion d’interface utilisateur. Les ordinateurs qui répondent à un prompt, ça fonctionne dans Startrek (et Galaxy Quest quand c’est Sigourney Weaver qui demande) parce qu’il y a un scénario prédéfini.
Dans la réalité, un humain a besoin de comprendre comment son outil fonctionne pour affiner les résultats, pour en faire une utilisation créative. À moins qu’on ne veuille surtout pas d’utilisateurs créatifs et intelligents comme le suggère la dernière pub d’Apple pour son iPad ? J’ai, en toute honnêteté, cru qu’il s’agissait d’un spot anti-monopole et anti-Apple lorsque je l’ai vu pour la première fois (cela en dit long sur la prétention des mecs qui, à toutes les échelles de ce projet, n’ont pas réalisé que détruire des instruments de musique pouvait être mal perçu)
Crush, la dernière pub d’Apple
Dans les IA, le principe statistique impose, et c’est déjà le cas pour tous les algorithmes de promotions de « contenu », une médiocrité moyenne obligatoire. Il suffit de surfer sur Facebook ou Twitter pour comprendre ce que cette médiocrité « moyenne » représente.
Alors, peut-être que beaucoup d’humains n’ont pas envie d’apprendre à utiliser un outil et qu’ils sont contents avec un « prompt » qui leur propose des réponses définitives. Peut-être que beaucoup d’humains ne veulent pas être confrontés à des articles, des histoires ou des œuvres d’art qui sont particulièrement étranges et dérangeantes. En fait, c’est une certitude, la majorité des humains veut faire comme la majorité. Sans oser se l’avouer, bien sûr, mais quand même.
Moi pas. Et je ne pense pas être le seul.
Alors, par principe, je m’oppose à toute « moyenne statistique de la création humaine ». Je veux des œuvres qui dérangent, des questions qui fâchent, lire des textes qui sont détestés, honnis.
Je ne veux pas produire ou consommer du contenu. Je veux créer et découvrir.
Charlie Stross rappelle que l’IA est objectivement une bulle qui ne sert que les intérêts de Nvidia et qui ne rapporte même pas de quoi payer l’électricité consommée. Cela lui rappelle la bulle dotcom de 2000. Et il se prend un délire génial : et si la bulle de 2000 n’avait pas explosé ? Et si toutes les promesses bullshit s’étaient réalisées ?
The Radiant Future! (Of 1995) (www.antipope.org)
Au final, rajouter une couche de complexité sur un outil est un manque d’intelligence.
Plus on a de compétences techniques, plus on peut utiliser des technologies « basses », et plus on est incompétent, plus on utilise une technologie haut niveau qui décide à notre place. Donc il faut essayer d’enseigner la technologie la plus « basse » possible pour permettre aux enfants d’être en mesure de comprendre ce qu’ils font.
Marcello Vitali-Rosati, auteur de « Éloge du bug »
Éloge du bug, cet outil de résistance précieux face aux géants du numérique (usbeketrica.com)
Je le vois autour de moi : toute personne qui creuse un peu, qui réfléchit tente de simplifier ses outils, de revenir à l’essentiel.
Thierry Crouzet a suivi un chemin très similaire au mien pour quitter Wordpress et revenir au texte brut. Si je ne vous ai pas encore convaincu, voici une autre version, une autre vision de la même solution au même problème. Avec un titre parfaitement adapté à la situation.
Libérer l’écriture des pesanteurs (tcrouzet.com)
J’avoue de mon côté une fascination pour les réseaux dits « off-grid », qui ne reposent sur aucune infrastructure publique majeure (comme Internet repose sur le réseau téléphonique/câbles sous-marins/fibre optique).
Lark est justement en train de tester Meshtastic.
Exploring Meshtastic (lark.gay)
Cela fait 35 ans que j’écris sur un ordinateur. Avec le recul, je n’ai aucun doute sur ce qui a eu le plus d’impact sur ma productivité : apprendre la dactylographie.
Si je ne dois conseiller qu’un seul apprentissage à ceux qui veulent augmenter à la fois le plaisir et leur productivité sur un ordinateur, c’est bien la dactylographie. Et, tant qu’à faire, autant l’apprendre sur une disposition optimisée comme le bépo.
Le bépo sur le bout des doigts (ploum.net)
Mon expérience date un peu, mais Mart-e a fait un long compte rendu de son passage, d’abord au Bépo puis à l’Ergo-L (le passage à l’Ergo-L me tente bien).
Un clavier à dix doigts (mart-e.be)
Si j’écris avec autant de facilité, c’est parce que je maitrise mon clavier Bépo et mon éditeur, Vim. Je n’utilise rien d’autre, pas même un plugin. J’écris de petits scripts bash pour accomplir les opérations répétitives. Et force est de constater que je suis productif pour écrire du texte et du code.
Aucune innovation ne peut passer outre l’apprentissage. Aucun ordinateur ne pourra jamais accomplir ce que vous voulez si vous n’avez pas d’abord appris à savoir ce que vous voulez.
Si vous pensez qu’une intelligence artificielle va augmenter votre productivité, mais que vous n’êtes pas prêt à investir quelques heures pour apprendre la dactylographie, vous êtes, excusez-moi de vous le dire, un crétin. Vous espérez faire plus en pensant moins. Or le monde a exactement besoin du contraire : des gens qui pensent plus pour faire moins.
Notre stupidité est en train de détruire notre monde, de détruire la vie. Les nouveaux outils ne feront qu’envenimer la situation. Notre seule arme, l’unique, c’est l’apprentissage et l’éducation.
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