2023-10-09
L’écologie a beaucoup à apprendre de l’échec du mouvement pour le logiciel libre. Celui-ci, perçu avec raison comme étant un combat moral s’opposant à la privatisation et la marchandisation des communs, s’est mué en open source, un mouvement très similaire, mais mettant en avant l’aspect technique afin de ne plus remettre en question l’aspect mercantile et la philosophie capitaliste.
Le résultat est sans appel: l’open source a gagné ! Il est partout. Il compose l’essentiel des logiciels que vous utilisez tous les jours. Le plus grand adversaire historique du logiciel libre, Microsoft, est devenu le plus grand contributeur à l’open source, étant même propriétaire de la plus grande et incontournable plateforme de développement open source : Github.
Et pourtant, les utilisateurs n’ont jamais eu aussi peu de liberté (ce qui justifie que je parle d’échec). Nous sommes espionnés, nous devons payer des abonnements mensuels pour tout, nous sommes soumis à des myriades de publicités. Nous n’avons aucun contrôle sur nos données ni même sur les ordinateurs que nous achetons. Là où le logiciel libre s’opposait à la privatisation des communs, l’open source contribue à cet accaparement.
La victoire à la Pyhrrus de l’open source entraine une désertion du combat pour la préservation de nos libertés fondamentales. La disparition de ces libertés n’était, au départ, que perçue comme un délire de quelques geeks paranoïaques. Elle est désormais un fait avéré et totalement banalisé, normalisé dans la vie quotidienne de l’immense majorité des humains. Le simple droit à exister sans être espionné, sans être envahi par les monopoles publicitaires et sans être forcé à dépenser de l’argent pour une énième mise à jour a essentiellement disparu. Se connecter aux plateformes en ligne officielles de nombreuses institutions, y compris étatiques, nécessite désormais le plus souvent un compte Google, Apple ou Microsoft. La plus grande université francophone de Belgique, où je suis employé, force chaque étudiant et chaque membre du personnel à utiliser un compte Microsoft et à y sauver toutes ses données, toutes ses communications.
Le parallèle avec l’écologie est troublant à l’heure où la doxa politique consiste à concilier écologie et consumérisme. L’écologie de marché est promue comme une solution exactement de la même manière que l’open source était vu comme une manière pour le logiciel libre de s’imposer.
Nul besoin d’être prophète pour prédire que le résultat sera identique, car il l’est déjà : une situation aggravée, mais perçue comme acceptable, car le combat fait désormais partie du passé. Les militants restants forment une arrière-garde décatie.
Le marché des compensations carbone, qui produit plus de pollution que s’il n’existait pas tout en autorisant les plus gros pollueurs à s’acheter une conscience, n’est que le premier de nombreux exemples. L’absurde hypocrisie des entreprises de se prétendre « écologiques » ou « vertes » en est une autre. En vérité, il n’y a pas de compromis à faire avec l’économie consumériste, car elle est la racine du mal qui nous ronge.
Bon nombre de militants écologistes se regroupent désormais sur des plateformes publicitaires comme Facebook ou Google qui cherchent à privatiser l’information et les espaces de discussions en nous poussant à la consommation. Ce n’est qu’une des nombreuses illustrations de notre incapacité à imaginer les conséquences logiques de nos actions dès le moment où notre salaire et notre confort quotidien dépendent du fait que nous ne les imaginions pas.
Mon expérience universitaire démontre que les organisations qui sont censées nous servir d’élite intellectuelle sont tout autant corrompues et dénuées de l’imagination qui est pourtant le cœur de leur mission.
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