Rasmus Lerdorf : "PHP a atteint la maturit "

2010-11-10 05:36:54

LEMONDE.FR | 09.11.10 | 18h12 Mis jour le 09.11.10 | 18h20

Rasmus Lerdorf est le cr ateur de PHP, le principal langage utilis pour cr er des pages Web dynamiques, utilis par la plupart des sites internet. A l'occasion du 10e Forum PHP, qui se d roule la Cit des sciences de la Villette, Paris, les 9 et 10 novembre, il revient sur l' volution du Web et de ses technologies.

PHP a eu quinze ans cette ann e. Comment se porte votre projet ?

C'est aujourd'hui un projet stable, qui fonctionne presque tout seul. Ce n'est plus l'excitation des d buts : PHP a atteint la maturit . De plus, la plupart des utilisateurs n'utilisent pas PHP directement, ils passent par des syst mes de gestion de site comme Wordpress ou Drupal. Et c'est une bonne volution.

C'est un peu comme les premi res heures de Linux : au tout d but, il se passait tout le temps des choses tranges, les p riph riques ne fonctionnaient pas... A l' poque, j'avais l'habitude de recompiler mon kernel [le noyau fondamental du logiciel, l' poque tr s instable] chaque semaine. C'est une bonne chose que a ne soit plus le cas aujourd'hui !

Il y aura, bien s r, de nouvelles versions de PHP l'avenir : une version 5.4, dans le futur proche, et plus tard une version 6. A un moment, il y aura une solution pour g rer les caract res Unicode [un probl me pr sent depuis l'origine du langage].

Le Web a volu tr s vites ces derni res ann es, avec l'apparition du HTML 5, le renouveau du Javascript, les applications Web riches comme les traitements de texte en ligne ou les jeux... Quel regard portez-vous sur ces changements ? Vont-ils dans la bonne direction ?

Du point de vue de la s curit , non, ils ne vont pas vraiment dans la bonne direction. Il y a beaucoup de choses qui posent probl me ; les vuln rabilit s de type "cross-site scripting", par exemple, n'auraient jamais d tre un gros probl me. Mais le fonctionnement du Javascript, qui fait que tout a acc s tout, l'a rendu tr s dangereux. En parall le, la richesse des fonctionnalit s disponibles est aujourd'hui gigantesque. L' l ment canvas du HTML 5, notamment, permet de faire des choses fantastiques.

Il est difficile d'avoir la fois un environnement tr s s curis et tr s riche. Mais ce n'est probablement pas tr s grave : historiquement, le Web n'a jamais t tr s s curis .

Historiquement, Internet a en revanche toujours t "neutre", c'est- -dire que toutes les donn es qui y circulent sont trait es de la m me mani re. Plusieurs grandes figures de l' volution d'Internet expliquent aujourd'hui qu'elles craignent que cette neutralit soit remise en cause.

Ce n'est pas quelque chose qui m'inqui te, titre personnel. Toutes les grandes entreprises qui font d'importants profits gr ce au Web n'ont pas int r t ce que leur audience diminue. Et m me dans le cas de figure inverse, quel serait leur int r t limiter l'acc s d'autres services que le leur ? Les gens ne vont pas sur Google simplement parce qu'ils aiment Google, mais parce que c'est une porte d'entr e vers le reste du Web. Si vous les emp chez d'acc der d'autres sites, ils ne reviendront pas... Je comprends les inqui tudes, mais je suis convaincu qu' terme, tout s' quilibrera naturellement.

Le succ s des smartphones a popularis les applications. Certains craignent qu'une fragmentation se d veloppe, avec deux r seaux diff rents : un monde ouvert, celui du Web, et un monde tr s cloisonn , celui des applications...

Oui, il peut y avoir une fragmentation des interfaces d'acc s, mais ce n'est pas vrai au niveau des infrastructures. Vous pouvez avoir une application et un site Web, mais les deux auront toujours besoin d'acc der aux m mes informations sur le serveur. Et c'est justement l o PHP vit et se d veloppe.

De fait, cette fragmentation existe d j l' chelle du Web. Vous pouvez choisir de d velopper dans Flash ou en HMTL 5 ; mais dans les deux cas, votre application aura probablement besoin de PHP pour acc der aux donn es.

Lorsque vous avez cr PHP, le logiciel libre, dont le code source est librement distribuable et modifiable, tait tr s peu connu. Quel regard portez-vous sur l' volution du logiciel libre ?

Pour moi, la bataille entre le logiciel libre et le logiciel propri taire appartient au pass : le logiciel libre a gagn . Au niveau de l'infrastructure, il n'y a quasiment que des logiciels libres ; il n'existe pas de logiciel propri taire pour les serveurs de noms de domaine, par exemple. Environ neuf serveurs sur dix tournent sous Linux. Et il serait quasiment impossible de cr er aujourd'hui une alternative propri taire au logiciel de gestion de sites Web Drupal.

C'est l'une des forces du logiciel libre : plus il s'adresse un grand nombre d'utilisateur, plus il b n ficiera d'une communaut importante, d' volutions, de mises jour, qui le rendront nettement sup rieur un concurrent propri taire. Le logiciel propri taire continue de bien fonctionner pour les utilisations de niche, les logiciels sp cialis s d'entreprise...

Je pense que les deux types de logiciels continueront coexister : ni le logiciel libre, ni le logiciel propri taire ne feront totalement dispara tre l'autre. Mais il n'y aura jamais d'alternative propri taire PHP !

Propos recueillis par Damien Leloup