Jeunes dipl m s: quand la pr carit devient la norme

2011-03-31 05:13:07

Nous vous proposons ici, en exclusivit , la version longue du cadrage du dossier Jeunes dipl m s: quand la pr carit devient la norme , par Anne Rodier, dont la version dit e se trouve en pages 33-34 du dernier Monde Campus .

Pr carit , tat de ce qui est pr caire, du latin precarius - obtenu par la pri re -, c est une caract ristique du march du travail que les jeunes dipl m s commencent conna tre.

L encha nement des stages, des contrats dur e d termin e, du ch mage puis nouveau des CDD ne les pargne plus. Alexandra Helle, 29 ans, accumule les stages et les contrats dur e d termin e.

Malgr son doctorat en sciences juridiques elle n a toujours pas stabilis sa situation trois ans apr s l obtention de son dipl me. Quand je suis sortie de th se en 2008, j ai cherch un poste de ma tre de conf rences, mais il n y avait rien. J ai alors d cid d opter pour le priv et suis retourn e sur les bancs de l cole faire un master en cole de commerce, car les entreprises priv es demandent souvent une double qualification.

Un an d tude plus tard, Alexandra encha nait sept mois de stages dans diff rentes entreprises pour valider son dipl me. Puis, pr te repartir la chasse l emploi, elle se voit proposer des stages. Sur les postes de juriste junior, c tait soit trois ans d exp rience, soit un stage explique-t-elle.

LES MOINS DE 25 ANS REMERCIES

Depuis bient t trente ans, le march du travail est peu accueillant pour les jeunes. Derniers entr s, premiers sortis : en p riode de crise les moins de 25 ans sont les premiers tre remerci s par l entreprise. Les politiques de l emploi avec leurs diff rents emplois jeunes n y ont pas chang grand-chose.

Le taux de ch mage des jeunes est toujours deux fois sup rieur au taux de ch mage de l ensemble de la population. Mais si jusqu alors les jeunes dipl m s taient relativement pargn s par la pr carit r serv e au moins dipl m s, ce n est plus le cas.

L acc s au march du travail n est plus si facile. Huit mois apr s la sortie de l cole, le taux des jeunes dipl m s en emploi est pass de 77% pour la promotion 2007 64% pour la promotion 2009, selon la derni re enqu te jeunes dipl m s de l Association pour l emploi des cadres (APEC) publi e en septembre 2010.

Et le Panel APEC entreprise 2011 publi par l association le 16 f vrier indique la poursuite de cette tendance : avec 32.920 jeunes dipl m s recrut s [en CDD et CDI de un an et plus] en 2010, la part des jeunes dipl m s dans le recrutement des cadres tait de 20% et devrait rester ce niveau en 2011, contre 23% en 2008 , affirme Pierre Lamblin, directeur des tudes et recherches de l APEC.

Le nombre de recrutements de l ensemble des cadres s am liore en 2010 par rapport 2009, mais cette claircie profite encore peu aux jeunes dipl m s. Ils n ont pas r cup r le niveau de recrutement d avant la crise, souligne-t-il.

L embouteillage des promotions de 2008 2010 a accentu la concurrence. Avec la crise, les entreprises ont donn la priorit l op rationnel et l imm diatet . Depuis deux ans, on observe une app tence forte des employeurs l gard des tr s exp riment s ayant moins cinq ans d exp rience , affirme-t-il.

PRETEXTE POUR NE PAS PAYER LES DEBUTANTS

Pour Alexandra Helle, la prime l exp rience est un pr texte pour ne pas payer les d butants. L indemnisation des stages (417,09 euros) n est obligatoire que pour les stages de deux mois et plus. Le stage sans cotisation retraite ni autres cotisations sociales est devenu l acc s usuel. Dans la t te des employeurs, le junior est d abord un stagiaire , explique-t-elle.

Elle en donne pour preuve que l exp rience obtenue par le stage de fin d tude n est pas prise en compte par les employeurs . Alors m me que la r alisation d un stage durant les tudes sup rieures se g n ralise , indique l Observatoire nationale de la vie tudiante dans sa 6e enqu te Conditions de vie des tudiants r alis e au printemps 2010 et publi e en janvier 2011.

En effet, 70% des tudiants de master d clarent au moins une p riode de stage pendant l ann e universitaire 2009-2010, 86% indiquant qu il s agit d un stage obligatoire.

Pierre Lamblin confirme cette exp rience acquise en cours d tude : un peu plus de 9 jeunes dipl m s (de niveau bac+4 et plus) sur 10 effectue au moins un stage durant son cursus d enseignement sup rieur et 6 sur 10 en r alise au moins trois .

Une fois pass le cap du stage, le jeune dipl m n a pourtant pas fini sa p riode de bizutage social , selon le mot du secr taire g n ral de la CFDT Fran ois Ch r que, car le CDD s impose de plus en plus dans toutes les fili res.

La part des jeunes dipl m s du sup rieur en emploi temporaire, entre 1 et 4 ans apr s la sortie de leur formation initiale, avait doubl entre 1985 et les ann es 2000, de quelques 12% pr s de 25%, et il n a pas diminu depuis, indique le Conseil d orientation pour l emploi (COE), dans son Diagnostic sur l emploi des jeunes publi le 10 f vrier.

11 POINTS EN DEUX ANS

La derni re enqu te de l APEC confirme cette tendance : la part des jeunes dipl m s en CDD dans le secteur priv a augment de 11 points en deux ans, entre les promotions 2007 et 2009 , indique M. Lamblin.

Ce recours plus important aux CDD au d triment du CDI retarde la stabilisation de l emploi des jeunes dipl m s. Trois ans apr s la sortie de la formation initiale, le taux de ch mage d un dipl m sup rieur est d environ 6%, niveau assez proche de ce que les conomistes qualifient de plein emploi, mais la chute de la pr carit n intervient que la cinqui me ann e apr s le dipl me, selon les donn es publi es par le COE.

C est d sormais le d lai n cessaire pour que la part des emplois temporaires (en pourcentage de l emploi total) passe sous la barre des 10%.

Le parcours professionnel s en trouve fragilis . Yannick Comenge, 37 ans, en sait quelque chose. Avec une double ma trise de g n tique et de biologie mol culaire et un master en virologie, Yannick est aujourd hui expert s-pr carit .

De promesses en promesses d employeur, il a altern les vacations en laboratoire, un contrat un peu b tard de plein temps d clar mi-temps, qui lui a quand m me permis de toucher le ch mage, le travail gratuit en universit en attendant le d blocage d un poste qui n a jamais vu le jour, un CDD non renouvel car la fille du directeur d unit a repris le projet, a arrive explique-t-il, puis une p riode de ch mage, un nouveau CDD dans une start-up, pour in fine entrer dans la cat gorie doctorant p rim . C est comme- a qu on appelle les doctorants rest s plus d un an sans mission et jug par les employeurs peu capables d tre op rationnels , assure-t-il.

La menace du d classement social est une r alit pour ceux qui sont sortis de formation en p riode de mauvaise conjoncture conomique, comme en 2009. Mais pour les ann es venir l optimisme n est pas exclure.

L APEC pr voie 200.000 recrutements de cadres l horizon 2013, contre 169000 180.000 attendus en 2011. Tout d pendra de l volution de la croissance et surtout des investissements des entreprises.

Anne Rodier

Pour en savoir plus, sur le m me sujet, vous trouverez dans Le Monde Campus :

- Stages: les limites de la l gislation (par Nathalie Qu ruel).

- Recruter, un jeu d enfant (S bastien Dumoulin).

- CDD, int rim: bienvenue dans la jungle du monde du travail (Sarah Belouezzane).

- Les nombreuses vies des th sards (Julien Dupont).

- Attention aux faux CV (Baptiste Babl e).

- Entretien avec Oph lie Latil, porte-parole du collectif G n ration pr caire: le meilleur conseil donner est de ne pas se brader (propos recueillis par S bastien Dumoulin).