By Kujiu
Le 13 Nov 2016 à 21:13
Avertissement: Désolé, cet article n’a pas encore de version en anglais.
Une sorcière est adossée à des citrouilles.## Préface
Ce texte aurait dû sortir plus tôt, pour le 31 octobre 2016. Cependant, le déménagement a eu raison de mon temps disponible. Le déballage des cartons s’est enfin achevé, même si tout n’est pas encore rangé à sa place définitive. Voici donc ma contribution pour un Halloween futur, je vous laisse le soin de la ressortir en 2017.
Aénor Castagnier grelottait dans sa cellule. Elle y avait été enfermée quelques heures plus tôt. Le garde lui avait confisqué son chapeau et son balai. Le roi aurait décidé de supprimer les sorcières, et ce le pire jour de l’année. Le vent et le froid rentraient par tous les interstices et par la fenêtre en ce 31 octobre. Aénor réfléchissait calmement sur la couchette de paille, les mains et les chevilles entravées de lourds fers reliés par des chaînes. Elle souhaitait échapper à la question tant que possible, à cette torture ridicule et cruelle imposée par les pires bourreau de toute l’Histoire. Elle était une sorcière et le revendiquait ainsi, avec ou sans torture. Le palais du Seigneur Mondragor recelait, selon la rumeur, de technologies de questionnement avancées. Des cris de douleur parvenaient parfois jusqu’à la Grand Place de Hautfort pour rappeler aux citoyens qui régnait sur cette ville. Montdragor n’hésitait jamais à employer une violence spectaculaire et cruelle envers tout opposant ou criminel. Il était à la fois la justice et le bourreau à lui seul.
La journée avait pourtant bien commencé pour Aénor. Elle avait quitté la chaumière tôt le matin, vêtue de sa robe et de sa cape noires, de son chapeau pointu noir, de ses longues chaussures cornues noires et de son balai. Elle était appréciée des habitants et descendait de la colline pour leur rendre visite régulièrement. Elle venait d’achever sa formation, à 25 ans à peine. Elle avait scrupuleusement rempli son sorcellinariat auprès de la vieille Margareth. La vieille sorcière avait enfin pu prendre sa retraite bien méritée.
Ce matin du 31 octobre, Aénor devait commencer par rendre visite à la mère Mortelune. Elle avait aidé à l’accouchement la veille, et elle s’occupait personnellement des soins du nourrisson. Elle avait concocté ses meilleures potions pour renforcer le métabolisme et prévenir des maladies de l’hiver. Ce n’était pas la meilleure période pour les nouveaux nés, et elle le savait très bien. La fête des morts rapproche le monde présent de l’au-delà. Il était donc essentiel qu’Aénor purifie la petite Jutta pour éviter toute jalousie ou toute vengeance mal placée d’un esprit quelconque. Elle aida également là mère au nettoyage de la demeure, à l’habillage du bébé et à la lessive. Elle en profita pour rajouter quelques sceaux de protection aux lieux stratégiques de la maison. Une sorcière devait savoir se rendre utile, être à l’écoute des gens et imposer sa solution. La mystification et l’ésotérisme étaient réellement nécessaires pour rendre toute sorcière indispensable.
Aénor avait ensuite rendu visite à Frémont Gardevent, le vieux fermier. Frémont vivait isolé du monde, au milieu de vastes champs. Il cultivait principalement l’orge et le blé. Du moins, il le faisait avant. Ses rhumatismes, son dos et ses divers maux avaient eu raison de sa motivation. Frémont avait toujours eu peur des voleurs. Aénor connaissait l’emplacement de chaque piège à loup, de chaque trou dans le chemin. Elle appelait Frémont de loin, afin d’éviter qu’il ne sorte avec son arbalète en prononçant des mots qui lui vaudraient au moins six mois d’enfermement. Comme tous les jours, elle sortit ses plantes et ses décoctions. Elle prépara un cataplasme avec les plantes de la forêt, bien chaud. Elle l’appliqua sur le bas du dos du vieux Frémont.
« — Votre truc me fait toujours un bien incroyable ! dit-il.
— C’est ça les bons secrets des sorcières, rappela Aénor.
— Il faudra vous méfier, mettez votre chapeau au placard quelques temps.
— Sortir sans mon chapeau ? Il en est hors de question ! Vous ne me reconnaîtriez pas !
— Allons donc, mais vous savez bien pour notre Grande Majesté Absolue Johan le rabougri ?
— Savoir quoi ? Comment voulez-vous que je devine si vous ne me dites rien ?
— Eh beh, le roi, s’il a son nez crochu, c’est pas l’coup du sort ! C’est une sorcière qui l’aurait maudit.
— Arrêtez avec vos idioties, ce type de malédiction n’existe donc pas ! Et puis laissez moi masser ce dos, je dois ramollir vos muscles encore. Il faudrait que vous vous calmiez un peu aussi sur l’exercice, ça ne vous réussi pas. Et en plus vous avez encore forci.
— Encore des reproches ! Bon en tout cas, le rabougri, il aurait dit que puisque c’est une sorcière qui a transformé son nez, il allait le faire payer. Il veut mettre toutes les sorcières à prix. Et alors, qui c’est qui me soignera mon dos hein ?
— Ça n’augure rien de bon tout ça, en plus en plein jour d’Halloween. »
Aénor ne récupéra pas de nourriture en sortant de chez Frémont. Il avait certainement peur d’être complice de la sorcière s’il tentait de l’aider. Recourir à la magie était toujours très compliqué. Les gens sont rapidement impressionnés, mais en réalité, les effets secondaires sur le corps sont abominables. Il n’y a pas de réduction de l’espérance de vie comme certains l’imaginent, plutôt une augmentation. Mais les douleurs le font largement regretter. Cependant, Aénor avait faim. Elle fit une pause sur le trajet menant vers le château et la ville fortifiée de Hautfort. Elle s’assit sur une bûche et prononça quelques paroles absconses. Un tourbillon d’ombres se forma devant elle. Il se transforma en un miroir qui reflétait le rayonnage de la pâtisserie. Aénor parcourra tous les gâteaux du regard et choisit celui à l’orange. Elle vérifia que la pâtissière avait le dos tourné et passa son bras au travers du tourbillon pour attraper le gâteau. Elle déposa les piécettes correspondant au prix affiché à l’emplacement désormais vide.
Aénor reprit sa route après avoir mangé. Elle arriva aux fortifications au bout d’une heure et se dirigea au bureau de poste. Elle avait envoyé un colis quelques semaines auparavant, mais il n’était toujours pas arrivé. Elle l’avait suivi avec sa boule de cristal. Non seulement, elle n’obtenait toujours pas de remboursement pour les précieuses pièces qu’elle avait envoyé, mais en plus, le roi Johan ne reçut pas les cotisations fiscales. Cette histoire de malédiction intriguait fortement Aénor. Elle se demanda s’il ne s’agissait pas d’un prétexte. Qui plus est, elle n’était pas la seule sorcière dont les cotisations furent perdues, ou du moins détournées. La boule de cristal ne se trompait jamais, et elle avait bien vu que le colis n’était pas passé aux bons endroits. Et qu’il était désormais dans un autre coffre fort. La postière avait même réclamé un dédommagement pour les « frais de gestion » engendrées par la surcharge de travail. Quatorze douzains et demi !
Aénor continua sa traversée de la ville par le quartier militaire. Elle devait retrouver une veuve. Un garde l’interpella et lui passa rapidement les fers. Elle ne fut guère surprise par cette attitude. Elle fut conduite directement au cachot, elle préféra se laisser faire. Elle passa l’après-midi à réfléchir à la situation. S’échapper n’était pas la solution optimale : cela n’arrangerait pas la mauvaise humeur du roi.
Un garde vint en début de soirée pour amener Aénor en salle de questionnement. Elle le suivit le long du couloir, jusqu’à l’escalier descendant dans les niveaux inférieurs. Elle rentra dans une grande salle vide hormis une chaise en son milieu. Des gardes étaient disposés à chacun des huit piliers. Le questionneur avança vers la prisonnière pour l’accueillir en toute violence. Son ombre grossissait, et des yeux y apparurent, des yeux maléfiques. Une bouche lumineuse et terrifiante semblait ricaner dans un rictus diabolique. Aénor dirigeait son regard dans le vide, et balbutiait des mots inaudibles. Une légère fumée colorée s’échappait de ses fers. Le métal se mit à chauffer légèrement, il se morcelait et vola en éclats. Le questionneur recula brutalement pour éviter un débris. Aénor profita de la situation pour fuir.
Élianara, la grande Élianara, était de retour, telle était la conclusion d’Aénor. Cette dragonne maléfique prenait possession des humains pour mieux semer la panique et trouver son déjeuner le plus savoureux. Aénor devait agir, et vite. Elle courait à travers la ville. Elle réfléchissait en même temps sur la situation actuelle. Le roi était donc innocent dans cette affaire. Élianara se nourrissait des pouvoirs magiques des humains, elle les dépossédait de leurs âmes avant d’en extraire toute force vitale. Son plan était diabolique : elle avait détourné toutes les cotisations fiscales pour rétablir le trésor qui lui avait été repris au siècle dernier. Un dragon ne sait exister qu’au-dessus d’un trésor. Élianara avait créé à la fois un prétexte et une source d’enrichissement. La chasse aux sorcières pouvait dès lors débuter à la bonne date. Élianara pouvait aspirer les âmes au cimetière uniquement un soir d’Halloween. Elle avait déjà tenté de conquérir le monde dans le passé. Elle avait grossi, tant et si bien qu’elle était aussi large qu’un conté. Elle fut arrêtée par la maîtresse de Margareth après la destruction de nombreuses villes. Cependant, le sacrifice ultime n’avait pas suffit. Une seule vie n’avait permit que d’endormir la dragonne durant cent cinquante ans.
Aénor dépassa les portes de la ville et vit le cimetière au loin. De longs corps filiformes blanchâtres et translucides s’élevaient dans les nuages. Ces derniers commençaient à former un tourbillon lent et sombre dans le ciel. Le temps était compté. Elle rejoignit sa chaumière, haletant durant tout le trajet. Elle récupéra au plus vite ses élixirs, des herbes, et alluma le feu sous le chaudron. Elle prit son grimoire le plus précieux et chercha la recette de la potion d’Ab Khaharam. Elle en gardait toujours tous les ingrédients en cas d’urgence. Elle était la seule héritière d’un tel savoir. Le chaudron illuminait la pièce à chaque fois qu’Aénor prononçait une incantation. Elle mit plus de deux heures pour préparer la potion, et elle remplit ainsi une vingtaine de fioles qu’elle boucha immédiatement.
Aénor repartit dès que possible, emmenant ainsi sa chatte Nao, noire et parsemée de beige. Elle enjamba son balai, mit Nao à l’arrière sur la brosse, et décolla. Les migraines magiques apparurent immédiatement. Elle partit en direction du cimetière. Nao ressentait le poids des âmes et s’impatientait. Elle regardait attentivement le tourbillon de fantômes dans les airs puis baissa les yeux vers les tombes. Aénor accéléra pour se rendre au cimetière le plus rapidement possible en poussant un cri de douleur. Elle aperçut alors une griffe sortir du tourbillon nuageux. Élianara arrivait. Aénor décida de rejoindre le sol et lâcha Nao. Le félin chassait les âmes, jouait avec et commença à les enterrer.
Élianara descendit du ciel, telle une calamité divine. Elle se posa en face d’Aénor, sa seule et unique menace. Elle sentait le pouvoir purificateur caché dans la veste de la sorcière. Les deux êtres s’observèrent un instant de leurs regards les plus perçants et les plus mauvais. La dragonne recula sa tête, inspira profondément puis cracha d’immenses flammes. Aénor réussit à éviter la sentence létale et se mit à courir le plus vite possible. Elle prit une des fioles de potion d’Ab Khaharam et la lança sur Élianara. La fiole s’éclaira à mi-chemin puis se brisa. Le liquide resta figé dans les airs et brillait de plus en plus avant de se libérer par une explosion. Élianara hurla lorsque des gouttes lui glacèrent la peau. Des cristaux minéraux restèrent ancrées sur le corps de la dragonne.
Aénor continuait sa course et avait de l’avance par rapport à Élianara. La poursuite continuait sur les chemins de terre escarpés. Aénor tourna dans un champ mal entretenu. Les épis de blé ne suffisaient pas à couvrir sa tête, Élianara suivit alors le chapeau pointu de la sorcière. Elle se rapprochait de plus en plus de sa cible. Le chapeau continuait à tracer des sillons dans le champ. Élianara se prépara puis cracha sa flamme. Elle incendia le blé tout autour de la cible, laissant alors une terre brûlée à nu.
Aénor connaissait le terrain du vieux Frémont. Elle avait lancé un sortilège de lévitation sur un caillou coiffé de son chapeau. Puis, elle s’était éloignée de la dragonne pour rejoindre un autre chemin de terre. Élianara se posa en face du corps supposé de la sorcière et fulmina en voyant la supercherie. Elle s’élança et courra en direction d’Aénor. La sorcière se retourna avec un sourire narquois et observa la dragonne. Élianara ne comprit pas, jusqu’au moment où son pied fut bloqué par un piège à loup. La paranoïa de Frémont avait sauvé Aénor. Le sol craquela autour de la dragonne maléfique puis s’effondra. Élianara était coincé dans le trou. Aénor lança alors ses potions sur la créature diabolique. Élianara rugissait de douleur tandis que son corps se cristallisait en un minéral bleuâtre translucide. Elle était vaincue, par une sorcière de Hautfort, encore une fois. Elle rumina et se promit une vengeance absolue lorsqu’elle serait libérée de l’emprise minérale.
Aénor, exténuée, griffée, brûlée, retourna au cimetière et rejoignit Nao. Elle commença des incantations de paix et de tranquillité. Elle rappelait les âmes vers le cimetière et assurait leur repos pour l’année à venir. Elle continua ainsi durant toute la nuit. Nao l’aidait, courrait vers les fantômes et les ramenait à leurs tombes. Cependant, de nombreuses âmes manquaient à l’appel, détruites par l’immonde dragonne. Aénor prévoyait une semaine de deuil, pour les pleurer et les consoler. Un mausolée devait être créé pour enfermer la menace, et surtout protéger les générations futures par une formation suffisante.
Ainsi s’achève le premier conte de la sorcière de Hautfort.
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