Retraites : la Finlande trace la voie d'une r forme r ussie

2010-10-12 09:06:57

LE MONDE ECONOMIE | 11.10.10 | 17h34

La Finlande est le pays d'Europe o le d s quilibre d mographique frappera le

plus t t. Dans les vingt ans venir, ce pays nordique de 5,3 millions

d'habitants aura le taux de personnes g es le plus lev de l'Union europ enne

(UE). "En 2010, nous voyons pour la premi re fois plus de gens qui quittent le

march du travail que de gens qui y entrent. C'est un tournant historique",

note Tomi Hussi, chercheur sp cialiste en organisation du travail TTL,

l'Institut finlandais de m decine du travail.

Mais c'est aussi le pays qui, ces derni res ann es, a vu le taux d'emploi des

seniors cro tre le plus rapidement. Alors que la Finlande tait, la fin des

ann es 1990, dans la moyenne des pays de l'UE avec un taux d'emploi des

personnes g es de 55 64 ans de 36 %, ce taux s' levait 53 % en 2005, quand

la moyenne europ enne atteignait 43 %.

Les deux derni res ann es de r cession ont laiss leur marque, puisque le taux

d'emploi des seniors a recul de 2 %, m me s'il a continu d'augmenter chez les

femmes, moins employ es que les hommes dans les industries tr s d pendantes des

exportations. Mais le succ s est indiscutable.

Il a t obtenu en travaillant sur deux fronts "d' gale importance, pr cise

Hannu Uusitalo, directeur de l'Agence des retraites : la r forme des retraites

et la promotion de la qualit de vie au travail. Sur la retraite, nous avons

utilis la m thode de la carotte et du b ton".

D s 1994, l' ge de la pr retraite avait t progressivement augment de 55 58

ans, les retraites du public ont commenc tre ajust es la baisse pour

s'aligner sur celles du priv . La r forme la plus importante fut adopt e en

2005. Au lieu d'augmenter l' ge de la retraite, comme le font la plupart des

pays, la Finlande a choisi la flexibilit , permettant aux actifs de prendre

leur retraite entre 63 et 68 ans.

SALAIRE AMPUTE OU RETRAITE MAJOREE

L' ge de la pr retraite a encore t relev 62 ans et le taux des pensions a

t affect . En arr tant 62 au lieu de 63 ans, la retraite est amput e de 7,2

% du salaire. Le salaire est en revanche major de 4,5 % si la personne

poursuit son activit 63 ans. Salaire major de 4,5 % par an pour chaque ann

e suppl mentaire travaill e jusqu' 68 ans. Ainsi ceux qui choisissent de

travailler jusqu' 68 ans voient leur retraite valoris e de 23 % par rapport

63 ans. "Beaucoup de gens ont continu travailler cause de ces

encouragements financiers", note Hannu Uusitalo.

Mais avant de se lancer dans ces r formes, les Finlandais ont pass quinze ans

faire des recherches non pas tant dans le domaine de la d mographie ou de l'

quilibre conomique du syst me, que sur le bien- tre des employ s seniors.

Initi e par Keva, la compagnie qui g re les retraites des employ s municipaux,

une enqu te a t confi e l'Institut de m decine du travail. "C'est de ses r

sultats, assortis de propositions que les politiciens se sont r veill s",

raconte Juhani Ilmarinen, aujourd'hui consultant, ancien professeur

l'Institut de la m decine du travail d'Helsinki, consid r comme le p re du

programme pour les travailleurs g s, appliqu dans tout le pays entre 1998 et

2002, et qui est l'origine des bons r sultats enregistr s en Finlande.

Une quarantaine de projets furent identifi s par les chercheurs, impliquant

simultan ment les minist res des affaires sociales, du travail et de la

formation.

L'un des principaux projets tait un cycle de formation des dirigeants

d'entreprise, afin de leur faire comprendre la n cessit de changer d'attitude

par rapport au vieillissement. Pendant pr s de cinq ans, 700 dirigeants

d'entreprise ont t form s, ainsi qu'une centaine de consultants qui ont

continu le travail par la suite.

Un autre projet consistait am liorer les comp tences des travailleurs

seniors, mais aussi red finir leur poste de travail et leur fonction. Un

point essentiel a t le travail envers les m dias qui ont t abreuv s de donn

es diverses pendant des ann es. "Une des cl s du succ s", estime le professeur

Ilmarinen.

STRATEGIES DE BIEN-ETRE

"Il existe maintenant un tr s bon march du travail pour les seniors qui ont

une bonne formation universitaire, sont experts dans leur domaine et sont, en g

n ral, en bonne condition physique, constate Guy Ahonen, chercheur

l'Institut de m decine du travail. Les programmes du gouvernement ont eu du

succ s dans cette cat gorie : c'est celle qui reste le plus longtemps sur le

march du travail."

Selon un rapport publi par le cabinet de conseil en gestion des ressources

humaines Excenta sur les strat gies de bien- tre en Finlande publi cette ann

e, le levier le plus utilis par les entreprises est l'am lioration des

conditions de travail, suivi par la formation de l'encadrement interm diaire,

avant celle de la direction. Suivent le d veloppement des comp tences et

l'adaptation des horaires de travail. La mesure la moins utilis e est celle des

cong s suppl mentaires.

Des entreprises comme Abloy, leader mondial des syst mes de fermeture de

portes, sont r guli rement cit es en exemple. Abloy a mis en place en 2001 un

programme Age Masters, dont l'objectif est de prolonger la dur e de travail de

ses employ s de deux ans et de baisser l'absent isme de 1 % par an. Age Masters

comprend des conf rences, des tests de fitness, des expositions artistiques,

des Ch ques-Vacances, etc., partir de 58 ans. Objectif atteint, puisque

depuis 2001, les seniors restent trois ans de plus en poste. 40 % des soci t s

finlandaises ont aujourd'hui mis en place un programme de ce type.

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stranger

La Finlande estime que les r formes r centes permettront des conomies

quivalentes pr s de 5 % du PIB d'ici 2030. Les d fis d mographiques sont

toutefois tels que la part des retraites dans le PIB augmentera tout de m me,

pour atteindre 15 % en 2030, contre 11 % actuellement.

Aussi les Finlandais ont-ils lanc une seconde phase de leur programme, qui met

cette fois l'accent sur le bien- tre au travail tout au long de la carri re.

"Il ne s'agit plus seulement de parler des seniors, mais d'avoir une approche

sur trois g n rations", explique Juhani Ilmarinen. "Nous voulons d montrer la n

cessit de valoriser une carri re meilleure et plus coh rente, rench rit Tomi

Hussi. On ne commence pas am liorer la capacit professionnelle des

travailleurs une fois qu'ils ont atteint 60 ans."

Les chercheurs de TTL ont construit un certain nombre d'outils, comme "l'index

de capacit professionnelle", aujourd'hui largement repris l' tranger. "C'est

la premi re fois qu'un tel indicateur r unit la sant physique, le d

veloppement des comp tences, les notions de communaut professionnelle et

d'environnement du travail, jusqu'ici n glig s." Les sp cialistes finlandais d

veloppent maintenant une nouvelle approche, selon laquelle la gestion des

travailleurs g s n'est qu'un pan du concept plus large de "bien- tre

professionnel".

Alors que le sujet de l'emploi des seniors est br lant sur tout le continent

europ en, les Finlandais s' tonnent des chemins de traverse emprunt s l'

tranger. Peu de pays trouvent gr ce aux yeux de Juhani Ilmarinen. "La France,

comme la plupart des autres, fait le contraire de ce qu'il faut faire",

constate le p re du syst me finlandais, souvent sollicit en Allemagne, aux

Pays-Bas ou en Autriche.

"Je suis surpris, explique-t-il, que l'augmentation de l' ge de la retraite de

60 62 ans provoque tant de r sistance alors que dans presque toute l'Europe,

on parle de passer de 63 65 ans, voire de 65 67 ans. C'est tonnant, car on

sait que les gens sont capables de travailler jusqu' cet ge... condition

que ce soit dans de bonnes conditions."

Car Juhani Ilmarinen juge tout aussi s v rement la politique men e Paris. "Il

faut d'abord d velopper l'environnement du travail de telle sorte que les gens

soient motiv s pour travailler. Une fois que ces conditions sont r unies,

alors, on peut demander aux gens de partir la retraite plus tard. Je n'ai

rien vu de tel en France, alors que c'est crucial. La France augmente d'abord

l' ge des retraites, mais ne fait rien pour aider les gens rester au travail.

Le probl me est que cela prend du temps."

Olivier Truc