La fili re nucl aire fran aise subit un revers majeur

LE MONDE | 28.12.09 | 10h21 Mis jour le 28.12.09 | 14h32

Le pr sident sud-cor en, Lee Myung-bak, est rentr de son voyage Abou Dhabi

avec un contrat nucl aire de 20,4milliards de dollars (14,11milliards d'euros),

et c'est la France qui, malgr les efforts d ploy s par le pr sident de la R

publique, Nicolas Sarkozy, essuie un dur revers sur un march prometteur. Le

consortium cor en dirig par le groupe d' lectricit Kepco, associ Hyundai,

Samsung et au japonais Toshiba-Westinghouse, a en effet remport , dimanche 27d

cembre, l'appel d'offres pour " la conception, la construction et l'assistance

au fonctionnement " de quatre r acteurs nucl aires de 1400m gawatts chacun.

Il tait en concurrence avec General Electric-Hitachi et le groupement

d'entreprises fran aises EDF, GDF Suez, Areva, Total, Alstom et Vinci, qui

proposaient le r acteur fran ais de troisi me g n ration EPR (1650 m gawatts).

La d ception fran aise est la mesure de l'enjeu: consid rable. Mais l'Elys e

a demand aux industriels retenue et discr tion: Paris ne veut pas compromettre

d'autres contrats en cours de n gociation, notamment la vente de 60avions de

combat Rafale produits par le groupe Dassault, en concurrence avec le F16 am

ricain et le chasseur bombardier europ en Eurofighter. Les entreprises

indiquent avoir "pris acte " de la d cision des Emiratis.

Les groupes fran ais expriment leur "satisfaction concernant les rapports

entretenus avec leurs interlocuteurs", et ils se disent "ouverts toute coop

ration future". L'agence miratie de l' nergie nucl aire a indiqu qu'elle

pourrait commander "des centrales suppl mentaires".

Abou Dhabi, dont les besoins en lectricit devraient presque doubler d'ici

2030, veut aller au-del des 5600m gawatts inscrits dans cette premi re tranche

conc d e aux Cor ens. Un second contrat portant sur l'exploitation des quatre r

acteurs vendus d'un montant de 20milliards de dollars doit tre sign ult

rieurement. Mais on voit mal comment les Cor ens, concepteurs des centrales,

n'en auraient pas aussi l'exploitation.

La France tait pourtant partie s re de sa supr matie technologique. "Nous

sommes chers, c'est vrai, reconnaissaient les patrons des groupes constituant

le consortium fran ais. Mais l'EPR est le meilleur et le plus s r des r acteurs

actuellement sur le march ." Quatre EPR sont en construction: en France (un),

en Finlande (un) et en Chine (deux). Mais les deux premiers chantiers

rencontrent des difficult s, des retards et une d rive des co ts.

La technologie de l'EPR n'est pas encore prouv e, et les autorit s de s ret

nucl aire fran aise, britannique et finlandaise ont mis, en novembre, des r

serves sur le syst me de pilotage des EPR (contr le-commande). Des critiques

qui ne remettaient pas en question le r acteur, mais qui vont entra ner des

retards dans sa construction. Et des co ts suppl mentaires que l'industrie nucl

aire, tr s gourmande en capitaux (plus de 4milliards d'euros pour un EPR),

n'appr cie pas.

D s l'automne, des experts donnaient les Cor ens vainqueurs. Le facteur prix a

t d cisif: Abou Dhabi a beau tre le plus riche des sept Emirats arabes unis,

il a d voler au secours de son voisin Duba , en pleine d confiture financi re,

en y injectant 10milliards de dollars.

La France tait entr e en lice d s le lancement de l'appel d'offres, en

janvier2008. Areva, le fabricant de l'EPR, s' tait associ GDF Suez, d j tr

s implant dans le secteur de l' lectricit dans le Golfe, et Total, qui

produit du p trole depuis plusieurs d cennies Abou Dhabi. Mais les autorit s

miraties souhaitaient qu'EDF, premier exploitant de centrales nucl aires au

monde (58 r acteurs), soit associ aux autres entreprises. M.Sarkozy avait

alors demand EDF d' pauler le consortium.

Puis, l'engagement du groupe d' lectricit semblant insuffisant aux Emiratis,

ils lui avaient demand de prendre une participation importante dans le

consortium. En d cembre, il tait finalement compos d'EDF (45 %), de GDF Suez

(45 %) et de Total (10 %), qui amorce ainsi une strat gie de diversification

pour pr parer l'apr s-p trole.

REPENSER LA STRAT GIE

La fili re nucl aire fran aise va devoir repenser sa strat gie l'exportation.

Majoritaire dans EDF et Areva, mais aussi actionnaire de r f rence de GDF Suez

(36%), l'Etat entend jouer un r le important. Nomm PDG d'EDF fin novembre,

Henri Proglio a d cid d'en faire l'une de ses priorit s au moment o de

nombreux pays relancent leur programme nucl aire civil ou en cr ent un de

toutes pi ces. Pour sa part, M.Sarkozy a nomm Fran ois Roussely, ancien patron

d'EDF (1998-2004) et proche de M.Proglio, la t te d'une mission de r flexion

sur le nucl aire fran ais.

L' chec d'Abou Dhabi rend cette r flexion urgente, selon le gouvernement. Le

choix des Emiratis montre que des concurrents plus modestes, comme les Cor ens,

qui n'ont jamais export leur technologie, peuvent l'emporter. La comp tition

sera rude avec les groupes am ricains (General Electric), les japonais

(Toshiba-Westinghouse) et les russes (Rosatom), surtout si ces derniers d

veloppent un partenariat strat gique avec l'allemand Siemens.

De nombreux projets de r acteurs restent encore dans les cartons. Mis part la

Chine, dont le programme nucl aire est pharaonique (plusieurs r acteurs mis en

service chaque ann e entre2010 et 2030), une certaine prudence est de rigueur.

L'Afrique du Sud a suspendu la construction de nouvelles centrales. La

renaissance du nucl aire aux Etats-Unis sera plus lente que pr vu, notamment en

raison de la crise financi re, qui rend la lev e de capitaux difficile. Le

march russe est r serv l'industrie locale, et celui de l'Inde est tr s

ouvert. Pour EDF, GDF Suez et Areva, les pays les plus s rs sont le Royaume-Uni

et l'Italie. En attendant, peut- tre, un deuxi me appel d'offres d'Abou Dhabi.

Les Emirats arabes unis importent actuellement beaucoup de gaz pour faire

tourner leurs centrales lectriques, qui alimentent des usines de dessalement

d'eau de mer. Ils veulent aller vite, et mettre en service le premier r acteur

d s 2017, les trois suivants en 2020. Une gageure dans un pays d pourvu de

toute culture nucl aire. En dehors de l'Iran, dont la centrale de Boucheyr

attend toujours le combustible russe pour fonctionner, Abou Dhabi sera le

premier pays du Moyen-Orient exploiter une centrale nucl aire. Avant ses

grands fr res gyptien, alg rien, marocain ou saoudien.

Contrairement T h ran, Abou Dhabi joue la carte de la transparence et de la

non-prolif ration. Il s'est engag ne pas produire son propre combustible

(uranium enrichi), et surtout ne pas retraiter les combustibles us s pour en

extraire les 5% de plutonium permettant la fabrication d'une arme atomique.

Pour les mouvements antinucl aires comme Greenpeace et le r seau Sortir du nucl

aire, ces engagements ne r duisent pas les risques de prolif ration, en

particulier dans cette r gion si sensible.

Jean-Michel Bezat