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Mi-avril

Anomie

Hier ce sentiment d'anomie

tu sais, quand tu as réglé une série de problèmes

que tout va bien, enfin

les petites choses, les affaires courantes

Je suis immobile et silencieux dans le métro

je n'ai pas envie de lire ou d'écrire donc je reste assis,

de temps en temps je ferme les yeux.

Je traverse en silence le grand hall de Perrache

Dans le bus je regarde dehors, et je pense

qu'il va falloir parler

adresser les problèmes

s'asseoir à la table des négociations

ou pour le dire plus simplement

exprimer mes sentiments.

9 avril 2022

une petite pause

J'ai passé la soirée avec des amis

peut-être vu un petit groupe en concert

au retour

j'emprunte la montée des Génovéfains

et je m'assoie un instant sur les marches

à mes pieds la ville est à la fois

lumineuse et endormie.

Je regarde la nuit.

Je regarde la nuit

et tâche de m'y retrouver.

J'aime les moments de transition

je passerais ma vie dans les transports en commun

assoupi dans un train qui ralentit

en gare de la Verpillière

ou la nuit sur les marches en rentrant de soirée.

Le grincement des roues d'acier sur les rails est doux

il me parvient assourdi

des longs trains de marchandises qui abordent Perrache

parfois je mets mes écouteurs.

Je regarde la nuit

en écoutant Autechre.

Quand je me relève ma respiration a pris de l'ampleur

mes pas sont plus lents

souvent le jour le soleil m'éblouit

j'ai regardé la nuit

et marche avec le sentiment d'y voir un peu plus clair.

11 avril 2022

pour le tremplin poétique de la BML sur le thème "Regarder la nuit"

familier

tout est si familier dans le bus ce matin

pourtant je ne vois jamais les mêmes visages

tout est si familier lorsque tu prends ma main.

hier soir tu t'es levée de la chaise où tu travaillais

pour aller chercher dans la cuisine

un morceau de chocolat

en passant tu m'as souri

tu as effleuré mon visage avec le dos de ta main en disant

ah, mon chéri

j'ai regardé notre salon

qui semblait trop silencieux sans le bruissement des pages

des cahiers de tes élèves

j'ai regardé ma guitare posée dans un coin de la pièce

la télé, la bibliothèque

de bandes dessinées

j'étouffe

mais je n'ose pas t'en parler.

12 avril 2022

le balancier

j'appelle le balancier

ce mouvement quotidien

qui relie mon foyer à mon lieu de travail

dans un sens

puis dans l'autre

en transport en commun.

en général je m'y sens bien

déchargé de mes obligations

je suis oisif sans avoir à rougir

de me consacrer à des activités inutiles

inefficaces

improductives

comme lire, écrire, ou penser à d'autres filles.

mais si le mouvement est devenu trop prévisible

ou si la veille au soir je suis allé au théâtre

lu un article qui m'a touché

si un ami qui souffrait de solitude m'annonce

qu'il a finalement

rencontré quelqu'un

j'essaie d'imaginer ce qui serait encore possible.

13 avril 2022

La fin en soi

quand elle apprend la séparation de ses parents

elle étouffe un cri

ils sont pour son fils de cinq ans

un dernier modèle de couple stable.

quand un couple est-il stable ?

tant que les deux personnes ne se séparent pas ?

en parlant d'une amie commune

qui quittait son mari

elle a parlé de l'échec de leur mariage.

quand un couple échoue-t-il ?

quand les deux personnes se séparent ?

je comprends que pour elle

l'amour qui s'éternise est une fin en soi.

souvent quand je déjeune au bistro du quartier

accoudé au comptoir j'écoute autour de moi

des couples stables

des mariages qui n'ont pas encore échoué.

parfois, pas toujours, je devine que les conjoints sont malheureux

à la manière dont ils se parlent

à la manière dont ils ne s'écoutent pas.

j'aime l'idée d'évolution

provoquée par des mélanges et des chocs aléatoires

le couple stable me terrifie.

nous nous serons aimé, je crois

et séparés avant de nous être insupportables.

13 avril 2022

À l'origine dans "mi-avril"

sur la ligne

assis en deux rangées qui se font face, nous patientons

nos corps sont ballotés légèrement, ils ont pris l'habitude

de compenser les accélérations

si c'est un peu trop long entre le signal sonore et le démarrage

les yeux s'ouvrent un peu

et les regards se croisent, s'interrogent.

à la station du centre-ville le métro se remplit

les nouveaux sont debout, pendus aux barres et aux poignées en caoutchouc.

je les regarde.

des masques chirurgicaux cachent la moitié de leurs visages

et pourtant ils sont beaux

pour la plupart

selon mon appréciation personnelle.

certains sortent du lot

une posture, un regard

une fille aux yeux dont l'iris est aussi noir que la pupille

des cheveux ondulés, des jean's ou des tenues inhabituelles

des cheveux relevés en chignon

un t-shirt cintré sur un corps androgyne.

certains ont les yeux et les doigts

accaparés par un écran

mais ce n'est pas la majorité.

certains ont les ongles et les yeux maquillés.

si le matin nous restons silencieux

au retour l'air est plus électrique

la journée a mis nos corps sous tension

les yeux brillent, semblent fatigués

la voix automatique qui annonce les stations

est aussi lasse et agacée.

je préfère l'aller au retour

mais je ne suis jamais pressé

d'arriver.

14 avril 2022

here come the warm jets

après une rapide inspection

on me remet la petite chose

emmaillotée

les mesures inquiètent un peu

on nous écarte dans une pièce sombre

encombrée de chariots

un genre de réserve

contre moi tu t'agites, j'entends ta petite voix

je te berce et murmure

un air de Brian Eno

mmh, mmhmmh

mmh, mmhmmh

cinq ans ont passé

nous continuons à faire fi des mesures en chantonnant

des airs qui nous rassurent

15 avril 2022

mi-avril

le soleil d'avril m’apaise

par sa chaleur discrète

nuancée d'un vent frais qui sent encore la neige.

petit pas de côté d'autant plus agréable

qu'il est un peu illégitime

j'ai laissé les enfants jouer dans le jardin

je suis parti à pieds au village

m'asseoir à la terrasse d'un café.

de l'intérieur me parvient

rassurante et intime

la voix de Jean-Jacques Goldman

ces moments de solitude

choisie

sont salutaires.

c'est le premier dimanche des vacances scolaires

les enfants jouent au jardin

le vent frais porte la neige des forêts de la Ruchère

mon café allongé refroidit.

le soleil est chaud.

je ne tiens pas mon stylo comme il faut.

17 avril 2022

sans être vu

il y a un petit coin dans la maison de saint-laurent

où on peut écrire

sans être vu.

on y entend les conversations

de ceux qui sont dans la cuisine ou dans la salle à manger

le poêle et la télé sont éteints

rien ne bouge excepté le balancier du coucou.

la lumière est changeante

tout se réchauffe quand le soleil

revient :

les lames clouées du parquet

le fauteuil de l'arrière-grand-père

la table basse encombrée de jouets

et de livres d'enfants,

des six derniers téléramas,

parfois d'un ancien numéro de courrier international.

il y a un petit coin dans la maison de Saint-Laurent

où je peux écrire

sans être vu -

jusqu'à ce que Lola

surgissant de l'escalier du garage

s'installe en souriant

pour lire par-dessus mon épaule.

21 avril 2022

la grande sure

le sentier où ruissèle l'eau des neiges fondues

serpente en longeant le torrent

nous le franchissons de temps en temps sur de vieux ponts moussus

dont on ne sait pas s'ils sont fait

de ciment ou de troncs d'arbres.

la pente devient vite assez raide

mais nos sacs sont légers

nous y avons mis du pain, du fromage et du chocolat noir

un thermos de chicorée

et nos pulls en polaire.

nous laissons les bois verts

pour les bosquets de résineux et les sentiers de cailloux

ici on appelle "la feuille"

le vert vif qu'on voit gravir la montagne

au fil des jours de printemps.

nous quittons la forêt

adossés à la paroi rocheuse nous contemplons la plaine

huit cent mètres plus bas

nous buvons un peu d'eau

essayons de reconnaitre les hameaux

en mangeant une poignée d'amandes.

les derniers mètres du sentier rocailleux

qui surplombent le cul-de-lampe

me rappellent

la passe imaginaire de Cirith Ungol dans le Seigneur des Anneaux

enfin nous franchissons le col.

nous sommes en montagne

les premiers névés étincelants de soleil

nous obligent à mettre nos lunettes

et à mouiller nos pieds.

nous perdons le sentier effacé par la neige

mais les deux cols sont bien en vue

les endroits où la neige a fondu

forment des ilots lunaires

où la végétation grise, aplatie et glissante

est percée de crocus mauves et blancs.

voici le col de la grand'vache

au-delà le vallon est recouvert de neige

sur notre gauche ont surgi

les sommets familiers de chartreuse

pour déjeuner nous trouvons une pente d'herbe sèche

ensoleillée

qui fait face au mont-blanc

et au grand som dont la croix se détache nettement.

la marche se fait plus laborieuse

nous essayons de suivre le sentier qui longe la crête

mais les névés sont gelés et pentus

alors qu'elle tenait ma main

ma compagne glisse et dévale toute la pente

jusqu'en bas.

nos chaussures sont gorgées d'eau

et nous sommes contents

nous avons atteint le vallon d'hurtière

et cherchons en naviguant dans l'archipel des névés

notre bivouac de l'été dernier.

au retour la forêt est enneigée et silencieuse

le sentier est tout enseveli

quand nous glissons une jambe disparait parfois jusqu'au genou

entre les panneaux

quand nous perdons les marques jaunes

nous revenons sur nos pas

les traces gelées que nous suivions des randonneurs avant nous

appartenaient en fait à d'autres animaux.

enfin le col de la charmette

nous changeons de chaussettes en vain.

notre fille est venue à notre rencontre

avec son grand-père

sur la route à l'abandon

nous retrouvons la deux-chevaux garée

au couvent de currière.

23 avril 2022

víressende

víressende, tensi loar quean né

sanin tyeo

melda seldenyo.

traduit du français au quenya par r/roandil

mi-avril, il y a dix ans déjà

je pense à toi

ma fille chérie.

24 avril 2022