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Rez et Haron

Drame galactique faisant suite à "La Troisième Porte"

Ouverture

Quelque-part dans la Voie Lactée.

LE CHOEUR DIFFUS COSMOLOGIQUE

Au milieu du silence, dans l’immensité glacée de l’espace, une étoile un peu différente semble se détacher des autres. Contrairement à ses voisines froides et figées, rares ici à la frange de la Galaxie, elle émet comme un faible rayonnement. En regardant plus attentivement on a même l’impression qu’elle clignote, ou vibre doucement. Et même… qu’elle grossit ? Un habitué des profondeurs spatiales, un navigateur, un commerçant ou un Traducteur ne s’y serait évidemment pas trompé : cette étoile singulière n’est pas un astre mais une construction humaine. Elle est trop lointaine pour que l’on puisse deviner sa vraie nature : une gigantesque station, une nef ? De quel tonnage ? Un chasseur, une caravelle ? Soyons patients, profitons encore un peu du calme, de la solitude. La faible densité des astres qui parsèment les recoins éloignés de la Voie Lactée est propice à la rêverie.

Quelques heures passent et voilà que l’image se précise, à mesure que l’objet se rapproche. C’est manifestement un navire. Un navire de l’ancien Gouvernement, semble-t-il, aux formes austères, utilitaires. Ces vaisseaux sont rares, de nos jours. Peu ont survécus à l’attaque meurtrière des Traducteurs, lors de la bataille de Rubim. Les autres ont été recyclés, vendus. Ou perdus. Il est difficile ici sans aucun repère d’évaluer sa taille, mais nous savons que ce type de navire peut héberger des milliers d’êtres humains, dans des conditions spartiates mais pas désagréables compte tenu de sa vocation militaire. Il glisse à présent devant nous, dans le silence absolu. Vue de près sa surface n’est pas régulière : elle est faite de tourelles, d’antennes, et de toutes sortes d’anfractuosités dont le but nous échappe. Sa forme de long galet évoque un antique sarcophage. Et d'ailleurs, à des années-lumière du système le plus proche, on ne peut qu'être persuadé qu'il s'agit d'une épave à la dérive, projetée peut-être initialement par les tirs de rayons qui ont causés sa perte, condamnée à glisser éternellement dans le vide. Grace à la magie des Portes les humains n'auront jamais besoin de vivre l'expérience du voyage interstellaire à travers l'espace. Et pourtant… Ce n'est pas une épave. Ses baies innombrables diffusent une lumière orangée, plutôt chaleureuse. Aussi incongru que cela puisse paraitre, ce vaisseau semble habité. Ses systèmes de survie en tout cas, fonctionnent.

Le temps lui aussi est délicat à objectiver, fascinés que nous sommes par ce spectacle. Enfin, avec une certaine majesté, la nef s’éloigne, replonge doucement dans le néant. Nous voyons les immenses tuyères du mystérieux système de propulsion spatiale, froides à présent que la nef a atteint sa vitesse de croisière, mais qui permettrait si besoin au colosse d'ajuster sa trajectoire sans heurt. Tandis que le mirage se dissipe, nous reprenons nos esprits : comment un vaisseau, de l’ancien Gouvernement qui plus est, pourrait-il se retrouver ici, au milieu de nulle part ? Dans quelle bras oublié de la Galaxie somme-nous ? Qui est aux commandes, quel est le but de son équipage ? Plus la nef s’éloigne, plus il nous semble avoir été victime d’une hallucination. Lorsqu’elle défilait devant nous nous aurions pu lire, si nous avions été attentif, moins perdu dans nos pensées, son nom gravé sur la poupe à coté du blason du Gouvernement. Mais il est trop tard à présent, le vaisseau a disparu, il a replongé dans les ténèbres. Notre attention se détourne, nous oublions cette rencontre improbable tandis que le vaisseau reprend sa dérive entre les étoiles.

Scène 1

Dans un bouge, sur Terre, 10 ans après la bataille de Rubim.

LE TENANCIER

HĂ© bien mon jeune ami que vous avez l'air sombre !

Vous ne nous quittez plus, tapis parmi les ombres,

Je ne m'en plaindrais pas j'aime la compagnie

Et puis vous n'êtes pas avare de crédits.

Mais au fil des années je vous vois dépérir,

On n'a plus le loisir d'entendre votre rire;

Je m'inquiète beaucoup de vos fréquentations

Comme de la teneur de vos consommations.

Vos fameuses recherches vous n'en parlez plus:

N'ĂŞtes-vous plus heureux la-haut Ă  l'Institut ?

Et Haron ?

REZ

Ces deux points me traquassent, c'est vrai.

LE TENANCIER

J'ai très peu de clients, nous pouvons discuter…

REZ

Je l'avoue mon travail commence Ă  me lasser

Et mon couple rencontre des difficultés;

Mais l'avenir hélas me laisse indifférent

Tant le passé me hante depuis quelque temps.

J'y ai tellement cru Ă  ce monde nouveau !

Vous savez j'y étais, caché dans un vaisseau,

Quand les nefs vengeresses ont surgi du néant;

Je pensais la justice justifier le sang,

Et rĂŞvais bien naĂŻf qu'un lendemain sublime

Surgirait du charnier des anneaux de Rubim !

LE TENANCIER

Bah ! Nous sommes en paix, c'est bon pour les affaires.

REZ

Certains ont pourtant bien profité de la guerre.

Mais malgré le confort que nous offre la science

Et les secteurs soumis presque sans résistance,

J'en viens à regretter les grands événements

Qui ont anéanti le vieux Gouvernement.

Ceux qui ont le pouvoir l'ont saisi par la force

Après une tuerie fulgurante et atroce

Préparée en secret des décennies durant

Contre les Renégats et l'ancien Président;

Puis ils ont remplacé nos institutions

Il est vrai corrompues - par quelques Ă©quations.

La gestion des experts n'est pas moins tyrannique :

Une dictature certes scientifique

Donnant tous les pouvoirs Ă  un clan de savants.

LE TENANCIER

Vous préférez alors la loi des ignorants ?

REZ

Je crois que les chercheurs doivent être écoutés

Mais que c'est toujours au peuple de décider.

Vous approuvez les lois de la saison dernière ?

LE TENANCIER

Si j'ai la liberté de mener mes affaires,

Je m’accommoderais de tout tyran qu'il fut

Appelé Président, Sénat ou Institut.

Je sais bien l'influence, je les ai conçues,

Des diverses substances que vous avez bues;

Mais j'aperçois aussi à travers leurs vapeurs

Une grande tristesse au fond de votre cœur.

Vous me l'ouvrez ce cœur mais n'avez pas tout dit:

Je soupçonne un rapport avec Haron Sheldi…

REZ

Tenancier clairvoyant que puis-je vous cacher ?

LE TENANCIER

Ce talent fait partie aussi de mon métier.

REZ

Mes recherches semblaient heurter le bon vouloir

Des quelques oligarques gardiens du savoir

Je me suis donc soumis, enfin en apparence

Mais approfondissant chez moi mes connaissances

J'ai mené en secret ma plus belle campagne

Bien aidé en cela par Haron, ma compagne.

J’avais imaginé avant notre rencontre

Ma propre théorie qui allait à l’encontre

Des dogmes Ă©tablis par les sciences Eldares

Que vous avez le don de me rendre bavard !

Ou l’une des potions que vous m’avez versées

Rend-elle volubile qui se veut discret ?

Sans trop en révéler car c’est notre secret

Haron et moi avons depuis lors démontré

Que mes premiers articles faisaient fausse route.

Après quelques années de travail et de doute

Nous avons relancé moi mes ordinateurs,

Elle ses théorèmes enfin notre labeur,

Cependant à mesure que nous avançons

Je sens que se dégrade notre relation;

Et près de récolter le fruit de tant de peines

Nous ne nous parlons plus depuis quelques semaines.

Ainsi vous me trouvez hirsute l'air d'un fou :

Haron m'a contacté nous avons rendez-vous.

LE TENANCIER

Je comprends en effet que vous soyez nerveux

Mettez-vous dans l’alcôve vous y serez mieux

Mais voici votre amie qui passe le perron !

Servez-lui donc ceci (offert par la maison).

Scène 2

HARON

VoilĂ  oĂą tu te caches quand tu disparais :

Un bar pire que tout ce que j’imaginais.

REZ

Et oĂą te caches-tu quand tu en fais autant ?

HARON

Dans un bouge semblable, quartier des marchands.

REZ

Mon ami tenancier t'offre cette boisson.

HARON

De couleur impossible on dirait du poison.

REZ

Il sait son affaire, bois en fermant les yeux.

HARON

Bon, bon, je vais gouter… hmmm, oui c'est délicieux !

REZ

Haron, écoute-moi…

HARON

Rez, tu avais raison.

REZ

Non c'est toi qui…

HARON

Je parle de ton intuition.

J'ai passé des semaines à revoir les modèles

Prête à abandonner j'ai enfin trouvé celles

Cachées parmi les couches de programmation

Des lignes qui faussaient notre simulation.

J'ai décidé d'entrer à l'Institut, de nuit,

Emprunter les serveurs de nos anciens amis

Je venais chaque soir relever les calculs

Mais ils avançaient à un rythme ridicule.

Maudissant ton absence, ignare en piratage

J'ai finalement pu me forcer un passage…

REZ

Lançant bien le brouilleur de pistes stochastique ?

HARON

… Vers l'interface d'un calculateur quantique !

REZ

Allons donc ce projet n'a jamais abouti.

HARON

Il est bien en orbite et ils nous ont menti.

Rez que ne pourrait-on réaliser nous deux

Si nous avions pour nous un tel terrain de jeu !

En trois nanosecondes c'était terminé

Quand mon ordinateur aurait mis trente années;

J'ai tous les résultats sur mon bloc mnémonique.

REZ

Haron, ce que tu dis: la partie théorique…

HARON

Est Ă©tablie.

REZ

Quand je passais mon temps ici

Toi tu parachevais l’œuvre de notre vie !

Alors que je pleurais tristement sur mon sort

Toi négligeant les risques, poursuivant l'effort !

Que ne te dois-je Haron, combien de fois as-tu

Vu les erreurs de mes théories farfelues

Corrigé les bêtises des premiers brouillons

Qui changeaient la vitesse mĂŞme des photons !

Combien de fois m'as tu retrouvé au matin

Quand j'avais divagué au quartier des Marins…

HARON

Rez allons souviens-toi quand on s'est rencontrés

C'est toi qui me trainais hors des bars mal famés.

Assez du passé ! Le plus dur est à venir !

Car c'est un prototype qu'il nous faut construire !

REZ

Ainsi est confirmée la grande théorie…

HĂ©las l'une de mes pires craintes aussi.

Je nourrissais depuis très longtemps le soupçon

De recherches menées hors de notre attention.

L'humanité n'aurait pas la soif de savoir,

De comprendre en dehors de l'héritage Eldar ?

Ainsi depuis les Portes pas de vraie avancée

Comme si toute la science était bloquée.

Nos ordinateurs n'ont pas changé en cent ans !

Rien n'est sorti du Havre Ă  part des armements !

Le but de l'Institut je ne le connais pas

Mais cette découverte va même au-delà

De ce que je craignais du mensonge d’État.

La machine quantique… Ils en sont déjà là…

HARON

Le tenancier lĂ -bas me semble bien nerveux.

REZ

Il nous a fait un signe allons voir ce qu'il veut.

Scène 3

LE TENANCIER

Pardon d'interrompre vos belles retrouvailles :

J'ai des informations dont je crois qu'elles vaillent

Que vous fassiez l'effort de remettre Ă  plus tard

Les mots doux que sans doute vous disiez ce soir.

Pour la sécurité des aimables clients,

Partout dans le quartier et ceux environnants

J'ai des amis qui veillent et qui me font savoir

Si un événement se produit quelque-part;

Or en cet instant marche tout un régiment

De la Police vers mon Ă©tablissement.

Je n'ai aucun doute sur votre probité;

Mon modeste troquet parmi ses habitués

Comprend des spécimens en nombre suffisant

Qui pourraient justifier un si lourd déploiement.

Mais c'est calme ce soir et vous avez tenu

Des propos séditieux envers votre Institut.

Sachez donc que du bar Ă  toutes fins utiles

Quelques issues cachées vont à la vieille ville.

HARON

Mon message aurait donc été intercepté ?

REZ

Impossible sur le canal utilisé.

As-tu été suivie ?

HARON

J'ai emprunté des voies

Qui ne sont j'en suis sûre connues que de moi.

REZ

Je n'ose imaginer. Mais c'est donc après moi

Que l’État policier a lancé ses soldats.

J'en déduis donc Haron que c'est toi qui doit fuir:

Pour te gagner du temps je vais les retenir.

HARON

Si tout est découvert tu seras arrêté.

REZ

Aucune importance face Ă  notre secret !

Si ton bloc de données est saisi par ces gens

Dix ans de notre vie sont réduits à néant.

Va Haron ! Les voies sombres ne te font pas peur.

Tu pourras contacter notre ami SĂ©nateur:

Fölls a gardé je crois certaines relations.

HARON

Te laisser et m'enfuir ! HĂ©las ! Tu as raison !

LE TENANCIER

Alors suivez-moi vite ils sont juste à l'entrée.

Scène 4

LE TENANCIER

Vingt policiers armés pour un simple suspect

Dont le seul tord semble être d'avoir réfléchi

Ou mené des recherches un peu trop abouties…

Quand mĂŞme quel aplomb ! Le fixer dans les yeux

En répondant à cet officier suspicieux

Qu'il a quitté Haron, ne veux pas parler d'elle

Et que depuis deux ans il n'a plus de nouvelle !

Car c'est bien elle que ces agents recherchaient.

En espérant que Rez puissent les renseigner

Ils l'ont emmené le serrant brutalement

Après avoir chassé tous les autres clients.

D'un régime censé glorifier le progrès

On aurait attendu un peu plus de respect.

Rez avec ses discours a peut-ĂŞtre raison

Je me contente de débiter des boissons

A ces laissés-pour-compte, habitants des bas-fonds

Dont je vois chaque jour monter l'indignation.

Ici et sans doute dans des milliers de bars

Sur Terre et les Secteurs une action se prépare.

Après la chute du système corrompu

Viennent les Traducteurs et que d'espoirs déçus !

Que d'oubliés voient leur liberté bafouée

Au nom du confort et de la sécurité !

Je sens qu'une colère est en train de monter

Même si on l'entend seulement murmurer…

LE CHĹ’UR DIFFUS COSMOLOGIQUE

Les événements s'enchainent selon la mécanique implacable des causes et des conséquences. Chaque étincelle participe au grand feu d'artifice. Le Gouvernement, les Traducteurs, la Terre et ses Secteurs parsemés, sont autant de clins d’œil éphémères. Tout fait, faisait, fera partie de cette belle valse chaotique, même les Eldars, à leur façon, pour désincarnée, ambigüe, et terrifiante qu'elle soit.

LE TENANCIER

VoilĂ  que sous le coup de fortes Ă©motions

Me parle le Destin. Ou alors la boisson.

LE CHOEUR DIFFUS COSMOLOGIQUE

Nous ne sommes pas le Destin, seulement un souvenir évanescent, l'éternel écho de la naissance de l'Univers. Sa mémoire perdue, son inconscient peut-être. Nous voyons, nous entendons, et nous oublions.

LE TENANCIER

Cela ne m'aide pas vraiment à décider:

Dois-je conserver ma vieille neutralité

Importante il me semble dans ma profession ?

Ou bien l'abandonner au profit de l'action ?

LE CHOEUR DIFFUS COSMOLOGIQUE

Chacun décide ce qu'il fait. Les humains parfois agissent, parfois subissent, mais nous, nous observons.

LE TENANCIER

Demain vient celle qui prétend qu'on l'a privée

De son siège au Sénat à cause de ses idées:

Elle est souvent ici depuis son Ă©viction

Parlant avec les gens de la situation.

Peut-être aussi que ce vieux poète viendra

Celui qui avait fuit un Secteur Renégat:

J'irai participer Ă  leurs conversations.

Scène 5

Haron Sheldi, Fölls Nartigan.

En communication sécurisée.

FOLLS

Anonyme et crypté ? Qui prend ces précautions ?

HARON

Bonjour Fölls, c'est Haron. Cela fait quelque temps.

FOLLS

Haron ! Quelle surprise ! Que je suis content !

Je pensais qu'on devrait se revoir tous les trois

Pour refaire le monde au bar comme autrefois !

HARON

Le monde a bien changé.

FOLLS

Nous aussi et tant mieux.

Mais dis-moi donc pourquoi tu as l'air si anxieux ?

HARON

Rez est sous les verrous.

FOLLS

Comment ! Pour piratage ?

HARON

C'est un peu plus sérieux : trahison et outrage.

L'histoire serait un peu longue à résumer

Mais Rez et moi menions dans le plus grand secret

Des travaux hors du champ officiel de la science.

L'Institut qui pourtant prĂ´ne la concurrence

Travaillait semble-t-il sur le mĂŞme sujet;

N'ayant pas apprécié de se faire doubler

Le régime effrayé a envoyé ses sbires

Et Rez s'est rendu pour me permettre de fuir.

FOLLS

Si je suis effrayé par ce que tu me dis

Je mentirais si je m'en prétendais surpris;

Mais le régime va bien trop loin cette fois.

Qu'avez-vous donc trouvé qui vaille un tel éclat ?

HARON

Fölls, si tu le savais ! Je vais te l'expliquer !

Mais dis-moi avant tout si tu pourras l'aider !

FOLLS

As-tu conscience du caractère inédit

De la situation des Secteurs aujourd'hui?

HARON

Nos travaux nous imposent une telle tension

Qu'il s'en fallut de peu que nous nous séparions.

Alors la politique…

FOLLS

L'Espace se délite

Et un nombre croissant de systèmes le quitte :

Naissent Républiques ou régimes autoritaires

Refusant la gestion centrale de la Terre.

L'Institut – car c'est lui qui détient le pouvoir

Le Sénat n'étant plus que l'ombre de sa gloire –

RĂ©git avec le Havre trente-cinq Secteurs.

C'est le nombre officiel. Mais il est très trompeur.

Les régions révoltées peuvent tenir leur Porte.

De Uhu mĂŞme on est sans nouvelle de sorte

Que je suis aujourd'hui Sénateur sans planète.

Autant dire que mon influence est discrète.

Jamais je ne pourrai sortir Rez de ce pas

Surtout si il détient quelque secret d’État.

HARON

Je comprends.

FOLLS

Cependant…

HARON

Tu as une autre idée ?

FOLLS

Je pense en premier lieu à ta sécurité.

Es-tu sûre de ton système de cryptage ?

HARON

Rez l'a implémenté, j'ai conçu le chiffrage.

FOLLS

Le sixième Secteur je l'ai dit va tomber

Or je suis en contact avec les insurgés :

Mon frère fait partie d'un groupe politique.

Nous pourrions emprunter ma nef diplomatique

Et demander l'asile à Uhu dès ce soir.

HARON

Je serais réfugiée, à l'abri des regards…

FOLLS

Ensuite nous devrons contacter l’Institut

HARON

Et le prototype pourrait être conçu…

En quelques semaines… Cela pourrait marcher…

FOLLS

Et dès lors nous pourrons lancer des pourparlers.

Haron, entends-tu ?

HARON

Oui…

FOLLS

Tu dois être choquée.

Je sais les épreuves que tu as traversées

Mais nous devons agir au plus rapidement:

Nous avons face Ă  nous des ennemis puissants.

HARON

Fölls. Un mois de travail et l'Univers entier

Ne pourra leur offrir assez pour négocier.

FOLLS

Haron ! Qu'as-tu en main, qui te rendrait si forte ?

HARON

La théorie offrant la maitrise des Portes.

Coda

HARON

Rez ?… Rez… Prends ma main, Rez, m'entends-tu ? Flotte avec moi, viens. C'est fini, Rez, tout est fini. On avait raison. Bien sûr. Vole avec moi, Rez. Regarde comme c'est beau ! Les nébuleuses, les nuages incandescents, les étoiles par milliards. Nous sommes l'enfant des étoiles Rez, nous sommes David renaissant après avoir atteint Jupiter. Souviens-toi de nous, je t'en pris. J'ai essayé de faire quelque-chose. Nos ennemis sont inébranlables, ils ne renonceront jamais, ils tuerons comme sur Uhu, les Traducteurs ont vitrifié la planète. Ils tortureront comme ils t'ont torturé, Rez, pour garder le pouvoir qu'ils ont saisi ce jour sanglant, maudit, au dessus de Rubim. Tu es Eärendil survolant l'univers son Silmaril sur le front, je suis Bai-Niang traversant en kimono blanc l'espace infini des étoiles pour demander grâce au Dieu-Dragon. Nous virevoltons dans le TechnoCentre. Les Eldars n'existent pas, Rez. Nous seront les Eldars. Nous sommes entre les Portes, dans le Grand Terminal de l'espace et du temps. Ma connaissance est ténue, ma compréhension parcellaire, mon pouvoir infime, mais le chaos règne, on peut influencer le cours des choses. On peut influencer le cours de l'histoire. Je ne sais pas où sont nos corps tandis que nous flottons dans cet Interzone, Rez. Te souviens-tu de nos corps ? Nos corps serrés l'un contre l'autre. Nos corps en apesanteur ou soumis aux attractions terrestre ou lunaire, aux accélérations des nefs de l'Institut. Nos corps nus et apeurés. Nous retrouverons nos corps puisque nous vivons, je suis en train de te parler, je te vois, nous surgirons d'une Porte spontanée quelque part, parle de téléportation quantique si cela te rassure, et nous préparerons notre retour, le retour de l'humanité, le retour de l'Etoile de l'Ouest. Nous serons les Eldars tels qu'ils auront été. J'ai essayé de faire quelques chose. Tu avais gardé l’équation, en tout cas sa signature, sa graine. Je l'ai replantée. Je l'ai nourrie, je l'ai observée, je l'ai vue grandir, je l'ai vue partir. Je l'ai suivie. A travers des chemins troubles, entropiques, tu aurais dit stochastiques ! Nous sommes les princes d'Ambre Rez, voyageant entre les Ombres. J'ai suivi l'équation jusqu'à cette journée, jusqu'à l'Etoile de l'Ouest en orbite au dessus d'Eldakôr. Ça n'a pas été simple, bien sûr. Ça ne l'est jamais. Le chaos encore une fois, dans notre couple comme partout ailleurs. Ces dix années. Tellement intenses qu'on ne parle plus d'être heureux ou non, juste d'être vivants, ensemble. Il a fallu trouver une planète : je l'ai trouvée. Aux confins de la Voie Lactée, dans un beau système binaire. Ici nous allons réunir les survivants, les résistants; ici nous seront les Eldars. Nous aborderons ce monde avec la rigueur scientifique qui fait défaut à l'humanité depuis la découverte des premiers temples. Paradoxalement, nous créerons ces temples, bien sûr. Ne prenons pas de risques. Nous seront des Eldars, pas des Dieux. Nous seront Paul à l'orée du Sentier Doré. Prends ma main. Caresse-moi comme autrefois. Regarde, c'est la Tarentule, la nébuleuse NGC 2070. Les secteurs sont à feu et à sang. Les révoltes ont été réprimées avec une brutalité féroce autant que millimétrée. Fölls a disparu, son frère et ses parents ont été vitrifiés avec leur planète. Partout le régime a montré son vrai visage: violent, totalitaire. La conclusion logique de Rubim, Rez. Pire que tout ce que tu craignais. Nous sommes Beren et Lúthien, nous sommes les psychohistoriens de la Seconde Fondation. J'ai renvoyé l'équation vers cette planète, notre planète. L'Étoile de l'Ouest traversera-a-traversé la porte d'Eldakôr et plongera-a-plongé dans les couloirs étranges. Elle surgira-a-surgi au-dessus de notre planète et decouvrira-a-découvert notre héritage. Parions qu'une partie des naufragés osera le grand voyage, la traversée générationnelle; espérons que leur descendants survivront; imaginons leur retour, rêvons-les sauveurs de l'humanité. Voila Rez, mon Rez aimé, c'est ce que j'ai imaginé, nous sommes vivants mais il y a eut un accident, cela ne s'est pas passé comme prévu. J'avais besoin de toi pour construire cette Porte. La cible était si étroite, le délais bien trop court. Je t'ai arraché à cette chambre de torture quelques jours avant la date prévue de ton exécution, puis le tunnel s'est effondré, les Portes se sont fermées. Et j'ai flotté des siècles ou une seconde, nue, terrifiée dans l'obscurité, avant de comprendre, j'aurais pu devenir folle mais j'ai choisi une autre voie, j'ai choisi la voie des Eldars. Puis j'ai senti ton souffle dans mon cou. Nous avons du travail, Rez, énormément de travail, mais avant de commencer si nous passions un peu de temps tous les deux ? Tu souris, je lis dans tes yeux peur et admiration; je suis touchée. Mais je vois autre chose, du désir. Embrasse-moi Rez. Serre-moi fort. Nous avons tout l'univers autour de nous, les amas de galaxies éblouissants, les nuages d'hydrogène et les supernovæ. Embrasse-moi encore.