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Ces parfums qu'on devine

Tant pis pour le sud.
C'Ă©tait pourtant bien :
On aurait pu vivre
Plus d'un million d'années.

Nino Ferrer

Elle commence à sentir la fatigue après Lançon-de-Provence. Nous roulons depuis plusieurs heures, il fait nuit maintenant, nous avons mangé sur l'aire avec les enfants sous les réverbères et la Lune presque pleine, à la terrasse de la boulangerie Paul. L'établissement était fermé mais régulièrement des voyageurs fatigués, des couples ou des familles, s'approchaient des portes vitrées qui restaient fermées, ils scrutaient un peu à l'intérieur, voyaient que le personnel était en train de faire la caisse ou le ménage, des fois ils nous demandaient : c'est fermé ? Cela amusait Salomé.

Vu d'ici, le sud se réduit à un entrelacs d'autoroutes, les numéros se succèdent au fil de notre itinéraire : A7, A8, A52, A501, A50, A57. Régulièrement nous traversons des gares de péage, je passe ma carte bleue à Julia qui paye sans contact, de ma place je ne vois pas les montants. J'ai une boite de chocolats sur les genoux, Julia les grignote pour se tenir éveillée, elle me demande de plus en plus souvent : un petit chocolat ?

Nous atteignons enfin la côte, on voit la mer grâce au reflet de la Lune. Après Toulon et son tunnel nous manquons la dernière aire de repos, il y avait des travaux, la signalétique n'était pas claire et la sortie provisoire faite de blocs de bétons peu visibles. Julia avait prévu de prendre un café pour l'aider à tenir, il reste une heure de route mais elle devra faire sans, je vois ses yeux concentrés sur la route, son visage, ses épaules, son corps tendu.

Nous empruntons la route du littoral en direction de Saint-Tropez. Au Lavandou, avec mon téléphone je prends une photo de la boutique Zannini que j'envoie à notre groupe de famille. Il est minuit et demi, je risque de réveiller Papa qui laisse souvent son téléphone allumé avec de fortes notifications sonores. Les enfants ont fini par s'endormir.

Les yeux rivés sur l'écran du GPS nous manquons l'entrée de l'impasse. Nous faisons demi-tour un peu plus loin, vers le camping, puis je dis : c'est là, c'est là, mais cette fois nous nous engageons sur le chemin de la plage, Julia doit faire marche arrière. Je devrais reconnaître, je le sais : les cyprès, l'arrêt de bus, les poubelles. Je descends taper le code du portail que Papa m'a envoyé, pour moi ce portail est une nouveauté, un changement, mais le code : 2005A.

Dans la lumière des phares je vois la silhouette de Papa. Sacha ne se réveille pas quand je le sors de la voiture pour le porter jusqu'à la chambre. Pour cela je dois marcher sur les aiguilles de pins séchées, monter le petit escalier de la terrasse. Je dois regarder le chauffe-eau au dessus de l'évier de la cuisine. Je dois regarder la chasse d'eau et sa chaînette. Je dois regarder la rampe en corde de l'escalier, je dois entendre les vibrations, la fréquence du son de mes pas sur les marches, je dois voir les trois fenêtres minuscules dont l'une est ouverte. Julia est fatiguée, elle va se coucher, moi j'ai envie de voir la plage. En bas du petit sentier il y a un nouveau lotissement (mais alors le son des balles de tennis, les canisses en bambou derrière le bar les Tamaris ?), et même un portillon. Je maugrée un peu, tente ma chance avec 2005A, avec succès. Un groupe d'ados est sur la plage, avec une enceinte bruyante, deux mecs se baignent tous nus en braillant et en éclaboussant.

Je m'assoie contre le petit mur, j'ai enlevé mes chaussures, le sable est froid. Entre les cris des jeunes j'entends les vagues. Je regarde la lumière clignotante du phare de l'Île du Levant. J'ai le sentiment que mes émotions de ces dernières années sont comme résumées, à cet instant, sur la plage.

Il faisait chaud, le chant des grillons ne s'interrompait pas de la journée. Si parfois fois l'un s'arrêtait, l'autre reprenait, doucement d'abord et puis après quelques secondes il trouvait son rythme. L'enfant lisait sur une chaise longue, un roman de science-fiction américain des années soixante, traduit en français dans un volume des éditions Pocket à couverture argentée avec une illustration surréaliste. Autour de lui les membres de sa famille somnolaient ou lisaient aussi, des romans, le journal Le Monde, son oncle Joseph fumait la pipe en tenant un ouvrage de philosophie. Les cousines de l'enfant étaient concentrées sur leurs cahiers de vacance, à une petite table au milieu de la pinède.

Parfois il mangeait quelque-chose pour le goûter, puis il partait à la plage. Il ne savait pas quelle heure il était ni quel était le jour de la semaine. Il enfilait un maillot de bain, mettait une serviette sur ses épaules et partais pieds nus. Il aimait ces sensations sous ses pieds : la poussière et les longues aiguilles de pins parasol autour de la maison, le bitume irrégulier une fois passé le portail noir, rugueux au début, caillouteux, puis plus lisse, toujours très chaud. Trois marches de bétons pour rejoindre le sentier bordé de bambous: la terre, le sable, les feuilles séchées qui crissaient sous ses pas. Enfin il descendait le dernier escalier, claudiquait sur le sable brûlant de la plage, embrassait la baie, la clameur des vacanciers et les vagues, ébloui par le soleil.

L'enfant retrouvait ses cousins ou ses tantes déjà installés, étendait sa serviette à coté, puis partait se baigner. Il ne nageait pas longtemps mais il aimait rester jouer un peu dans l'eau. Il s'allongeait ensuite sur la plage, fermait les yeux, les cris des autres enfants se faisaient plus lointains, le soleil séchait sa peau, sur ses lèvres il savourait le goût du sel.

En général une fois dans l'été, quand ils étaient tous réunis, avec ses sœurs et ses cousines du même âge ils préparaient un spectacle. Cela les occupait des après-midis entiers. Une année ils avaient découpé des cartons trouvés près des poubelles du club de vacances voisin en formes de Tétris géantes, pour rappeler les parties de Game Boy dont la musique résonnait dans la pinède, le soir ils chantaient : tin, tinlinlin, tinlinlin, en construisant un mur avec les pièces qu'ils avaient décorées. Une autre fois ils avaient imité le marchand de beignets de la plage, personnage surprenant et emblématique qu'ils retrouvaient chaque été. Ils jouaient des scènes de films d'animations qu'ils connaissaient par cœur, faisaient des tours de magie en mettant des objets en lévitation avec du fil de pêche.

Ils annonçaient la date du spectacle à leurs parents, rédigeant et illustrant un programme avec la liste des numéros. Ils installaient une scène avec un rideau, des chaises, des illuminations, utilisant l'auvent et la terrasse dallée de la caravane pliante de Annie et Fred, un oncle et une tante de l'enfant. Souvent leurs saynètes rappelaient des événements qu'ils avaient vécus collectivement, adultes et enfants, cet été.

A la fin du spectacle ils faisaient la quête. Les parents étaient généreux, Moumou aussi. Avec l'argent ils achetaient des sachets de chouchous sur la plage. Une année ils avaient pu s'offrir le jeu de société Hôtels.

La plante de leurs pieds était noire à force de marcher pieds nus. Le temps était différent à P. Les après-midi étaient interminables, mais dans le bon sens. L'enfant lisait, étourdi par la chaleur et le chant des grillons. Le soir ils rejoignaient leurs tentes disséminées dans la pinède. L'enfant avait une petite canadienne, son duvet des Scouts de France. Il lisait encore un peu à la lumière de sa lampe de poche.

A l'origine, nous devions louer une maison en Bretagne pour les vacances scolaires du mois d'avril. Cela permettrait de se retrouver, de passer du temps ensemble, et nous rappellerait l'époque où nous vivions à Rennes dont tout le monde garde un bon souvenir. Mes parents pourraient profiter de leurs petits-enfants, et quand ils s'occuperaient d'eux cela nous laisserait du temps à Julia et moi pour courir ou faire du vélo. Papa et Julia avaient épluché les offres et sélectionné une maison dans le Finistère sud. Mais quelques semaines après le gouvernement a annoncé qu'il était désormais interdit de voyager en dehors de sa région, nous avons dû annuler. Nous avons convenu de reporter pour les vacances d'été, si les déplacements étaient de nouveau autorisés.

Nous décidons de réserver pour la deuxième partie du mois de juillet. Nous irons du coté de Concarneau, c'est loin mais Julia dit que nous pourrons faire une étape vers Tours ou Angers. Constance ne pourra pas nous rejoindre, et Eulalie sera là mais elle n'a qu'une semaine de congés, elle viendra quand même les quinze jours et commencera le séjour en télétravail.

Le premier soir alors que nous buvons le traditionnel pastis, Papa m'annonce que Joseph souhaite vendre P. La maison que mon grand-père Amédée avait fait construire sur son terrain au début des années cinquante est en indivision entre ses quatre enfants. Les frères et sœurs ont été un peu pris de cours mais personne ne semble prêt à racheter la part de Joseph, alors la maison a été estimée et confiée à une agence qui l'a évaluée à un million-quatre-vingt-dix-mille euros.

Papa téléphone à ses sœurs, ses neveux. Olivier est particulièrement affecté. Il vient encore régulièrement, l'été. Il pense pouvoir convaincre les uns ou les autres de racheter la part de son oncle, Annie culpabilise un peu, d'autant que Fred aussi serait tenté. Mais Annie pense que c'est un bon moment pour vendre, l'immobilier est favorable et elle a moins envie d'y aller, elle doit éviter le soleil maintenant, et il faut dormir dans la caravane. Elle préfère venir dans leur petite maison en Ardèche, au bord de la rivière.

Julia me demande si je suis affecté. Puis elle me propose d'aller à P. Je la regarde. Elle me dit que je pourrais prendre mon lundi, cela ferait déjà trois jours pour en profiter, puis télétravailler ensuite. Elle est d'accord pour prendre la route vendredi après ma journée de travail et rouler de nuit, c'est l'occasion et cela sera sans doute la dernière fois. Je lui dit que c'est inespéré, même si la trajet m'inquiète. Je vais revoir P. Je vais sentir ses parfums et ses aiguilles me piquer les pieds. J'y suis peu retourné depuis que je vis avec Julia. Nous y sommes allé au début où nous étions en couple, et puis une fois ou deux, quelques jours seulement. Nous préférions passer des vacances plus sportives, plus actives, marcher en montagne ou faire du vélo.

Je parcours la pinède silencieuse. Je ne sais pas si c'est dû à la saison tardive (quand j'étais enfant nous étions rarement à P à la fin du mois d’août) mais on n'entend pas les grillons. Je pense à la chanson de Michel Berger interprétée par France Gall : "silence les grillons, sur les branches immobiles." Je m'amuse à prendre des photos des endroits typiques, comme la cuisine, ou le gros coquillage au dessus de la porte de l'ancienne chambre de Moumou, pour les envoyer à mes sœurs. Des trois caravanes qui restaient toute l'année sur le grand terrain il n'en reste qu'une. Joseph a enlevé la sienne que je voyais à cet emplacement depuis la première fois que je suis venu à P, quand j'avais un mois.

Julia apprécie beaucoup le séjour à P, d'autant plus qu'il était inattendu. Le matin elle part tôt en vélo ou en courant, l'après-midi nous lisons et profitons de la plage avec les enfants. Maman est un peu en colère, contre Agnès qu'elle n'a jamais vraiment appréciée, contre Joseph. Comme souvent elle tient des discours un peu contradictoires, elle aurait aimé que l'on puisse se retrouver à P plus souvent, mais cela n'était pas possible car Joseph avec ses enfants et petits-enfants occupait la maison en pleine saison, sans demander leur avis aux autres membres de la famille. J'essaie d'expliquer à Maman que ce n'est pas pour cette raison que nous sommes si peu venu ces vingt dernières années, Julia et moi.

La télévision n'était pas allumée souvent. Elle était posée dans un coin du salon, à coté d'un lit bibliothèque qui contenait des livres, des sélections du Reader Digest, un Quid des années quatre-vingt, quelques romans d'Agatha Christie. Parfois Christiane allumait la télé pour regarder avec sa fille des feuilletons incompréhensibles pour l'enfant, comme Santa Barbara. Un soir, la famille s'était réunie et Stan un cousin plus âgé avait branché le caméscope de Fred. Il allait projeter le film qu'il avait tourné l'après-midi. C'était un Western parodique pour lequel il avait enrôlé toute la famille, les enfants jouaient les acolytes d'un bandit joué par Joseph.

Stan avait enclenché la lecture, l'écran n'affichait que des parasites, puis l'écran titre était apparu. C'était une feuille A4 à petits carreaux sur laquelle le titre du film était écrit au stylo. Après quelques plans très courts le réalisateur proposait une vue des pins du terrain de la maison soutenue par un thème d'Ennio Morricone. Pour que la musique se superpose aux scènes filmées, Stan avait positionné les écouteurs de son walkman sur le microphone du caméscope.

Dans le film, le cow-boy joué par Stan essayait de recruter des villageois pour se battre contre l'invasion de Joseph et sa bande. De son propre aveux, l'objectif de Joseph le Terrible était de piquer le pognon du vieux. L'enfant jouait aussi, dans une scène de mise à sac de la pinède, renversant les chaises longues, attaquant un oncle avec un lasso fait d'une corde à sauter fluo. Il avait refusé de participé au début, sans doute à cause du mélange de timidité et d'arrogance qui le caractérisait puis il s'était laissé convaincre ou avait voulu partager la gloire de ses cousines.

Sur certaines scènes on entendait les commentaires des enfants restés hors-champ, parfois même le rire contenu du cadreur. Quand les six premiers cow-boys recrutaient le villageois joué par le père de l'enfant, celui-ci s'exprimait en imitant le Général de Gaulle.

Dans la dernière scène on voyait Joseph face aux sept combattants mimant une chevauchée puis marchant lentement les mains de chaque coté des hanches, prêts à dégainer leurs colts imaginaires. Joseph faisait face au reste de la famille. Puis les Sept Connards l'abattaient contre le portail. P était libérée, les villageois célébraient la victoire. Un narrateur déclarait : le calme était revenu à P-City, sur l'image de Constance la petite sœur de l'enfant, âgée de deux ans, que la caméra suivait en gros plan pendant qu'elle mangeait un morceau de pain.

Je n'ai pas beaucoup de souvenir précis de cet été, seulement quelques images, ce qu'on pourrait appeler des scènes. Je crois même que je mélange les années : 2002, 2003 ? Mais je penche pour l'été 2002, parce que j'ai retrouvé un e-mail envoyé à Sam en octobre de la même année, et ce serait logique que je le lui ai écrit juste après. Je pense que l'année suivante j'étais déjà bien revenu de tout ça (l'amour).

Voilà ce que j'écris à Sam dans cet e-mail : J'imagine que tu te doutais que ça ne durerait pas comme ça, qu'un Antoine c'est un Antoine, et un Antoine qui ne doute pas c'est peu naturel. Du coup, je ne sais plus où j'en suis, ni ce que je veux, bref, dans quelques mois on pourra dire: "ouais, vers le 8 octobre, c'est là que t'as commencé à douter."

Pour mon vingt-cinquième anniversaire Sam a imprimé et relié comme un dossier de fac une sélection d'e-mails parmi ceux que je lui ai envoyés depuis qu'on se connaît. Le titre du recueil est "Les annales d'Antoine", sous-titré "le meilleur de ton cul". C'est là que j'ai retrouvé ce message d'octobre 2002, au début il y a même le premier texte où j'évoque Julia rédigé environ un an auparavant, prénom parmi une liste de prénoms de filles (Aurélie, Sophie, Lætitia) de ma promo de licence. Il y aura un autre texte, dans mon journal, seize ans plus tard. Quelque-chose avec le mois d'octobre.

Il y a un autre problème : dans certaines scènes Sam est avec nous à P, dans d'autres je suis sûr qu'il n'y a que Julia. Il nous a rejoint plus tard ? Peut-être. Ou alors encore une fois, je confonds les étés. Les derniers étés à P : avec Baptiste, avec Apoline et Stan, avec Jean-Philippe qui regarde et commente le physique des gamines en maillot une pièce, serviette de plage posée à coté de celles de leurs parents. Hélène et un type le soir sur la plage, qui se mettent à l'écart sur un regard et un petit hochement de tête : quelle année ? Le groupe de marseillais à l'accent exagéré, qui jouent Burn One Down quand passent les filles en faisant tourner du pastis dans une bouteille en plastique ?

Avant P, d'autres images : nous remontons l'avenue des Frères Lumière serrés l'un contre l'autre. Nous nous embrassons dans le métro, son parfum, ses cheveux longs. Nous nous retrouvons tous les midis devant le bâtiment de la Communauté Urbaine de Lyon et nous mangeons une salade de tomates cerises et de jambon de poulet dans le même Tupperware. Pour me rendre sur son lieu de stage j'emprunte la ligne de tramway T1. Environ à mi-parcours entre les arrêts Quai Claude Bernard et Part-Dieu Servient, la voix féminine du tram déclare simplement, lentement, délibérément : "Liberté". Souvent (aujourd'hui encore), cela déclenche une réminiscence de la chanson de George Brassens : heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage.

Depuis le 5 mai Julia et moi sortons ensemble. Je ne sais pas exactement ce que cela veut dire, d'ailleurs nous n'en avons pas discuté entre nous, je lui ai demandé si elle voulait sortir avec moi, elle a remarqué que c'était un peu enfantin (je pense qu'elle parlait de l'expression) puis indiqué que la réponse était oui. On n'a pas défini notre nouvelle relation, cela s'est fait naturellement, par une série de changements : se voir tous les jours, s'embrasser souvent, dormir dans le même lit

... après nos stages en entreprise pour valider notre licence nous décidons de nous rendre à P Julia emprunte la Punto bleue de sa maman le chant des grillons j'ai mal au ventre, aux yeux, à la mâchoire à force de sangloter elle ne supporte pas la chaleur, elle restera la première journée sous la tente je la présente aux membres de ma famille avec beaucoup de fierté nous partons un matin sur le bateau de mon oncle Fred, l'odeur du moteur l’insupporte, elle fronce les sourcils et garde son châle sur le nez, explique à quel point elle a préféré la nuit qu'elle a passé en voilier sur le Lac de Genève il fait trop chaud, la plage est bondée, sa serviette ne doit pas recevoir de sable sur le trajet en revenant de C elle me parle de problèmes de santé, de ses ex, elle avait un job qui lui permettait de payer ses visites à Paris le week-end, un jour il lui a laissé prendre son flingue... (Stan avait écrit le générique de fin sur des feuilles qu'il avait scotchées sur la toile de l'une des tentes de la pinède et filmées en descendant lentement le caméscope, sur le thème des Sept Mercenaires d'Elmer Bernstein.)* ... elle pleure parfois mais ne rit jamais ses expériences en boite de nuit de même sous la tente, il faut balayer le sable, il ne faut pas de sable nous sortons ensemble depuis trois mois sans avoir jamais sur le trajet du retour la Punto chauffe, on doit s'arrêter toutes les heures plus tard en arrivant en Ardèche elle remarque la sécheresse, la compare au vert des Glénates de son enfance... (*L'enfant plongeait dans les vagues et nageait entre deux eaux, parfois en frôlant le sable, au fond l'eau était calme, les sons étouffés rythmés par ses brasses.) ... quand elle évoque ses grands-parents paternels elle est toujours au bord des larmes, elle explique que sa grand-mère est une vraie grand-mère elle...

Je dis au revoir à ses parents en sortant de l’appartement de la rue Saint-Didier. Sur le palier je la prends dans mes bras, nous nous embrassons, comme d'habitude, je cherche sa langue avec la mienne, mais elle me repousse, elle sert les dents, je lui demande pourquoi, elle me dit qu'elle ne veut plus de bisous comme ça, qu'elle n'aime pas ça finalement. Ou alors, me chuchote-t-elle, dans certaine circonstance.

L'enfant respirait le parfum de P. C'était un mélange de laurier et de mimosas, de résine de pin, de sel de mer. En arrivant à P il n'allait pas tout de suite jouer avec ses cousines ou raconter son année scolaire à ses oncles et tantes. Il préférait aller ramasser des pignons de pins dans la pinède. Ils lui couvraient les doigts et les joues d'une teinte brune. Il en collectait une poignée puis s'installait sur le petit escalier, et avec une pierre il les cassait et les mangeait. Le son de la pierre brisant la coquille, parfois il fallait s'y prendre à deux ou trois reprises en ne tapant pas trop fort pour ne pas écraser la petite amande tac - tac - clac ! était aussi le rythme de P, les échos de la pinède.

(Lyon, le 20 septembre 2021)