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Comment pourrait-il en ĂŞtre autrement ?

2015-03-03

Les méandres de la psychologie humaine font que, du cyclisme à la politique, on peut être un honnête tricheur, un menteur qui dit la vérité et un corrompu de bonne foi. Et si ce n’était pas les hommes qui corrompaient les institutions mais bien les institutions qui, par construction, ne laissaient aucun choix aux hommes ?

J’ai toujours imaginé qu’un jeune cycliste qui débutait devait être idéaliste. Il devait avoir entendu parler de dopage. Peut-être même l’avoir constaté. Mais lui s’en passerait. Quitte à ne pas toujours gagner. Son talent compenserait. Et puis gagner une seule étape était l’objectif de sa carrière, pas enfiler plusieurs grands tours.

Au fur et à mesure, il avait rencontré des difficultés. Des opportunités s’étaient présentées. Suite à des conseils et à un rhume, un médicament l’avait beaucoup aidé pour la course du lendemain.

Était-ce du dopage ? Certainement pas. Et puis, au fond, qu’est-ce que le dopage ? Une liste arbitraire de produits ? Sans le médicament, les performances s’écroulaient. Mais cette substance combinée à un traitement particulier du soigneur de l’équipe avaient un effet revigorant. Sans pour autant être du dopage. Pas du « vrai ».

Et puis il y a eu cette course. La veille, il se sentait un peu patraque. Mais il y avait un gros contrat de sponsoring à la clé s’il terminait dans les dix premiers. Il y avait une prime qui couvrirait amplement les travaux de la maison pour laquelle il s’était endetté. Ce n’était juste qu’une fois. Pas vraiment du dopage comme on en parle dans les journaux avec des grosses seringues. Non, juste une aide. Juste une fois.

Lorsque la nouvelle de sa disqualification est parue dans les journaux, le cycliste a fondu en larmes. Non, il ne s’était jamais dopé. Pas « vraiment ». Pas « dopé ». C’était injuste. Et puis il était un de ceux qui prenaient le moins de produits alors qu’il obtenait des résultats. Il était honnête. Il se croyait très sincèrement victime d’une injustice.

Non il ne mentait pas ! Il était profondément convaincu. Ce n’était pas vraiment du dopage. Au fond, qu’est-ce que le dopage ? Et puis, entre nous, avait-il seulement le choix ? Comment aurait-il pu faire autrement ?

Après des années de militantisme politique et suite à un concours de circonstances impliquant plusieurs démissions, vous voilà assis dans un bureau occupant vos premières fonctions d’élu. Vous ne pouvez vous empêchez d’être fier. Idéaliste, vous voyez là enfin un moyen d’agir, de rendre le monde qui vous entoure meilleur, plus humain, plus juste.

Votre travail, vous le réalisez très vite, consiste à dépenser l’argent public. Mais attention, vous allez faire ça correctement ! En bon gestionnaire ! Même si c’est la première fois de votre vie que vous avez le pouvoir de distribuer des millions, vous ne comptez pas vous laisser éblouir.

Sur votre bureau se trouve une demande pour subsidier l’organisation d’un festival de musique ésotérique.

Vous n’avez jamais entendu parler de musique ésotérique mais vous avez l’attention attirée : l’organisateur n’est autre qu’un ami d’enfance ! Le dossier est bien ficelé et ce festival a lieu chaque année. Ça a l’air très bien. La requête n’est que de 100.000€. Une paille dans votre budget ! Bref, vous ne voyez pas de raison de refuser cela à un ami d’enfance et vous accordez le budget.

Le lendemain, votre neveu vous annonce qu’il cherche un boulot comme graphiste. Au cours de la conversation, il vous apprend qu’il puise son inspiration dans la musique ésotérique. Cela vous donne une idée. Vous passez un rapide coup de fil à votre ami d’enfance pour lui annoncer que vous avez accordé le subside. Et vous demandez si le festival, fort de ce subside, n’aurait pas besoin des services d’un graphiste. Votre ami demande les coordonnées de votre neveux.

Vous ĂŞtes satisfait, vous avez rendu service Ă  tout le monde. Vous vous sentez utile.

Quelques semaines plus tard, vous recevez une demande pour un festival similaire. En toute honnêteté, vous refusez. Un festival de musique ésotérique, c’est bien assez. Même si, cette fois, la demande émane d’une grande société spécialisée dans l’organisation de ce type d’événements.

Le lendemain, le directeur de la boîte de production vous appelle pour demander un rendez-vous. Une fois dans vos bureaux, il demande les raisons de votre refus. Vous les exposez. Le directeur vous annonce alors qu’il a découvert que le festival dont vous parlez est organisé par un de vos amis. Et que c’est dommage de favoriser ses amis.

Vous êtes estomaqués ! Vous ne favorisez pas vos amis. C’est juste que son festival a demandé les subsides avant, des subsides deux fois moins importants et qu’il a lieu chaque année. N’est-ce pas suffisant ?

Le directeur de la boîte de production propose alors de racheter la société organisant le festival actuel. Vous organisez donc une réunion avec votre ami et ce directeur.

Votre ami argue que la structure actuelle est une organisation sans but lucratif. Le directeur propose alors de racheter les droits à l’image et le nom pour 50.000€. Votre ami sera également engagé par la société comme organisateur et touchera un bon salaire. Vous placez alors le fait que votre neveu est également employé par l’association. Le directeur vous promet de l’engager.

L’affaire est conclue et vous participez à la mise en place de tout ce processus, en dehors de vos heures de travail. Le directeur vous demande alors d’envoyer vos factures pour vos heures prestées sur ce dossier. Le directeur lui-même veut bien payer « jusqu’à 200h de travail ». Vous créez en catastrophe une société avec votre époux afin d’établir cette facture au tarif de 100€ de l’heure.

L’année d’après, vous découvrez que le subside demandé est passé à 200.000€. Mais le festival a grandi, c’est normal, vous l’accordez.

Comme vous avez gagné 20.000€ avec le festival précédent, vous prenez conscience que vous êtes doué. Le tarif n’est-il pas proportionnel à la compétence ? Dire qu’il vous fallait un an pour gagner une telle somme auparavant ! Enfin, vous avez trouvé votre voie, votre talent ! Vous proposez alors à votre ami d’organiser le lancement d’un autre type de festival afin d’également revendre le concept. Cette fois-ci, vous créez une société directement avec votre ami. Mais votre ami crée une ASBL qui sous-traitera l’organisation à la société en question. Parce qu’on ne peut pas donner de subsides à une société. Votre société s’appelle donc désormais « Festival Consult ».

Votre ami démissionne officiellement pour continuer à occuper les mêmes fonctions qu’avant mais cette fois en faisant facturer ses heures via Festival Consult. Une excellente idée. De plus, cela lui permet de payer moins d’impôts. La grande société vous demande également des conseils dans l’organisation de plusieurs autres festivals et vous pouvez facturer votre expertise.

Une feuille de chou à sensation s’empare soudain de l’affaire et vous découvrez que vous êtes accusé de corruption. Corruption ! Vous ? Jamais ! Quel scandale ! Vous n’avez fait que mettre vos compétences dans vos heures de loisir au service de l’organisation de festivals musicaux.

Vous ne comprenez même pas ce que qu’on vous reproche. Vous ne pouvez qu’être innocent. D’ailleurs, qu’est-ce que la corruption ? Si c’était à refaire, vous ne voyez même pas ce que vous pourriez changer ! En toute honnêteté, comment auriez-vous pu agir autrement ?

Photo par Coolmonfrere.

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