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2024-06-25
Plutôt que de contourner les problèmes du quotidien, il est temps pour l’informatique moderne de se poser la question de la cause profonde de ces problèmes.
La connexion Internet en Antarctique, c’est un véritable challenge, comme l’explique très bien ce post d’une personne ayant travaillé 14 mois à gérer l’IT d’une base.
Engineering for Slow Internet (brr.fyi)
Sauf que, si on lit correctement, ce n’est pas vraiment la connexion Internet le problème. C’est tout le web moderne ! Le post ne fait que se plaindre des difficultés à télécharger 20Mo de JavaScript pour pouvoir… chatter ! Fondamentalement, la connexion en Antartique est bien meilleure que mes premières connexions sur le réseau téléphonique.
En fait, je me rends compte qu’Offpunk avec un cache partagé par tous les membres de la base serait un outil idéal pour ce genre d’endroit.
An offline first command-line browser for the smolnet (lioploum)
Ce que je trouve effrayant, c’est que le post ne semble à aucun moment remettre en question le fait qu’il faille télécharger 20Mo de JavaScript pour chatter. Faut dire que, dans le même post, il trouve également normal de mettre à jour son macOS depuis l’Antarctique. Alors que, personnellement, je mettrais tout le monde en Debian stable avec un cache local (approx ou apt-cacher sont très simples à mettre en place).
Mais le bon sens et l’indépendance d’esprit ont déserté l’immense majorité des départements IT. Jusque dans l’antarctique. Il est devenu "normal" d’utiliser Slack et Office 365 sur un Mac ou un Windows vérolé, même dans des environnements extrêmes où cela n’a absolument aucun sens.
En fait, les informaticiens ont complètement perdu le sens de ce qu’est un ordinateur.
Un ami me disait récemment que son travail consistait à coller dans une feuille Excel des factures en PDF. Factures qui sont générées depuis une base de données interne à la boîte. Les feuilles Excel que mon ami produit sont ensuite transférées à une autre personne qui les encode dans une autre base de données. Mais comme le dit mon ami, relier les deux bases de données directement est impensable. Tout le monde a trop peur de perdre son boulot. Donc on fait les choses de la manière la plus inefficace, la plus débile possible.
Le principe d’inefficacité maximale (ploum.net)
Les personnes utilisant une connexion limitée en Antarctique sur une connexion satellite limitée ne voient pas d’autres solutions que d’améliorer le débit des satellites. Ce qui arrange bien les fabricants de satellites.
Du coup, on lance plus de satellites…
De manière à pouvoir télécharger d’énorme quantité de logiciels qui nous permettent, à grand-peine, de faire des trucs que n’importe quel informaticien d’il y a 30 ans fait en une ligne de bash.
De la même manière, Prma critique un papier qui analyse l’efficacité énergétique de différents langages de programmation. Prma explique que le papier ne prend en compte que le temps de traitement du problème et pas tout ce qu’il y a autour (le développement du logiciel).
Consider Developer's Snack (prma.dev)
Mais je vais beaucoup plus loin : On s’en fout ! On s’en branle que Python soit 78 fois moins performant que le C. Parce que l’important n’est pas là .
La question est « À quoi sert le logiciel ? ». Que demande-t-on à l’ordinateur ?
Le simple fait que cette étude existe démontre à quel point les informaticiens ont perdu toute distance, toute intelligence par rapport à l’outil qu’ils ont créé.
Si on lui demande de nous afficher de la publicité et de nous espionner pour nous faire consommer plus, alors, même si le code est parfaitement optimisé et tourne dans des data centers alimentés à l’énergie solaire, ce code est morbide, dangereux, mortel.
Si votre code python sous-optimisé consomme un peu plus de batterie que prévu, mais c’est pour vous empêcher de voir les pubs, alors ce code est, par essence, écologique.
L’industrie publicitaire, l’industrie pétrolière et toute industrie qui vit en vous faisant consommer plus de ressources que ce que vous avez vraiment besoin sont des industries dangereuses. Elles peuvent planter des arbres et faire des campagnes de pub pour nous convaincre du contraire, ce seront toujours des mensonges. Les centres commerciaux sont des odes à la destruction de la planète. Les pompes à essence sont les chapelles de notre religion mortifère qui consiste à empoisonner le plus vite possible notre air, notre eau, notre nourriture et nos enfants.
Remettre un effort permet de remettre du sens. C’est pourquoi je suis fan des machines à écrire (mon prochain roman a été entièrement rédigé sur une Hermès Baby mécanique). Je vous recommande d’ailleurs l’incroyable livre « THe Typewriter Revolution » de Richard Polt pour comprendre pourquoi taper à la machine est un acte rebelle.
TYPEWRITER REVOLUTION // resist the paradigm // 100% human made (typewriterrevolution.com)
Mais j’ignorais totalement l’existence de machine à écrire payante ! 10 cents pour écrire pendant trente minutes. Et, cerise sur le gâteau, c’est sur une des machines de ce type que Ray Bradbury a écrit le premier jet de Farenheit 451, ce qui lui aura donc couté 9,80$. 49h de travail !
Ray Bradbury Wrote Fahrenheit 451 on a Coin-Operated Typewriter (www.neatorama.com)
Afin de remettre du sens derrière l’informatique et les ordinateurs, je me penche de plus en plus dans l’histoire de la discipline.
L’informatique commence en effet à devenir assez ancienne pour qu’apparaisse une nouvelle activité : l’archéologie logicielle. Et c’est passionnant. Comme cet exemple absolument dingue : une des disquettes du jeu Space Quest II, de 1987, avait été mal formatée avant d’être envoyée en production et contenait, caché dans les zones vides du système de fichiers, 70% du code source du jeu.
The Space Quest II Master Disk Blunder (lanceewing.github.io)
Il faudra attendre 37 ans pour que quelqu’un remarque cette erreur et redécouvre ce code ancien.
Ça me fait un peu le même effet que de lire la découverte d’une plaquette d’argile couverte d’écriture cunéiforme en provenance d’un empire effondré dans un cataclysme. Sauf que, dans ce cas, je comprends le cunéiforme.
Surtout quand on a joué à des jeux Sierra-on-line et qu’on connait l’histoire de la chute de cette entreprise qui aurait pu devenir un colosse, mais s’est fait racheter par un arnaqueur.
How Sierra Was Captured, Then Killed, by a Massive Accounting Fraud (www.vice.com)
En beaucoup plus récent et moins archéologique, Flozz, sur sa capsule Gemini, nous raconte les différentes manières qu’il a utilisées pour écouter de la musique sur son ordinateur. Ça rappellera des souvenirs aux utilisateurs de XMMS. Il a fini par échouer, un jour de flemme, sur Spotify.
Je quitte Spotify pour mon propre cloud musical autohébergé ! (blog.flozz.fr)
Mais, avant même toute considération éthique, Spotify a un problème qui devrait faire bondir tout audiophile : une chanson que vous écoutez peut disparaitre du jour au lendemain. Ou, comme ça lui est arrivé, être remplacé par une autre version de la chanson.
Je n’ai jamais utilisé Spotify, mais rien qu’à l’idée, j’en frémis.
Du coup, Flozz prend le taureau par les cornes pour migrer vers Nextcloud-music et nous le raconte.
Plutôt que de tenter d’offrir des solutions à tout prix, ce qui fait des blog posts populaires sur Hacker News, il est nécessaire de prendre de la distance, de faire comme Flozz et de tracer l’historique du problème, l’évolution du besoin.
Cela me rappelle la blague de la NASA qui développe, pour des millions de dollars, un stylo-bille capable de fonctionner en apesanteur. Le bic fonctionne néanmoins très mal et, à la fin de la guerre froide, les ingénieurs américains demandent à leurs confrères russes comment les astronautes prennent des notes. Les Soviétiques de répondre : « Ils utilisent un crayon, pourquoi ? »
L’ordinateur est un marteau universel qui fait que le monde ressemble à un champ de clou. Mais peut-être que les meilleurs informaticiens aujourd’hui sont ceux qui vous expliquent comment ne pas utiliser un ordinateur.
— Pourquoi tu ne l’écris pas tout simplement sur un papier que tu déposes sur son bureau ?
– Je… Je n’y avais pas pensé.
Au fait, je serai toute la journée du jeudi 27 juin au Breizhcamp à Rennes. Je dédicacerai avec plaisir et j’aurai quelques bouquins avec moi pour ceux qui veulent en acheter, mais pas beaucoup donc si vous l’avez acheté à l’avance dans une librairie, c’est plus sûr.
Et ne ratez pas la keynote du jeudi matin !
du 26 au 28 juin 2024 (www.breizhcamp.org)
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