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Pas tout à fait comme le vieux générique de Faut pas rêver sur France 3

Critique de Manifold Garden (William Chyr Studio, 2019)

Il vaut mieux sauter dans le vide que rester au sol dans Manifold Garden. D’une part, parce que c’est comme ça qu’on se déplace le plus rapidement. D’autre part, parce que c’est plus rigolo de chuter à l’infini façon AaAaAA!!! (Dejobaan Games, 2009) que de crapahuter, cube coloré à la main, vers le trou où loger celui-ci – ce en quoi consiste la quasi-totalité des puzzles du jeu. Manifold Garden, heureusement, n’est pas un de ces jeux d’énigmes où appliquer la solution de l’énigme prend beaucoup plus de temps que trouver la solution de l’énigme ; mais pour penser en 3-variétés, tout comme pour penser en portails dans Portal, il faut oser se désorienter et faire des plongeons. Et, à part quelques salles étroites un peu ennuyeuses où l’on ne peut que choisir le mur sur lequel marcher, Manifold Garden est jalonné de plongeoirs, pour mieux faire apprécier aux base-jumpers le défilement infini des escaliers qui ne mènent nulle part, des gratte-ciels sans étages inférieurs, et des colonnades qui sifflent aux oreilles quand on les rase. Contrairement à d’autre jeux de réflexion délibérément non-euclidiens, comme Antichamber (Demruth, 2013) ou Fragments of Euclid (NuSan, 2017), Manifold Garden n’est pas un labyrinthe, et ses mondes s’appuient sur notre perception traditionnelle de l’architecture pour permettre au joueur de continuer à distinguer le sol du plafond quand il peut, littéralement, changer le sol en plafond. C’est essentiel pour que le jeu fonctionne.

Et c’est un peu ce que je regrette, même en ayant conscience que le jeu remplit pleinement son contrat par ailleurs : la désorientation finit toujours par être domptée. Petit, lorsqu’il m’arrivait de veiller assez tard pour tomber sur le générique de Faut pas rêver sur France 3, les mouvements désaxés de la caméra qui vole entre les structures escheriennes défiaient ma compréhension. En regardant de nouveau ce générique vingt ans plus tard, je ne ressens plus vraiment ce vertige, que j'avais cherché entretemps dans les piliers en lévitation de Kula World (Game Design Sweden AB, 1998) ou les phases de missile à pattes dans Rayman 2 (Ubi Pictures, 1999). Il aurait peut-être fallu que Manifold Garden abandonne plus tôt ses cubes de couleur et dévie franchement vers le trip psychédélique, un peu comme NaissanceE (Limasse Five, 2014), un jeu que j’adore pour avoir su me redonner un peu de ce vertige, alors que l’on y tombe que dans une seule direction. À défaut de s’aventurer dans le “psyqué” ailleurs que dans sa cinématique de fin, Manifold Garden fait office d’amusant petit traité d’architecture, nous donnant l’occasion de ressentir de plain-pied ce qui se passe lorsqu’on soulève la maquette et qu’on la pose du mauvais côté.

Après coup : Jonathan Blow, le Terrence Malick du Télé 7 Jeux, est entre autres méfaits connu pour avoir mis dans ses jeux des secrets extrêmement pénibles à débloquer, voire à en soupçonner l'existence. Or il se trouve que Manifold Garden recèle lui aussi, derrière ses baies vitrées, des passages secrets qui requièrent du joueur des bricolages grotesques pour être déverrouillées. Aussi, voir sur sa chaîne YouTube Monsieur “mes jeux respectent votre temps” passer presque quinze heures à atteindre lesdits passages secrets est une définition approximative, mais édifiante, de la Schadenfreude.

- LP

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