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Aujourd'hui, je vais à l'abattoir.
Les aurores ne sont pas encore passées lorsque je m'aventure sur le sentier. Le dôme étoilé laisse vite place à la voûte de la forêt. Il y règne une obscurité seulement troublée par la silhouette des arbres se détachant du ciel. On pourrait presque penser qu'avec autant de bras la forêt cherche à m'avaler... Heureusement, je suis fidèlement le fil blanc du sentier, qui serpente de-ci, de-là.
Il ne fait pas froid, pas encore. Arrivé à l'arrêt de car, je compte les voitures qui me transpercent de leurs phares. Le jour se lève, avec la douceur presque paresseuse de ces matins d'hiver.
Le chauffeur, patibulaire, examine avec suspicion ma carte de transport gratuite. Sait-on jamais : en plus d'être pauvre, sans emploi, et forcé de faire le trajet jusque-là, il ne manquerait plus que je sois fraudeur...
Ma campagne vêtue d'un manteau de gel blanc se déroule sous mes yeux rougis par le manque de sommeil. Mais hélas ! si je me suis réchauffé, c'est pour être accueilli à la descente par un froid mordant. Direction la gare.
Une jeune femme timide me tend mon billet, avant qu'une autre plus acariâtre ne fasse de même avec un expresso. Elle oublie le croissant ; las, je ne la corrige pas.
J'écris ces quelques lignes entre deux pauses à contempler le paysage désaturé qui défile par les vitres du train.
J'ai rendez-vous en début d'après-midi avec une jeune femme fraîchement rencontrée. Nous allons prendre un verre, discuter, faire connaissance, décider si nous ferons un bout de chemin ensemble ou si, au contraire, la solitude continuera d'occuper cette place vacante. Si je brille dans l'art de séduire par correspondance, il en est autrement dès lors qu'il faut user de mes charmes naturels. D'autant qu'aujourd'hui, ils s'en trouvent considérablement diminués : multiples boutons, vestiges de rasages passés ; un nez rougi par la fraîcheur hivernale ; un genou rendant l'âme ; une maladie de peau héritée de quelque paternel... Pour compléter le tableau déjà peu reluisant, si la fatigue me permet d'écrire de belles phrases, elle impaire néanmoins mon peu d'expression orale et obscurcit mes pensées.
La première impression est cruciale. Me voilà arrivé à Tours. Aujourd'hui, je vais à l'abattoir.
Elle ne voulait pas aller seule à cet anniversaire. Je peux la comprendre, dix-huit occasions d'approche d'une élite friquée mais superficielle peuvent légèrement refroidir n'importe quel homme --ou femme dans ce cas-ci-- doté d'un minimum d'entendement et de raison. Nous prenons donc le train pour Angoulême.
La sncf est l'un de ces immenses organismes que tout drogué connaît bien. Les plus prudents d'entre nous se méfient des voitures comme d'autant d'agents des Stups, que ce soit parce que nous n'avons guère l'envie d'avoir un permis (du fait des recherches de produits stupéfiants) ou par simple sécurité. Cela dit, Totor a toujours fait montre d'une conduite exemplaire, et ce, quelles que soient les quantités et qualités des substances ingérées.
Bref, le train est un merveilleux moyen de transport où il est possible de dormir avant et après une *chouille* un peu trop faste, se laissant bercer par les mouvements du dragon bleu. On ferme les yeux, et on se retrouve instantanément, à chaque soubresaut, dans le ventre du chat de *Totoro*. Mais au-delà du moyen de locomotion, il y a le contexte sociologique. Seuls les plus pauvres sont exclus des quais au motif qu'il ne faut pas encourager la mendicité. Ce qui fait des gares et des trains les lieux de passage rendant possible la rencontre avec n'importe quelle personne de n'importe quelle classe sociale.
S'il y a une chose de certaine en ce monde, ne serait-ce qu'une vérité universelle, c'est que l'université française se débrouille, par tous les moyens mis à sa disposition, pour mettre des bâtons dans les roues estudiantines.
L'organisation de la fac est épouvantable. Aucune indication n'est donnée quant au jour et à l'heure d'une quelconque rentrée universitaire passé le stade de la l1. C'est pas faute d'avoir cherché. Rien à l'inscription, *nada* sur le site web.
C'est donc lundi, vers deux heures du matin, au Mans, ne sachant trop quoi faire, que j'ouvre vdm. La première me fait sourire :
« Aujourd'hui, veille de rentrée. Je suis en panique, car tous mes amis ont accès à leur emploi du temps universitaire sur Internet, et moi non. Après réflexion, l'explication est simple : j'ai oublié de m'inscrire. »
Mais une petite loupiote s'allume dans mon cerveau lent. « C'est peut-être bien ma rentrée aussi », que je me dis. Je me connecte, vérifie mes mails. *Nada*. Pas un seul donnant une quelconque date de rentrée. Vérification sur le site : les petits nouveaux ne rentrent que dans une semaine. Ouf ! j'ai le temps. Me vient alors l'idée saugrenue de regarder mon emploi du temps...
... et de déchanter sec. J'ai cours dans sept heures, je suis à une centaine de bornes du lieu où je devrais être. Cool... Dans ce genre de situation, chacun a sa manière de gérer la nouvelle. J'allume donc une clope. Suivie d'une seconde. Vérification des horaires de trains. Génial, il ne me reste que quatre heures d'attente...
Envie de tuer quelqu'un. De préférence le gros cul imbécile qui tient lieu de secrétaire au bousin. Tu sais, le genre de grosse face de rat couverte de pustules, les seins lâches et dont l'embonpoint n'aide pas à faire les six mètres séparant son bureau du tableau d'affichage en moins d'une minute. Mais si, l'espèce (oui, car elle n'est malheureusement pas la seule dans son cas) dont est faite l'architecture du stéréotype du fonctionnaire. Cette espèce même qui a besoin qu'on lui explique les manipulations et la procédure administrative d'une simple impression de dossier pour qu'elle s'y adonne.
Si tu aimes les anecdotes, dis-toi qu'une fois je m'étais pointé pour récupérer un bulletin de notes (oui, celui qui est censé t'être envoyé par la poste) alors que c'était son jour de congé. Elle est alors arrivée en trombe, a ouvert son bureau, accroché un papelard, et, alors que j'ouvrais la bouche pour quémander mon bulletin, m'a renvoyé dans les cordes. « Je suis pas censée être là. »
Bref. J'ai enchaîné café sur café, clope sur clope, trop rageur pour fermer l'œil.
Assis sur le banc dans les dernières noirceurs précédant l'aube, attendant le tram, je me faisais l'impression d'être un condamné à mort. *Quid* de mes derniers projets estivaux ? Reprendre un *taf* alors qu'on vient d'empocher le chèque du précédent, ce n'est pas ce que j'appelle la vie.
J'arrive à la gare. un paumé me demande une piécette. « C'est pas pour me droguer, c'est pour acheter des cigarettes. »
Je souris intérieurement, pas pour le non-sens de la phrase, mais plutôt parce que son visage, et notamment ses yeux vitreux, puent le camé à plein nez. Qu'importe ! il aura droit à deux Lucky, comme ça il pourra même se faire un *bédo*.
John Lee Hooker et les clopes n'arrivent pas à calmer mes nerfs. Ce n'est pas que je n'aime pas mes cours, bien au contraire, c'est simplement que j'avais encore tant d'autres choses à faire avant de les reprendre !
Et puis, être en philosophie, c'est une façon de bosser particulière. Le problème, c'est que nous manipulons des concepts fondamentaux à tout processus intellectuel alors même qu'ils sont chargés à bloc de plusieurs millénaires d'histoire. Imagine un *zicos* d'une quelconque formation essayant de composer un opéra classique. Bah tu as l'exemple parfait : c'est pas simple de comprendre ce qu'un certain concept signifie dans tel courant de pensée et comment il a influé sur le suivant.
Lorsqu'il est sur sa feuille d'examen, l'étudiant en philo est sur un champ de bataille intellectuel.
Présentation des protagonistes.
D'un côté vous avez, mesdames et messieurs, le sujet, poids lourd catégorie agrégation, soutenu par les attentes du professeur correcteur[1].
De l'autre, le *challenger* poids plume, qui n'est qu'une merde, l'étudiant, avec pour armes des concepts. Il faudra arriver à en finir avec le sujet par des enchaînements logiques parsemés de références au cours et de tout bout de développement accrédité[2]. Si en plus le plumeton ne cherche pas l'agreg', il est souvent philosophe, c'est-à-dire qu'il s'est forgé un véritable système de pensée propre. Il tentera de glisser quelques idées de sa cuvée personnelle, afin d'affiner son système ou simplement balancer une référence qui pourrait intéresser le prof pour sa culture G. Ainsi, il saura qu'il perdra un ou deux points sur sa copie, mais c'est comme aux échecs : peu importe que ta dame se soit faite bouffer, du moment que tu as maté.
En somme, une fois que le philosophe a compris qu'il n'y a pas d'objectivité, même que c'est Nietzsche qui l'a dit na ![3], il s'amuse comme il peut de celle qu'on tente de lui imposer. Et merde pour le reste.
Elle faisait ses vêtements elle-même, en allant chercher chez Toto les tissus les plus appropriés à ses idées de la beauté, mais sans se rendre compte que les sacs roses qui jonchaient son appartement lors de ces périodes de créativité absolue reflétaient sa propre décadence.
Ce qui la rendait belle, c'est qu'elle ne savait pas qu'elle l'était.
La vague s'éclate toujours sur la rive, et opère son reflux.
Que m'importent les lecteurs ? J'écris pour moi et uniquement, notamment par peur de la mort de mes facultés intellectuelles ; pour ne jamais oublier ma force et ma passion.
Les jeunes fleurs qui se fanent, cédant aux vents automnaux, leurs pétales laissant entrevoir leurs beautés qui, bientôt, se recouvrira.
Elle tenta une menace :
« Vous seriez prêt à le faire à l'oral, alors. »
Le terme important est *alors*. Elle n'aurait pas terminé sur cet épiscule, je ne l'aurais pas prise pour une menace.
« Oui, sans aucun problème. »
La beauté de la jeunesse, c'est qu'elle ignore où elle va. Celle de la vieillesse, c'est qu'elle oublie d'où elle vient.
La croix cathodique a remplacé la croix catholique.
Les oreilles d'un barman sont comme une tombe fraîchement creusée ; sa langue n'est pas une pelle.
1. Il est très difficile de démontrer à un professeur de philosophie qu'il a tort, tout simplement parce qu'il est habilité à donner son cours. Il est donc certifié comme détenteur du savoir, et comme il désire fortement prouver à ses prédécesseurs qu'ils ont tort --comme tous les étudiants en philosophie essayent de le faire--, il va inlassablement s'appliquer à prouver qu'il a raison.
2. En cela que, comme un professeur ne peut détenir tous les savoirs, ni les bibliothèques tous les ouvrages, et qu'un enseignant sur deux ne sait pas utiliser Google, il ne faut pas que la référence soit en dehors du champ de connaissances du professeur.
3. Voir aussi Kant avant lui, et Husserl qui finit de zigouiller la logique, il reste des tranches de Foucault, je laisse ?
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