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Fournaise

En dehors des amateurs de fantastique qui auront eu le privilège de lire la nouvelle qui donne son nom au recueil dans la revue Le Visage Vert (n°27), Fournaise est le premier ouvrage de Livia Llewellyn disponible en français. Il s'agit de la traduction pas tout à fait intégrale, par Anne-Sylvie Homassel, du deuxième recueil de l'américaine. Le livre est au format caractéristique des éditions Dystopia et son aspect tout aussi obscur que le recueil de Thomas Ligotti chez le même éditeur. La couverture et les illustrations de Stéphane Perger sont parfaitement dans le ton des textes, sobres mais incandescentes.

L'ouvrage s'ouvre sur Panopticon, probablement le récit le plus cryptique du recueil. Il est une plongée immédiate dans un environnement urbain et étouffant. Plongée d'autant plus abrupte qu'en quelques paragraphes à peine tout le champ lexical du livre déjà se déploit. Le sang, les saveurs âcres, la sueur, les orages, les fumées, les ombres, les os, le sexe traversent le parcours de la lectrice à qui s'adresse directement le texte.

À la lecture de Stabilimentum, on pense au premier abord retrouver ses marques. Un appartement, une femme fatiguée qui semble chercher à relancer sa vie, un décor oppressant en regard de la ville si belle, à l'extérieur. L'angoisse qui progresse sous la forme d'araignées qui, malgré leur éradicaction, réapparaissent inlassablement et toujours plus répugnantes. La peur, la frayeur et la panique qui s'insinuent... Puis l'histoire dérape, et l'on commence à deviner que rien n'est jamais simple chez Livia Llewellyn. Les dimensions se font incertaines. La tour d'habitation se fait infinie, les étages se superposent, s'inversent. Le vertige s'installe.

Les textes de Livia Llewellyn sont résolument sombres. Il n'est certes pas anodin que l'autrice cite Cronenberg ou H.R. Giger dans l'interview disponible en postface, tant ses textes touchent à l'intime et à la chair. Mais l'horreur qu'elle instille est diverse. Qu'elle soit grand guignolesque, qu'elle revisite la figure du vampire ou d'autres mythologiques, qu'elle puise dans des images d'inspiration Lovecraftiennes, elle peut être aussi bien crue et picturale que se cogner aux limites de l'entendement, au fantastique.

Et puis, surtout, Livia Llewellyn écrit des histoires de femmes. Le lecteur le plus distrait ne peut que constater au bout de quelques récits que leur point commun, leur point focal, est un personnage féminin. Et que cela soit contraint (Guêpe et Serpent), subit (Dernier été dans la pureté et la lumière), accepté (Les mystères), leur esprit et leur corps sont transformés, meurtris ou exploités. Mais chacune d'entre elles est différente, chacune possède une identité bien distincte et, fatiguées, perdues ou blessées dans leur chair, aucune n'est passive. L'une est un témoin qui se frotte à l'indicible qui règne en marge de la réalité, l'autre une passeuse, cet autre encore une prédatrice ou une ambitieuse. Toutes sont fortes, acharnées ou résilientes.

De fait, rarement un recueil de littérature d'horreur et de fantastique ne nous aura autant mis le nez dans la réalité de celles qui sont la moitié de l'Humanité. Avec son vocabulaire ample et son style qui se déploit en de longues phrases chargées d'images, Livia Llewellyn nous invite à découvrir aussi bien leurs aspirations que leurs fardeaux. De manière incarnée et bien loin de l'image éthérée de la charge mentale.

(3502 signes. Première publication le 12 décembre 2022 sur NooSFere)

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