💾 Archived View for david.soulayrol.name › chroniques › 2020 › le_choix.gemini captured on 2024-06-16 at 12:32:09. Gemini links have been rewritten to link to archived content
⬅️ Previous capture (2023-09-08)
-=-=-=-=-=-=-
Lucas et Damian grandissent près d'un Norfolk à moitié englouti. L'un s'occupe de sa mère, l'autre subit son père. Un événement extraordinaire s'est produit près de là, et tous deux partent à la découverte de l'inconnu sur le frêle voilier de Lucas... En peu de pages (nous sommes dans la collection Une Heure Lumière), Paul J. McAuley nous plonge sans peine dans un décor post-apocalyptique côtier sur lequel planent les rumeurs d'activistes écologiques et de groupes dangereux, ainsi que les lointains échos d'un monde qui s'est détruit lui-même au moment où il rencontrait enfin d'autres espèces intelligentes aux intentions assez floues.
Il y a dans la science-fiction ce que l'on nomme le « sense of wonder » : le grandiose, les vertiges dûs aux dimensions ou aux temporalités infinies, les batailles immenses ou les complots qui décident du devenir d'une galaxie... Mais ce sens n'est rien s'il ne prend appui sur l'ordinaire, celui des gens qui sont pris dans le maelström des événements, qui le traversent, ou qui se trouvent confrontés à lui à un moment de leur existence. C'est l'histoire de Rhysling dans « Les vertes collines de la Terre » de Heinlein, simple bourlingueur de l'espace qui devient une légende, ou de l'équipage du Nostromo qui ne sont que des travailleurs fatigués avant d'être confrontés à l'indicible. C'est l'histoire d'un Luke Skywalker qui vit au milieu de nulle part quand il rencontre deux droïdes. Autant de récits où l'individu est magnifié, transformé ou bien écrasé par une réalité qui dépasse le monde qui l'entoure. De la même manière, l'innocente excursion des deux adolescents va marquer une rupture dans leur existence, et la faire fléchir selon une trajectoire propre. Et si ni Lucas ni Damian ne sera un nouveau Rhysling, une Ripley ou un Skywalker, chacun d'eux sera révélé par l'expérience qu'il aura traversé.
De prime abord, la novella de Paul J. McAuley avance le plus souvent d'un rythme presque contemplatif, et la courte épopée de Lucas évoque les débuts d'un capitaine de marine Hornblower échoué dans un monde déliquescent. Mais si ce développement est le plus souvent passif, l'étrange et l'inquiétude naissent continuellement d'une allusion ou d'un élément du décor ; de ce paysage de ruines que l'on sait n'être qu'une infime partie d'un univers qui vient de s'ouvrir. Et malgré la description toute en moiteur d'un littoral dévasté, quelque part entre une Venise dépeuplée et le bayou, on ressent le trouble du « sense of wonder » dans la moindre évocation d'extra-terrestres, de dragons, de portails spatiaux qui existent quelque part derrière la toile de fond du récit. Lorsque l'incompréhensible et toute cette altérité invisible crèvent cette toile pour traverser en un éclair le récit, c'est avec une force inattendue qui en décuple ses effets.
(2901 signes. Première publication le 22 septembre 2020 sur NooSFere)