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Je hais le téléphone. Pas tant sur son aspect matériel que sur l’usage qui en est fait aujourd’hui, que celui-ci soit devenu une passerelle directe et constante dirigée droit vers mon cerveau. Au lieu d’avoir à disposition un outil que j’utilise, j’ai l’impression au contraire d’être utilisé.
Peut-être signe d’anxiété sociale, je déteste les appels.
À cheval entre le message écrit et la discussion physique – sans parler des visio-discussions. Difficile pour moi que d’avoir plus inutile qu'un appel ; Réservé aux urgences pas si urgentes puisqu'on prend le temps d’en discuter. Si c’est urgent, vous avez mieux à faire que de m’appeler en espérant que je réponde – et c’est que votre système de fonctionnement est à revoir –, à l’inverse laissez un message que je n’ai à priori aucune raison d’ignorer si je vous ai volontairement fourni ce canal de communication.
Le reproche principal que j’ai contre les conversations téléphoniques, mais qui reposent sur les échanges synchrones[1], est d’avoir un temps limité[2]. Une discussion en direct se fait avec des proches autour d’un verre, ou au cours d'une prédation – dans une des deux positions.
J’aime discuter, j’aime encore plus ne faire perdre de temps à personne. Et pour ça il est nécessaire d'avoir une vue d’ensemble avec des documents auxquels se référer et pouvoir partager. Il est également des conversations que j’aimerais alimenter mais qui sont écourtées faute de temps et qui ne seront jamais développées, si seulement il existait une méthode pour échanger des idées de façon asynchrone et dont la pérennité serait plus stable que de vagues vibrations dans l’air. On ne prend pas de décision en état d’ébriété, on ne devrait pas non plus en prendre sans réflexion poussée.
Pensée émue pour les personnes qui pensaient pouvoir me pousser à vendre des services par téléphone, et dont j’attends toujours la brochure – numérique, je suis pas un monstre –, et celles qui ont tenté de retourner une situation sans savoir que tous mes appels sont systématiquement enregistrés.
Contrairement aux protocoles modernes, le téléphone n’offre aucune sécurité et il est difficilement possible d’en ajouter. Tout ce qui est dit et écrit ne propose rien de semblable à OpenPGP[3] et TLS[4], garantissant l’authenticité des parties et la confidentialité des informations échangées.
Le téléphone présente nativement des failles. Des solutions ont été proposées à cela, mais sans réel démocratisation : difficile de demander d’installer une application qui chiffrerait les SMS alors que la majorité de la télécommunication passe par des applications où les données circulent sur Internet et ses protocoles.
D’ailleurs, que faire contre les sollicitations indésirables ? Autant il est aujourd’hui courant que le service de courrier électronique propose un service de détection des courriers indésirables, mais que faire contre les appels et sms – question rhétorique, j’utilise personnellement Yet Another Call Blocker – si ce n'est un signalement à l'opérateur[5] ?
Reste qu’il m’apparaît aujourd’hui non recommandé de partager à qui le veut son numéro de téléphone et potentiellement le faire entrer dans des circuits de marché de l’information sans protection adéquate. Côté adresse électronique, j’utilise systématiquement la méthode de subadressing, ajouter une séquence de caractères précédé du symbole + avant le nom de domaine. Cela me permet notamment de savoir de quelle origine une personne a obtenu mon adresse mail et d’agir en conséquence.
Pendant ma recherche d’emploi, il m’est arrivé de tomber sur des cas où j’avais l’impression que mes destinataires allaient faire une syncope de ne pas voir de numéro de téléphone sur mon CV – j’ai aussi pris un malin plaisir à jouer avec leurs nerfs en allant jusqu'à inventer des histoires de téléphone en réparation pour mettre fin aux débats.
D’où vient ce besoin irrationnel d’avoir une suite de 10 chiffres permettant théoriquement de me contacter à tout instant ? Je ne suis pourtant pas avare sur les canaux de communications et mon gestionnaire de mots de passe m’en indique pas moins d’une cinquantaine. Combien sauraient s’en servir si je donnais ma clé OpenPGP ?
Forme de double standard, c’est par défaut à moi de me mettre à nu tandis que de leur côté je n’ai généralement qu’une adresse mail – parfois d’un compte automatisé –, rarement un numéro de téléphone, exceptionnellement un numéro de mobile, et souvent rien d’autre qu’un formulaire sur une page web. Dans un soucis d’efficacité et de santé mentale, je me consacre deux créneaux horaires pour ma recherche d’emploi que sont le matin au réveil et en fin de soirée. Pas sur qu’on puisse me répondre – ni qu’on le veuille – à 5 h du matin ou 21 h… Mais évidemment, c'est de la paranoïa de notre part que d'y voir une forme d'agression[6].
Refuser de donner mon numéro de téléphone est ma manière de protester : vous avez mieux à faire et moi aussi, donnez moi le message et je vous recontacte si je peux y faire quelque chose.
L’usage abusif du téléphone comme antenne relais greffée sur le cerveau est non seulement débilisant de part la charge attentionnelle imposée mais également une perte de temps considérable nécessitant la présence des deux personnes. Permettez moi d’en rire quand on essaie de me vendre un forfait téléphonique incluant des données mobiles, à la fois plus cher et dont la seule différence serait que je sois joignable par encore plus de canaux…
[2] DĂ©sactivez votre messagerie vocale, Ploum 2013
[4] Protocole Transport Layer Security, LeJun 2022