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Christiania, l utopie perdue

2012-10-23 04:28:53

Citadelle des illusions pass es au coeur de Copenhague, la zone squatt e par

des hippies depuis 1971 a des airs de bidonville bucolique clos sur le

bitume...

Depuis 40 ans, Christiania r siste au temps et aux pressions politiques,

navigue entre bobo sation et paup risation, violence des gangs et insouciance

festive. Pacifistes et id alistes, les Christianites n y croient plus vraiment.

C est une bourgade clectique, plant e dans la capitale sur le bord du canal.

De multiples entr es et pas de grilles. A Christiania, on entre dans une cit

libre. Un nuage euphorisant qui sent la bi re danoise et le haschich.

Construite sur la base navale d saffect e de B dmandsstr de, d fendant le droit

une soci t alternative bas e sur le consensus et la l galisation de la

fumette , Christiania d range. Longtemps menac de destruction, le quartier de

900 habitants a obtenu un sursis en juin 2011. Apr s une d cennie de lutte avec

le gouvernement conservateur, un accord permet la communaut de racheter le

terrain pour 10,2 millions d euros, avant juillet 2012. Une d cision terrible

prendre , explique Jokker qui tient le bureau d information: joyeux bordel de

paperasse et de cadavres informatiques.

Pour payer sa dette, Christiania a lanc un appel aux dons et compte sur la g n

rosit des touristes: l endroit est devenu l une des attractions les plus

visit es du Danemark.

Ecolo et prosp re, le quartier compte deux piciers bio, une Sunshine Bakery :

une boulangerie qui vend 24h/24 des viennoiseries, des pubs, un march pour

touristes et un atelier qui fabrique le Christiania Bike: le c l bre tricycle,

tr s en vogue dans une communaut qui ne tol re pas les voitures. Dans l

agitation m lant la jeunesse danoise aux visiteurs intrigu s, les Christianites

plus ou moins assagis se m lent la foule. Quelques hippies aux sarouels et

dreads color s mais surtout des familles discr tes, pas baba-cool l exc s. A

quelques pas des maisons, des vendeurs de haschisch sont install s derri re

leurs gu rites: Pusher Street, un march ill gal juteux viss l conomie du

quartier qui attire Danois et trangers fumeurs de b dos. Pour le meilleur et

pour le pire, les habitants composent avec les contraintes de l engouement

suscit par leur r ve de vie devenu r alit . Unie aux premiers abords, la

communaut se d lite devant cette utopie la d rive.

Le tourisme comme seul salut

Le tourisme de masse (1,5 million de visiteurs par an) touffe les habitants.

Rikke vit Christiania depuis 1981: Avant, dans une journ e, on croisait 3 ou

4 t tes que l on ne connaissait pas. Maintenant, c est 3000 ou 4000. La

vieille dame au chignon grisonnant mime des gens regardant chez elle en se

collant aux fen tres. On se sent vraiment scrut s . Elle habite une grande

maison en lambris rouge cal e sur les hauteurs, avec un jardin o elle cultive

des oignons ; l abri de la pagaille du centre n vralgique. La communaut est

d chir e entre son d sir de tranquillit et le besoin du tourisme, pour amasser

de l argent et se prot ger du pouvoir politique qui veut raser la zone. a

fait quarante ans qu il essaie. Mais tant qu il y aura des touristes, on sera

prot g s. Alors, le gouvernement aurait trouv un moyen plus pernicieux d

essouffler la cit . A propos de la libert retrouv e depuis l accord, Rikke r

torque: C est un norme bluff ! Depuis, on paie le double pour notre maison

(1900 couronnes par personne par mois, l quivalent de 260 ). Des gens sont

partis . La d fection: une nouvelle menace pour la ville libre.

Les Christianites ont deux visages

Mathilde Vilsen a travaill 3 ans au jardin d enfants. Une verri re peinte en

vert menthe pos e au bord d une plage artificielle o les enfants font de la

balan oire et des p t s de sable. L tudiante voque l individualisme des

habitants qui tranche avec l esprit communautaire des d buts. Les

Christianites ont deux visages. [...] Beaucoup de gens font passer en priorit

leurs int r ts. Ils sont incapables de participer au consensus. C est pourtant

la base pour que l exp rience fonctionne. Elle voque une maison toujours l

abandon car le voisinage refuse de choisir un nouvel arrivant.

Kirsten Larsen, anthropologue de formation vit ici depuis 1980. Elle explique :

Si un endroit est libre, on passe une annonce dans le journal et on rencontre

les candidats. Souvent des trentenaires bobos ou des marginaux. Parfois, on a

t oblig de revenir au vote plus traditionnel . Des cheveux d lav s par le

temps teints en rouge p tard, Kirsten porte une chemise fleurs et des

babouches carmin. Au poignet droit, des joncs dor s qui font gling gling

quand elle parle avec les mains. Elle habite le Bl Karamel tout au bout du

quartier, nom tir de l argot choisi un soir de d fonce en r f rence au gland

masculin. Une bicoque sans salle de bains et aux murs bruts. Dans la pi ce

principale, un sofa en velours r p et une large table en bois pleine de

bibelots et de lettres ouvertes. Une vie sans-le-sou mais paisible

assure-t-elle, m me si la communaut se bat tous les jours contre les diverses

tentatives d abus de pouvoir. Le trafic de drogue g n re le plus d inqui tudes

: On vient de recevoir des menaces d un autre gang de la ville.

Cet endroit est totalement pourri

Une tension latente est palpable dans la mini-ville. M l s quelques hippies

tenanciers, une trentaine de cr nes ras s intimident ceux qui s aventurent dans

l all e des dealers. Des tatouages sur la t te: c est le signe d appartenance

aux Hells Angels, l un des gangs les plus dangereux au monde. Les Harleys et

les gros blousons de bikers , interdits dans Christiania, sont rest s au

vestiaire. Mathilde refuse de passer dans Pusher Street. J ai la certitude qu

ils sont arm s malgr l interdiction [...] C est l endroit le plus dangereux du

Danemark, a peut d g n rer en quelques secondes. Elle d crit des sc nes de

violences comme dans les films : des fusillades, des passages tabac

gratuits, des cr nes scalp s, des doigts coup s. On vous tue pour presque rien

[ ] Cet endroit est totalement pourri. Embu dans son office fumeux, un joint

la main et un chapeau de cow-boy d o s chappent de longs cheveux cendr s,

Jokker du bureau d information le reconna t: il y a des gangsters impliqu s

dans le hash, mais ce sont les plus gentils des mauvais gars. La cit libre s

est enferm e dans un syst me la d rive. Les Pushers se sont rendus

indispensables. C est une sorte de milice interne qui fait r gner l ordre.

Ironie du sort pour cette utopie libertaire. A Christiania, la culture hippie a

bien vieilli... Il ne reste plus grand chose des d buts de Christiania assure

Mathilde. La plupart des gens ne sont plus heureux ici.