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1970-01-01 02:00:00
rlp
Fondation Robert Schuman | 05.07.11 | 10h54
Avant d' tre une zone mon taire, l'euro est un syst me moral. C'est sa force et
aussi sa faiblesse. En imposant des plans rigoureux de retour l' quilibre,
les autorit s ont accompli leur devoir. Mais les efforts demand s risquent de
rester lettre morte s'ils ne sont pas accompagn s d'une v ritable r volution
dans l'organisation et le contr le des activit s financi res. Pour assurer la v
racit de la monnaie long terme, il ne suffit pas de brandir des crit res
macro- conomiques de solvabilit . Il faut conforter les traditions
d'enrichissement par le travail et par l' pargne et restaurer la confiance dans
le syst me financier. Cela implique une volont commune de la France et de
l'Allemagne pour imposer un mode de r gulation conforme aux habitudes et aux
modes de vie des soci t s europ ennes.
Si les toiles n'apparaissaient qu'une fois tous les cent ans, dit Emerson, les
hommes en ch riraient longtemps le souvenir. Accoutum s l'utilisation de la
monnaie unique, nous en avons n glig le tr sor. L' vidence de l'euro nous a
distraits de nos devoirs. Comme un propri taire oublieux nous avons laiss la d
fense de nos droits ceux qui taient charg s d'en assurer la simple g rance.
La crise financi re nous a rappel s nos obligations.
Durant les trente derni res ann es, la cr dibilit des banques centrales et
l'efficience des march s de la dette souveraine ont entretenu une illusion de
ma trise des cycles conomiques. La hausse du prix des actifs a masqu le
creusement des d s quilibres. La crise financi re globale a mis au jour le
gouffre entre la valeur r elle des choses et ce qu'en avait fait l'imagination
des hommes.
Depuis, la situation ne s'est pas am lior e. Les Etats-Unis sont durablement
engag s dans des politiques visant d pr cier la valeur du dollar au risque de
cr er des tensions sur les prix, le secteur financier s'est plac sous la
tutelle des Etats, sans rien changer ses pratiques. Les hommes ordinaires,
scrupuleux, subissent indirectement tout le poids de l'ajustement conomique
par l'alourdissement des charges pesant sur les budgets nationaux.
Dans ces circonstances historiques, les autorit s europ ennes ont fait preuve
de sagesse financi re et de courage politique. En assurant le sauvetage des
pays en difficult , elles ont ouvert la voie une int gration des politiques
budg taires. En vitant de se lancer dans une politique d'injection de liquidit
s tout-va, elles ont prot g la valeur de la monnaie. Mais cela ne suffit
pas.
Avant d' tre une union mon taire, l'euro est un syst me moral. Il repose sur la
confiance et l'instruction de ceux qui ont le manier. Pour que l'euro soit
durablement tabli, il faut que chacun soit assur que personne ne peut, par
des politiques unilat rales ou un privil ge quelconque, obtenir plus de
richesses qu'il n'en peut obtenir. Dans cette logique, le retour l' quilibre
des comptes publics ne peut faire l' conomie d'une r forme en profondeur des
activit s financi res.
L'EURO EST UN SYST ME MORAL AVANT D' TRE UNE UNIT MON TAIRE
L'analyse de la zone euro l'aune de crit res purement comptables et
financiers est unilat rale, en ce qu'elle manque l'essentiel du processus
historique. Il y a en effet entre les peuples de la zone euro une communaut de
destin qui a toutes les caract ristiques de ce Wittgenstein appelait "une forme
de vie", un rapport au droit et l'histoire qui d termine des fa ons de parler
et d'agir.
L'euro est le legs de la "grande guerre" civile europ enne. A la diff rence des
Anglais et des Am ricains, les membres de la zone euro sont bien des gards,
des peuples r silients. Ils portent sur leur sol et dans leurs villes la marque
des plus grands conflits mondiaux ; ils ont subi la dictature, le
totalitarisme, la glaciation sovi tique. Il leur en est rest une certaine m
fiance vis- -vis des politiques de grandeur, une vision multilat rale du monde
et un go t pour l' quilibre des pouvoirs, que refl te le processus m me de
construction europ enne, fait d'arbitrages et de compromis.
L'euro est une cr ation artificielle nous disent les beaux esprits. Ce qui est
plut t surprenant, c'est que nous ayons eu si longtemps le franc, le mark, la
lire, etc. La corruption des monnaies partir de la "grande guerre" a t le
grand facteur de d sagr gation sociale et politique des soci t s europ ennes.
De 1914 jusqu' l'av nement de l'euro mon taire, en 1999, la valeur du franc a
t divis e par vingt ; le mark s'est effondr deux fois; la lire, la peseta
ont perdu peu pr s toute valeur. Chaque fois, les politiques mon taires
unilat rales qui ont suivi le retour la paix ont entra n le d ficit, le
repli sur soi, le rationnement de la demande, l'appauvrissement du plus grand
nombre.
L'euro a mis fin cette longue histoire. Avec l'euro, chacun est, en th orie,
assur d' tre, suivant la vieille expression juridique reprise par Rueff,
"rempli de ses droits". L'euro repose sur l'id e simple et de bon sens que
chaque Europ en ne peut puiser des richesses sur le march "qu' concurrence de
celles qu'il y versera". La valeur de la monnaie unique d coule de l'engagement
des Etats membres suivre les r gles communes qu'ils se sont prescrites et non
d'un quelconque privil ge seigneurial permettant d'obtenir sans payer. C'est ce
qui fait sa faiblesse, mais aussi sa force : les droits des cr anciers de
l'Etat grec sont certainement d cot s, mais ce sont de vrais droits. En est-il
de m me des droits des cr anciers du Tr sor am ricain ?
L' pargne est le fondement de la stabilit mon taire. L' pargne des m nages
constitue l'autre cl de la stabilit mon taire. Si la zone euro a t moins
touch e que d'autres par la crise financi re, elle le doit moins la
clairvoyance de ses lites qu'au niveau d' ducation de ses ressortissants.
L'ancien conomiste en chef du Fonds mon taire international, Raghuram Rajan,
l'a bien not : l'origine lointaine de la crise r side dans l' chec du syst me
d'enseignement aux Etats-Unis. Au lieu d'encourager les gens constituer des r
serves propres, les autorit s am ricaines ont incit des m nages imp cunieux
devenir propri taires de leur logement.
La situation de l'Europe est bien diff rente. D'apr s l'OCDE, le taux d' pargne
brut des m nages de la zone euro repr sente pr s de 16 % de leur revenu
disponible, contre peine 4 % aux Etats-Unis. L'essor du cr dit la
consommation ou des emprunts hypoth caires est un ph nom ne r cent et tr s
localis , qui concerne essentiellement certains pays d'Europe du Sud. De fa on
g n rale, les m canismes de "financiarisation" des actifs illiquides et
notamment immobiliers, que certains appelaient encore de leurs v ux il y a
quelques ann es, n'ont jamais pris racine sur le continent.
En Europe, come le remarquait Bastiat, la r alisation du loisir, le
perfectionnement des arts, le d veloppement intellectuel et moral ont toujours
t associ s avec l'accumulation patiente des capitaux. Faiblement endett s,
les ressortissants de la zone euro disposent de ressources propres leur
permettant d'absorber une grande partie du choc macro- conomique. C'est
pourquoi le processus de contraction sera moins long et moins douloureux en
zone euro qu'ailleurs.
Dans ces conditions, il convient de relativiser la crise de la dette
souveraine. Les difficult s financi res auxquelles font face certains pays
membres depuis la fin de l'ann e 2009, sont li es la mauvaise gouvernance de
leur secteur financier (comme en Irlande), aux politiques d'incitation
l'endettement priv et de d r glementation du cr dit (comme au Portugal ou en
Espagne) et une mauvaise gestion de l'Etat (comme en Gr ce). En revanche, les
traditions d'enrichissement par le travail et par l' pargne sont fortement ancr
es dans les soci t s civiles.
Ainsi, contrairement ce qu' crivent longueur de journ e les ditorialistes
du Financial Times, l'euro n'est donc pas un "sch ma de Ponzi". La crise
globale ouverte en 2007 doit plut t tre mise profit pour renforcer les
fondements de l'euro que sont la confiance, qui nous oblige vivre et nous
mouvoir dans un espace commun et l' ducation, qui nous a appris ne pas
dispenser pr cocement les fruits de la croissance future. Dans cette
perspective, plusieurs chantiers s'ouvrent nous, qu'une coop ration troite
entre la France et l'Allemagne permettrait de faire aboutir.
L'EUROPE DOIT IMPOSER SON PROPRE MOD LE DE R GULATION FINANCI RE
Encourageons la constitution de r serves long terme. Plut t que de soutenir
artificiellement la consommation en satisfaisant des client les diverses, il
faut au contraire encourager l'orientation de l' pargne vers des emplois long
terme. Seuls ceux qui disposent de ressources longues, du fait de la taille de
leurs fonds propres ou du caract re non exigible de leurs passifs peuvent
supporter le p ril du long terme, sans risque d'al a moral. Les enjeux du long
terme, li s en particulier l'allongement de la vie humaine (retraite, d
pendance) et au pr financement des risques industriels lourds (comme le d mant
lement des centrales nucl aires obsol tes) doivent tre port s par ceux qui
sont m me de les soutenir.
A cet gard, les nouvelles normes de solvabilit applicables au secteur de
l'assurance (dites "solvabilit II") constituent, nos yeux, une erreur
historique. Fond es sur une approche purement statistique des risques
financiers court terme, elles handicapent gravement la capacit des assureurs
porter les risques de long terme. L' conomiste Christian Gollier, qui a
contribu directement la r vision des taux d'actualisation pour les
investissements publics en France et l' tranger, en faisait r cemment la
remarque: il est surprenant que l'on adopte une r forme qui favorise de fa on
si criante le court terme, alors que les enjeux de long terme, li s notamment
l'allongement de la vie humaine, p sent aussi fortement sur notre destin
collectif et la dette des Etats.
Dans cet esprit, on ne peut qu'appeler une prise de conscience des autorit s
europ ennes. Parmi les acteurs du syst me financier, les assureurs ont pour
vocation naturelle de permettre la mutualisation et le transfert des risques
dans le temps. A la diff rence des banques, ils jouent un r le cl de gestion
des risques long terme. Plut t que de favoriser le transfert des al as
financiers vers les particuliers, il faut au contraire encourager les m
canismes de solidarit collective, qui permettraient d'orienter l' pargne vers
le financement des infrastructures ou de besoins long terme, aujourd'hui
support s par la dette publique.
R duisons la taille des banques. Les r gulateurs europ ens doivent effectuer
une v ritable r volution copernicienne. La raison d' tre de la r gulation
financi re est de prot ger la petite pargne et de lutter contre les fraudes,
non d' viter la faillite des tablissements, avec les risques d'al a moral et
de mauvaise utilisation de l'argent public que cela comprend. C'est en amont
qu'il faut pr venir le risque de contagion l'ensemble de l' conomie, en
vitant que les tablissements prennent des risques trop corr l s ou adoptent
des structures de bilan d s quilibr es.
A cet gard, la taille des tablissements financiers et leur niveau
d'imbrication avec la sph re publique sont devenus un probl me. L'acc s aux
fonds des Etats permet aux tablissements financiers de contracter avec des
interm diaires qui les exposent de mani re opaque la banqueroute. En outre,
le poids des institutions financi res permet un nombre limit d'acteurs de
peser sur l'orientation des normes.
Les exigences de stabilit financi re rejoignent ici l'int r t public. La r
duction de la taille des tablissements doit s'accompagner d'une clarification
du r le des organismes de tutelle, qui ne peuvent la fois exercer une mission
de surveillance et de promotion des places financi res. En la mati re, beaucoup
de chemin reste faire, compte tenu de l'orientation donn e la r
glementation depuis plusieurs ann es. Toutefois, l'Allemagne et la France
disposent en Europe de l'influence et du poids suffisant pour orienter la r
glementation dans un sens plus conforme l'int r t des pargnants. C'est
simplement une question de volont politique.
Assurons une stricte s paration des activit s financi res Dans cet ordre d'id
es, les autorit s pourraient galement imposer un v ritable "Glass Steagle Act"
l'europ enne (du nom de la loi qui imposait une stricte s paration entre les
activit s de banque d'affaires et de banque de d p t aux Etats-Unis), pour
garantir l'alignement des int r ts entre les banques et leurs clients.
Comment une m me maison peut-elle la fois collecter les d p ts, faire du
conseil aux entreprises, mettre des titres, g rer en toute ind pendance l'
pargne qui lui est confi e ? Au-del des conflits d'int r t qu'elle suscite, la
pratique consistant pour les banques orienter les flux financiers en fonction
de leurs contraintes de bilan entra ne une mauvaise allocation de l' pargne
long terme. Le bon sens, autant que la th orie conomique, sugg re de s parer
les m tiers, la banque et l'assurance, la banque de d p t et la banque
d'affaires, la gestion pour compte de tiers et pour compte propre.
L encore, beaucoup de choses restent faire. La culture administrative privil
gie l' mergence de grands tablissements, qui pr sentent toutes les garanties
apparentes en termes de contr le des risques et offrent des solutions
attractives aux probl mes de carri re des hauts fonctionnaires. Sous
l'impulsion de Paul Volcker, ancien Pr sident du bureau de la R serve f d rale
am ricaine, les Etats-Unis ont commenc instaurer des r gles visant pr
munir les conflits d'int r ts. La France et l'Allemagne pourraient aller
beaucoup plus loin en imposant une v ritable s paration des activit s financi
res.
Adoptons des normes contra-cycliques. La crise financi re a fait appara tre les
effets n gatifs de la pro-cyclicit des normes prudentielles. Pendant les p
riodes de stress, la d gradation instantan e des indicateurs incite vendre
les actifs l'encan et conduit adopter des comportements de th saurisation
des liquidit s, au moment m me o la baisse des taux d'int r t permettrait
d'augmenter la prise de risque.
Malheureusement, en cette mati re, toutes les le ons de la crise n'ont pas t
tir es : les agences de notation ont t confort es, des param tres de risque
court terme, tendus l'ensemble du secteur financier. Il faut l' vidence
proposer de nouveaux outils de mesure de l' quilibre financier, allant dans le
sens d'une d marche contra-cyclique. Une r flexion sur les implications macro-
conomiques de la comptabilisation en valeur de march d'actifs visant couvrir
des engagements de long terme s'impose. De m me, les d marches du Comit de B
le visant constituer un capital "tampon" anti-cyclique pour les banques
durant les p riodes d'expansion, doivent tre encourag es.
CONCLUSION
La crise financi re globale que nous traversons depuis 2007 constitue une
opportunit historique. A la diff rence des Etats-Unis, l'Europe s'est engag e
dans la voie de la stabilit mon taire. Elle a fait le pari que la dynamique de
socialisation l'emportait sur les tendances centrifuges qui ont men au paup
risme et la d pendance. C'est un choix exigeant, mais raisonnable. Mais les
efforts demand s risquent de rester lettre morte s'ils ne sont pas accompagn s
d'une v ritable r volution dans l'organisation et le contr le des activit s
financi res. Que m'importent les codes de bonne conduite, les proc dures de
contr le de risque, si les puissants chappent la possibilit de faillir ? Si
l'on veut que la v racit de la monnaie soit durablement tablie, il faut r
tablir la solvabilit de l' conomie et du syst me financier sur des bases
saines.
Emmanuel Sales, ancien l ve de l'Ecole normale sup rieure de la rue d'Ulm, agr
g de philosophie et directeur g n ral de la Financi re de la cit