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S'Ć©lance et retombe

CĢ§a commence lĆ -bas, dans cette maison. Lā€™ancienne maison. En plein jour, pendant la nuit, sous un ciel terroriseĢ. Tout le jour et toute la nuit. LĆ -bas, dans la maison des anciennes miseĢ€res. Cā€™est un reĢ‚ve, cā€™est lā€™annonce de ce qui vient. Cā€™est peut-eĢ‚tre un deĢfaut de surface, une vague menace qui affole ce ciel gris sans nuages. Il y a cet alignement de planeĢ€tes, ces ordres lanceĢs dans lā€™espace et que personne nā€™eĢcoute. Et lĆ , cā€™eĢtait avant. LĆ -bas sur le champ geleĢ qui mange le jardin, un fantoĢ‚me blafard sā€™extrait de la terre, jaillit de la terre et retombe et sā€™enfonce plus loin. La peur, fracassante, irraisonneĢe, avant et maintenant. Tous les jours et toutes les nuits. Lā€™annonce de ce qui ne viendra pas, de ce qui ne peut pas venir, de ce qui est deĢjĆ  lĆ  et qui mange le ciel, le jardin, la maison, lā€™enfance, lā€™Ć¢ge dā€™homme, les planeĢ€tes et la fin des temps.

Elle ne fait jamais de bruit, elle semble sourire quand elle sā€™eĢlance, sourire quand elle tombe, pleurer quand elle nā€™est plus lĆ . CĢ§a commence toujours lĆ -bas, chaque jour, chaque nuit, cā€™est lĆ -bas que tout est mangeĢ, et personne, jamais personne ne veut lā€™entendre.

Et puis cĢ§a continue ailleurs. Un eĢtang, un sous-bois, sonoriteĢs breĢ€ves et friables, lā€™eĢteĢ qui sā€™eĢternise et finira pourtant avant son heure. Des enfants jouent, on se joue dā€™eux ou peut-eĢ‚tre se jouent-ils dā€™eux-meĢ‚mes, peu importeĀ : les mensonges ont un gouĢ‚t de sel et lā€™avenir nā€™est pas encore Ć  perdre. Plus tard, une vipeĢ€re va mourir sous les roues dā€™une automobile. Sera, ne sera pas vengeĢe.

On y revient longtemps apreĢ€s, et tout a eĢteĢ nettoyeĢ. Lā€™eĢtang les arbres les enfants le sel et toutes les promesses, et la vengeance des vipeĢ€res, tout, absolument tout a disparu. Et lā€™on sait bien ce qui va manquer.

Vient le temps de lā€™indeĢcision, le temps indeĢcis ouĢ€ les questions appellent trop de reĢponses. Suivre une piste et puis lā€™autre, suivre plusieurs pistes Ć  la fois, se perdre et ne rien trouver. On marche dā€™un pas incertain, un pas qui ne laisse aucune empreinte. On brasse lā€™air, on embrasse le vide. Cā€™est un temps de maisons froides, une longue deĢrobade dā€™escaliers qui multiplie les eĢtages aveugles, les greniers deĢvasteĢs, les chambres sans preĢsence.

Il y aura des mots, beaucoup trop de mots. Une liasse dā€™eĢpreuves ratureĢes dont il faudra se deĢfaire, de crainte de sā€™y noyer. Comme si lā€™on avait oublieĢ que la noyade eĢtait annonceĢe, lĆ -bas, au bord du jardin deĢvoreĢ.

Enfin, silence et chute libre. Cā€™est le moment de voir du paysage, sans jamais sā€™y arreĢ‚ter. Chute libre et tranquille, prendre comme on le peut ses distances avec le ciel et son effroi, se laisser caresser par lā€™ivresse du mouvement, et sourire en tombant, parce quā€™il sera bien temps de pleurer quand on sā€™enfoncera dans la terre du champ geleĢ. VoilĆ  ouĢ€ nous en sommes, maintenant, chaque jour et chaque nuit. VipeĢ€re vengeĢe ou non. Libre et tranquille, ou non.

Mars 2014

ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”

ā¬…ļø 36. Inexorablement

āž”ļø 38. Un tiroir sans fond

ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”ā”

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