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Salut Gemini ! Un petit texte pour parler de ce qui se passe dans les rues de Paris et ailleurs, vu que j'y passe pas mal de temps et d'énergie. Si vous avez vu des photos de poubelle en flammes, ça va être surtout à propos de ça. Je ne parlerai pas ici du fond de la réforme des retraites, l'essentiel de la colère se cristallise autour du report de l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans auquel au moins deux tiers de la population s'oppose, y compris une bonne partie souhaitant une réduction de cette limite à 60 ans.
L'examen du projet de loi a commencé en janvier, et aussitôt l'intersyndicale a appelé à des manifestations dans tout le pays. Ces manifestations ont été massives et calmes, avec peu d'affrontements. Au fil des semaines, le gouvernement insiste et se vautre dans des mensonges, ce qui va jusqu'à irriter certains médias pourtant habituellement conciliants. Les mobilisations fluctuent mais on a toujours le 7 mars une présence massive dans les rues. Redoutant un vote défavorable à l'assemblée, Macron décide d'utiliser le 49-3 pour passer sa loi en force. Une motion de censure, un vote des députés pour tenter de renverser le gouvernement suite au 49-3, échoue à 9 voix près (278 sur 287 requises). Voir les liens en bas pour de détails !
Mercredi Macron a parlé au journal de 13h pour ne rien dire de plus que d'habitude, ce qui a visiblement énervé la population puisque dès le lendemain, la manifestation appelée par l'intersyndicale a réuni entre 1 et 3.5 millions de personnes dans les rues, et ce fut également la plus grosse journée de mobilisation à l'appel de syndicats jamais enregistrée en ce qui concerne Paris.
Concrètement il se passe quoi dans les rues ?
Les syndicats appellent à des manifestations ou à des rassemblements, qui se passent tous globalement dans le calme, avec des profils très variés de personnes, hormis évidemment les bourges et les retraités, l'électorat de Macron.
Depuis le 49-3 cependant, à la fin de ces événements, les gens ne veulent pas rentrer chez eux. Ils sont en colère et veulent manifester. Ce à quoi la police tend à s'opposer et à essayer de faire rentrer tout le monde chez soi. Les grosses foules se font alors nasser (personne ne peut sortir, ou alors au compte-goutte), et les plus petites partent en manifestation dite « sauvage », sans organisation, sans mot d'ordre, sans parcours prédéfini, et évidemment sans déclaration. Sur ces cortèges, ça crie des slogans, ça rigole, ça avance vite, ça bloque les routes derrière soi, ça crame des poubelles, ça pète des trucs, ça se disperse en plein de petits groupes quand les flics chargent, ça reconstitue des groupes au petit bonheur la chance et ça reprend ! Dans plusieurs coins de Paris, mais aussi dans les autres villes, jusqu'à minuit et plus. Tactiquement, vu que ça se passe beaucoup dans des quartiers avec du passage, c'est beaucoup plus simple de se disperser, se fondre dans la masse et échapper à la répression. Stratégiquement, ça épuise les flics au fil des jours.
Dans ces cortèges on croise surtout des jeunes, de profils sociologiques variés, qui ne se voient tout simplement pas rentrer chez eux face à l'arrogance de Macron. Certains veulent mettre du bordel dans la ville parce que c'est une façon d'exprimer son ras-le-bol, d'autres le font juste pour entraver la BRAV-M, les flics qui coursent les manifestants à moto pour les tabasser. Pour la première fois les médias mainstream emploient les termes de violences policières sans trop de pincettes, là où c'était précédemment interdit sur les plateaux feutrés. S'il y a évidemment des énervés et une bonne dose de virilisme, on voit quand même beaucoup de filles tout aussi vénères, et surtout beaucoup de démonstrations de joie partagée (« purée on l'a échappé belle ! :D ») et de gentillesse entre les manifestants. Il y a beaucoup de primo-manifestants, pas forcément sûrs de ce qui se passe mais pas facilement effrayés par la BRAV-M, dont le rôle officieux est de terroriser par une répression féroce.
On a vu un jeune de 19 ans se faire rouler sur la jambe par un flic, puis revenir à la manifestation suivante en béquilles. On a vu une fille bien sapée allumer calmement sa clope sur un feu de poubelle. On a vu une jeune énumérer ses baptêmes du soir, premier gazage, premier coup de matraque, première interpellation (avec relâchement heureusement), nous dire que ça faisait pas mal d'un coup mais sans songer à se retirer de la lutte. On a entendu tout un tas d'insultes de la part des flics, de riverains en colère, mais aussi des témoignages de soutien des serveurs, des gens en terrasse, et aussi des riverains. Un groupe de jeunes touristes valsaient devant un feu de poubelle avec une musique d'accordéon ; on lance « Welcome to Paris ! » et elles répondent en rigolant « Merci ! ». On a aussi vu des incendies déborder et mettre en danger des habitations : dans la plupart des cas les premiers concernés, habitants et commerçants, reconnaissent eux-mêmes que des manifestants viennent aider à calmer le feu.
Un coucou à Elon Musk en passant, qui s'est prononcé en faveur de la réforme des retraites (de quoi tu te mêles bouffon), avec des Tesla régulièrement prises pour cible le long des trajets.
Une Tesla en train de prendre feu (bon une voisine est venue éteindre) (187KB)
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C'est compliqué de savoir ce qu'il se passe au niveau de l'opinion publique. Évidemment les manifs sauvages choquent, mais comme la plupart des gens sont ulcérés par le mépris de Macron, la casse est comprise. Peu cautionnée, mais intégrée. Les murs auxquels se sont heurtés les recours pacifiques ont solidifié la détermination à passer un cran au dessus dans la mobilisation, mais on ne sait pas si les poubelles en flammes (la grève des éboueurs fait que Paris a été temporairement sous plus de 10000 tonnes d'ordures non ramassées) produisent une image d'une quelconque utilité. Montrer au monde Paris en feu, ça permet de coller une photo en adéquation avec l'état d'esprit de la population. Que jusqu'à la raffinerie de Fos-sur-Mer, les grévistes sachent que Paris ne se repose pas. D'un autre côté on craint évidemment que la casse (on parle majoritairement de feux sans danger et pas de violence aveugle) ne serve de totem à l'exécutif pour montrer les manifestants comme des bêtes avec soif de violence, justifiant une répression brutale. C'est bon de rappeler que beaucoup de manifestants ne cassent strictement rien ou alors pas grand chose, font peut-être seulement trébucher une poubelle de ci de là. En revanche, dans les manifs sauvages, comme désormais la plupart du temps dans les cortèges syndicaux, les groupes défonçant les McDonalds, les banques ou bloquant les rues avec des barrières de chantier ne sont que rarement hués. Le sempiternel conflit entre les syndicats et le fameux cortège de tête né en 2016, si je ne me trompe pas, semble suspendu ces dernières semaines. C'est également ce qu'a constaté Andreas Malm le weekend du 25 mars à Sainte Soline lors de l'affrontement entre manifestations et policiers : « Très souvent, dans mon expérience militante, j'ai observé une tension entre des manifestants radicaux et d'autres manifestants qui tentaient de les dissuader. Ce n'est pas ce que j'ai vu ce week-end. »
Déjà ces derniers jours, l'amplification de la mobilisation policière et de la répression semble avoir mis un coup à la volatilité des manifs sauvages. Samedi, la BRAV-M était tellement omniprésente qu'ils n'ont trouvé qu'une bande de touristes espagnols à nasser… C'est compliqué d'imaginer comment ces manifs sauvages vont évoluer. Bien qu'elles procurent une adrénaline indéniable aux participants, gardons à l'esprit qu'il ne s'agit là que de démonstrations de colère urbaine, un petit pan dans la stratégie qui peut nous amener à jeter cette réforme dans les oubliettes. On n'est pas en train de tirer sur les versaillais comme en 1871.
On voit également des blocages un peu partout en France sur les infrastructures stratégiques : raffineries, ports, zones d'activité, centres d'incinérations. J'essaye régulièrement de participer au blocage de la déchetterie de Romainville en banlieue parisienne, utilisée comme centre de dépôt des déchets suite à l'arrêt des incinérateurs, mais bon on se fait taper dessus maintenant.
Il est trop tôt pour tirer des conclusions politiques définitives, mais il est facile de comprendre que les français sont désormais ouvertement en désaccord avec le fonctionnement de leurs institutions et la toute-puissance du président, et un exécutif qui se drape dans le légalisme et la répression policière ne répond aucunement à cette rage. Comme l'a inintentionnellement souligné un représentant de syndicat de policier, c'est désormais la police qui « tient la république à bout de bras ». Vivement la crampe.
Jérémie Zimmermann présente bien mieux que moi les événements qui nous amènent jusqu'ici, et aussi à quoi correspond le 49-3 pour les profanes :
Jérémie Zimmermann sur Mastodon (en anglais)
Ça parle de nous sur CrimethInc :
[CrimethInc] France: The Movement against the Pension Reform (en anglais)
Source de la citation d'Andreas Malm :