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2022-08-10
Ă voir lâaffiche et la bande-annonce, lâannĂ©e du requin sâannonce comme une comĂ©die estivale des plus traditionnelles, sorte de croisement entre « Les gendarmes de Saint-Tropez Ă la pĂȘche au requin » et « Les bronzĂ©s au camping 3 ».
Heureusement, la lecture des critiques mâavait mis la puce Ă lâoreille. LâannĂ©e du requin nâest pas une Ă©niĂšme comĂ©die franchouillarde de type sous-splendid, au grand plaisir ou au grand dam des commentateurs. Les gags de la bande-annonce sâenchainent dans les premiĂšres minutes du film. Comme prĂ©vu, le gendarme Maja, Marina FoĂŻs, se prend un seau dâeau et une vanne comique de la part de son collĂšgue Blaise, Jean-Pascal Zadi. Rires bien vite Ă©touffĂ©s par la rĂ©plique tranchante dâune Marina FoĂŻs qui crĂšve lâĂ©cran en gendarme fatiguĂ©e par une carriĂšre assez terne dans une ville oĂč la spĂ©cialitĂ© est de poser ses fesses dans le sable et de regarder la mer : « Ce nâest pas gai de se prendre un seau dâeau lorsquâon est en service. » Sourires gĂȘnĂ©s de ses coĂ©quipiers et du public.
Le ton est donnĂ©. Le prĂ©texte comĂ©die nâĂ©tait quâun attrape-nigaud. Si le film regorge de pĂ©pites humoristiques, celles-ci se font discrĂštes, sans insistance (comme le coup de la garde-robe de Maja, entraperçue une seconde en arriĂšre-plan). LĂ nâest pas le propos.
Le propos ? Il nâest pas non plus dans lâhistoire, assez simple pour ne pas dire simplette : un requin hante les cĂŽtes de la station balnĂ©aire de La Pointe et, Ă la veille de la retraite, la gendarme maritime Maja dĂ©cide dâen faire son affaire.
Pas de comĂ©die dĂ©sopilante ? Pas dâhistoire ? Mais quel est lâintĂ©rĂȘt alors ?
Tout simplement dans lâincroyable panoplie dâhumains que la camĂ©ra des frĂšres Boukherma va chercher. Chaque personnage est ciselĂ©, la camĂ©ra sâattardant longuement sur les dĂ©fauts physiques, les rides, les visages bouffis, fatiguĂ©s, vieillis, mais Ă©galement souriants et pleins de personnalitĂ©. Au contraire des frĂšres Dardennes, lâimage ne cherche pas Ă servir un ultra-rĂ©alisme social. Il sâagit plutĂŽt de mettre Ă lâhonneur, dâhĂ©roĂŻfier ces humains normaux. En contrepoint Ă ces anti-superhĂ©ros, le film offre un maire jeune, lisse et sans caractĂšre ni le moindre esprit de dĂ©cision (LoĂŻc Richard). ParachutĂ© depuis Paris, il se rĂ©fugie, symbole de cette lutte des classes omniprĂ©sente, derriĂšre une visiĂšre anti-covid. Des Parisiens qui sont Ă la fois dĂ©testĂ©s par les locaux, mais nĂ©cessaires, car faisant tourner lâĂ©conomie.
Acteur bordelais, LoĂŻc Richard est rĂ©putĂ© pour son travail de la voix. Jâai eu lâoccasion de collaborer avec lui lorsquâil a enregistrĂ© la version audiolivre de mon roman Printeurs, disponible sur toutes les plateformes dâaudiobook. Autant il joue Ă merveille le personnage fade et lisse dans le film, autant il peut prendre des intonations sombres et inquiĂ©tantes dans sa lecture de Printeurs. Je ne pouvais quand mĂȘme pas rater de placer cette anecdote đ
https://voolume.fr/catalogue/sf-et-fantasy/printeurs/
Dans la premiĂšre partie du film, Maja part Ă la chasse aux requins et tout se passe, Ă la grande surprise du spectateur, un peu trop facilement. La gendarme devient, malgrĂ© elle, une hĂ©roĂŻne des rĂ©seaux sociaux. Mais au plus rapide est la montĂ©e, au plus dure est la chute. Au premier incident, qui nâest clairement pas le fait de Maja, elle devient la bĂȘte noire. HarcelĂ©e, elle en vient Ă paniquer dans une courte, mais puissante scĂšne de rĂȘve. Le propos est clair : le vĂ©ritable requin est lâhumain, alimentĂ© par les rĂ©seaux sociaux et par les mĂ©dias, symbolisĂ© par une omniprĂ©sente radio rĂ©actionnaire qui attise les haines sous un vernis pseudohumoristique. Sous des dehors de petits paradis balnĂ©aires, la haine et la rancĆur sont tenaces. Sous la plage, les pavĂ©s. LâĂ©den est amer.
Ă partir de la sĂ©quence onirique, le film perd progressivement tout semblant de rĂ©alisme et lâhumour se fait de plus en plus rare. Les codes sont inversĂ©s : si lâhumour Ă©tait filmĂ© de maniĂšre rĂ©aliste, les images dâaction et dâangoisse sont offertes Ă travers la camĂ©ra dâune comĂ©die absurde, lâapogĂ©e paradoxal Ă©tant atteint avec le rodĂ©o impromptu de Blaise et le rĂ©veil surrĂ©aliste dâune Maja qui sâĂ©tait pourtant noyĂ©e quelques minutes auparavant. Tout donne lâimpression que Maja a continuĂ© son rĂȘve, que la lutte contre le requin se poursuit dans son inconscient.
Ătrange et dĂ©stabilisant, le film fonctionne entre autres grĂące Ă un travail trĂšs particulier du cadre et de la couleur. Chaque plan rĂ©sulte dâune recherche qui porte le propos, lâĂ©motion. Lorsquâelle est sur son ordinateur, Maja est baignĂ©e dâune lumiĂšre froide alors que son mari, Ă lâarriĂšre-plan, reprĂ©sente la douceur chaleureuse du foyer. « Tu devrais arrĂȘter Twitter », lance-t-il machinalement en partant dans la nature alors quâelle reste enfermĂ©e devant son smartphone. Lors des confrontations entre les Ă©poux, la camĂ©ra se dĂ©centre souvent, donnant une perspective, un retrait, mais une intensitĂ© aux Ă©changes.
Le titre lui-mĂȘme porte une critique sociale trĂšs actuelle : « LâannĂ©e passĂ©e câĂ©tait le covid, cette annĂ©e le requin. Ce sera quoi lâannĂ©e prochaine ? ». Le requin est le pur produit dâun rĂ©chauffement climatique entrainant des catastrophes face auxquelles tant les politiciens, les Ă©cologistes et les rĂ©actionnaires sont impuissants. Chacun ne cherchant finalement quâĂ se dĂ©douaner de toute responsabilitĂ©. Comme le dit le maire : « Ăa va encore ĂȘtre la faute de la mairie ! ».
Sans y toucher, le film dĂ©montre le succĂšs et la nĂ©cessitĂ© de dĂ©cennies de lutte fĂ©ministe. Le personnage principal est une femme qui sâest consacrĂ©e Ă sa carriĂšre avec le soutien dâun mari effacĂ© et trĂšs gentil (Kad Merad, incroyablement humain en mari bedonnant). Son assistante EugĂ©nie est une femme (Christine Gautier). Pourtant, encore une fois, aucune insistance nâest placĂ©e sur le sujet. Le sexe des personnages importe peu, les relations Ă©tant, Ă tous les niveaux, purement basĂ©es sur leur caractĂšre. Aucune sĂ©duction, aucune histoire dâamour autre quâun mariage de longue date entre Maja et son mari, aucune miĂšvrerie. Le tout avec des interactions humaines profondĂ©ment rĂ©alistes (dans des situations qui le sont Ă©videmment beaucoup moins).
LâannĂ©e du requin nâest certes pas le film de la dĂ©cennie, la faute probablement Ă un scĂ©nario un peu simplet, il offre nĂ©anmoins une expĂ©rience cinĂ©matographique originale, nouvelle. Les frĂšres Boukherma nous gratifiant dâun nouveau genre : celui de la parodie sĂ©rieuse qui ne se prend pas la tĂȘte. Fourmillant de trouvailles (la radio, la voix off particuliĂšrement originale), le film mĂȘle plaisir, clins dâĆil aux cinĂ©philes, critique sociale et cadre original, le tout servi par des acteurs dont les talents sont particuliĂšrement bien exploitĂ©s.
Que demander de plus ?
Une morale ? Le film se termine justement sur une morale gentille, mais pas trop bateau et parfaitement appropriĂ©e : « Il y a deux types de hĂ©ros. Ceux qui veulent sauver le monde et ceux qui veulent sauver ceux quâils aiment ».
Si lâannĂ©e du requin ne sauve pas ni ne rĂ©volutionne le monde, il saura offrir quelques heures de plaisir Ă ceux qui cherchent des saveurs nouvelles sans se prendre la tĂȘte et qui aiment ce cynisme un peu grinçant qui ne sâinscrit dans aucune case prĂ©cise. Il mâa clairement donnĂ© envie de dĂ©couvrir Teddy, le premier film de ce jeune tandem de rĂ©alisateurs jumeaux. Et si aprĂšs le loup-garou et le requin, ils dĂ©cident de sâattaquer Ă la science-fiction, je suis volontaire pour leur pondre un scĂ©nario.
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