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Publié le 5 janvier 2022 et modifié le 7 avril 2023
Sauf indication contraire, toute l'information qui est présentée ici vient de Hardman (2001).
L'aymara est une langue indigène d'Amérique du Sud parlée principalement aux abords du lac Titicaca, de chaque côté de la frontière séparant le Pérou de la Bolivie. Elle est singulière à plusieurs égards et sait déstabiliser celui qui ne connait rien de plus exotique que les langues européennes. Elle réapparaitra assurément dans un autre article.
L'aymara est une langue agglutinante, c'est-à-dire que les mots qu'elle forme sont souvent composés d'un grand nombre de petites unités porteuses de sens appelées morphèmes. Autrement dit, ses mots tendent à être longs et complexes. Du point de vue de la forme, ces morphèmes se répartissent en deux classes : celle des racines et celle des suffixes. On peut, pour les besoins de l'exposé, définir le mot aymara comme étant une racine seule ou une racine à laquelle se sont agglutinés un ou plusieurs suffixes.
Par exemple, le mot « utankaña », qui signifie « être à la maison », se compose de quatre morphèmes : « Uta », qui veut dire « maison » et qui est la racine du mot ; « ni », qui exprime la possession ; « ka », qui convertit un nom en verbe, avec le sens de « X est (quelque part) » ; « ña », qui convertit un verbe en nom et qui est, en l'occurrence, à rapprocher d'une marque d'infinitif.
On constate que la simple agglutination des suffixes à la racine donnerait « utanikaña ». Or, la forme attestée est « utankaña », sans le « i », donc. C'est ce phénomène de chute de voyelles que je veux expliquer.
En se combinant, plusieurs suffixes imposent la chute ou le maintien de la voyelle qui les précède ou qui les termine. Ces règles sont entièrement lexicales et font partie de la nature même d'un suffixe ; si quelques régularités ont été décelées, il reste indispensable de spécifier la nature combinatoire de chaque suffixe indépendamment de tout autre attribut. On peut noter la chute et le maintien des voyelles par un « (C) » et un « (V) », respectivement. Ainsi, dans l'exemple précédant, « (V)ni » impose à « uta » le maintien de sa voyelle finale, « (C)ka » en impose la chute à « utani » et « (V)ña » en impose le maintien à « utanka ».
Un petit nombre de suffixes admet de la variation. Coler et al. (2020) ont ainsi reconnu que « pacha », « kama », « naqa » et « hama » pouvaient tantôt faire tomber la voyelle qui les précèdent, tantôt la conserver. En outre, la variation dialectale, bien que plutôt faible, peut venir modifier la nature combinatoire de certains suffixes.
Je trouve ce phénomène franchement fantastique. Le plus intéressant est que la nature combinatoire des suffixes peut parfois servir à en distinguer certains qui semblent homophones lorsque pris individuellement.
Hardman (2001) donne l'exemple de quatre suffixes « -ta » distincts, dont les formes ne diffèrent que par les règles combinatoires :
Qu'arrive-t-il lorsque les suffixes imposent des règles contradictoires, lorsque celui qui précède veut conserver sa voyelle finale et que celui qui suit veut la faire chuter, ou que celui qui précède veut la faire chuter et que celui qui suit veut la maintenir? Hardman (2021), n'aborde pas la question. En revanche, Kim (2016) affirme que les règles spécifiant la chute ou le maintien de la voyelle finale n'ont pas d'influence en cas de désaccord, que les caprices du suffixe de droite ont préséance.
D'autres phénomènes causant la chute de voyelles existent en aymara. Certains sont ainsi conditionnés phonologiquement ou syntaxiquement. Celui que je viens de présenter est le plus fréquent et reste selon moi le plus impressionnant.
Page Wikipédia (la page en espagnol est plus complète)
Grammaire de l'aymara (en espagnol)
— Selve