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Si le courrier électronique fait partie des moyens de communication que je privilégie[1] c'est principalement pour son caractère asynchrone. Quel plaisir, que de la liberté de pouvoir choisir où et quand répondre à une personne, d'avancer sur telle ou telle chose.
Si la communication asynchrone est une forme déshumanisante, en est-il de même pour la télécommunication (Critère physique) ? Écrire (pour autrui) conditionnant au monologue, serait-elle une activité déshumanisante quand bien même se déroulant en face de la personne destinataire (Critère modal) ? Penser, qui est une activité intime de traitement d'information est-elle déshumanisante (Critère de fonction) ?
À l'opposé de la déshumanisation, je vois dans la communication asynchrone une considération envers autrui.
La communication orale, autrement dit la parole, serait-elle la seule et unique forme de communication humaine par essence ? J'en doute. J'en doute tant il existe de manières de communiquer entre individus, de langues.
À la question de savoir s'il est possible de construire une société basée exclusivement sur la communication asynchrone, je dirais que non. En chaque lieu et à chaque instant, il est nécessaire d'avoir une réaction, un signe[2], ce qui n'est pas sans risques[3]. À défaut de quoi apparaîtrait une désorganisation évidente.
Souvent associés, asynchronisme et télécommunications ont des spécificités propres permettant de les distinguer. La télécommunication étant avant tout caractérisé par ses propriétés sur le plan spatial. L'exemple typique étant le téléphone où la parole est retransmise à distance sans qu'on ne puisse réellement parler de latence temporelle entre les individus. À l'inverse, que dire d'une personne notant sur une feuille des informations pour la personne qui lui fait face ? C'est une forme asynchrone de communication de personne à personne, d'autant plus sur le plan physique.
L'asynchronisme est une forme de langage – si tant est qu'il n'y en ai qu'un seul – répondant à un critère simple : que le message puisse être consulté de manière temporellement différée. Répondre à ce critère revient à questionner la pérennité du medium, ce qui est certes, une des faiblesses de la parole contrairement aux modalités textuelles. Ce qui n'a pas empêché le développement de messageries vocales… ni leur désactivation pour un « monde (très légèrement) meilleur »[4].
On notera que dans cet exemple c'est la temporalité qui met à mal le système tout entier, ce qui – selon moi – est généralisable à tous les langages synchrones. Imaginons un téléphone, auquel on retire cette caractéristique de synchronisme et qu'il ne soit que possible de communiquer via des fichiers, vocaux ou textuels, interposés. En retirant la temporalité (technique, rien n'empêche à votre patron de vous fixer une date butoire) l'outil perd de sa dominance vis à vis de la personne qui le détient.
Un langage asynchrone c'est un langage qui respecte les individus, un outil à leur service. Supprimer l'aspect temporel, fondamentalement limité, on supprime également le mécanisme de concurrence sous-jacent. On respecte le rythme de chaque personne, qui en retour ne nous offrira que sa pleine personne lorsque sa propre temporalité lui permettra.
Que voir si ce n'est de la naïveté d'une conversation où chaque partie est intimement ailleurs ? Le synchronisme nécessite un effort de tous ses membres, et bien que cela soit évidemment possible, il est ultimement égoiste de penser que sa temporalité soit plus juste que d'autres. Il ne doit être qu'un moyen de dernier recours, et nécessite des moyens mis en œuvre en amont pour éviter d'y aboutir.
L'asynchronisme s'oppose au synchronisme, c'est la propriété d'un élément à ne pas se dérouler selon la même temporalité en référence à un autre. Nous sommes 8 milliards sur la planète et, avec le recul que nous avons sur l'Humanité, est-il trop demandé que d'accepter nos vies différentes ?
[1] Téléphonophobie, LeJun 2023