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Heureux qui comme Ulysse


2007-03-16

Assis Ă  la terrasse d’un cafĂ©, en plein soleil, un palmier dans mon champ de vision, je poste mon premier billet depuis le Mexique. Et comme je ne veux pas vous rendre jaloux, mais alors lĂ  pas du tout, je ne vous parlerai pas du petit dĂ©jeuner au bord de de la piscine Ă  l’ombre des orangers. Mais quelle aventure pour en arriver lĂ  !

Parti de Waterloo mercredi Ă  6h du matin, avec au compteur un nombre d’heures de sommeil allĂšgrement sacrifiĂ© sur l’autel du plus bel arc-en-ciel du monde, je suis arrivĂ© Ă  Amsterdam vers 9h grĂące au talent de conductrice de ma maman, capable de conduire dans les embouteillages pendant que mon pĂšre et moi ronflons comme des sacs.

ma maman

Devant la file de la douane, des amoureux se disent au revoir. Ils pleurent tous les deux. Mais ils rient de s’aimer. Et l’avenir leur sourit entre les larmes qui perlent sur leurs joues. Et puis au revoir papa, au revoir maman, je passe la douane.

Voyager Ă  destination des Etats-Unis se fait actuellement uniquement via Kafka arilines. Pas de flacons de plus de 100ml de liquide Ă  bord. Je dĂ©cide d’acheter une bouteille d’eau pour le trajet au free shop mais, en voyant mon ticket pour les USA, la vendeuse m’annonce que je dois passer commande, que je ne peux pas prendre la bouteille et qu’elle me sera livrĂ©e dans l’avion. Je laisse tomber. Je passe le contrĂŽle et mon beurre de cacao est considĂ©rĂ© comme hautement suspect et doit ĂȘtre vĂ©rifiĂ© Ă  part. Comme j’avais oubliĂ© un bic sur moi, je sonne bien entendu et suis intĂ©gralement fouillĂ©. Le bic en question n’est trouvĂ© qu’aprĂšs vĂ©rification de mes chaussettes, de mes doublures, de ma ceinture, de l’élastique de mon caleçon. Effectivement, le bic Ă©tait bien planquĂ©, il Ă©tait dans ma poche et le douanier n’avait pas pensĂ© Ă  vĂ©rifier la poche. En vrai terroriste que je suis, le bic est au sigle de la coopĂ©ration au dĂ©veloppement


Ajoutons que ma maman a la bonne idĂ©e de m’appeler pour me souhaiter bon voyage au moment oĂč le GSM passe aux rayons X.

Je me pose pour attendre l’avion quand s’assied Ă  mes cĂŽtĂ©s un visage familier. J’hĂ©site une seconde :

– Steve ?

Et oui, il s’agit bien de mon assistant de rĂ©seau de Louvain-la-Neuve qui prend le mĂȘme avion. Le monde est petit mais heureusement que Kristina n’est pas lĂ  parce que je serais encore accusĂ© de faire mon people. On est hype ou on ne l’est pas


J’embarque Ă  bord de l’avion et constate que Continental airlines est une compagnie bien sympathique : elle donne en effet une nouvelle chance aux hĂŽtesses Sobelair des annĂ©es 60. On a l’impression que ce sont les passagers qui les aident Ă  embarquer. En plus elles sont trĂšs sympas, j’ai l’impression de retrouver les cuisiniĂšres et les surveillantes du dĂźner chaud Ă  l’école primaire.

Mon cĂŽtĂ© geek constate avec jubilation que, en plus des programmes tĂ©lĂ©s, il y a des jeux vidĂ©os dans le dossier en face de vous et qu’on peut dĂ©tacher une manette de l’accoudoir ! GĂ©nial ! Bon, aprĂšs 10 secondes de tests, il apparaĂźt que les jeux sont des clones de Pacman, Solitaire et Space Invaders qui datent de 1999 et qui tournent sur ce systĂšme avec un FPS rate proche de celui de Doom 3 sur mon Nokia 770[1]. J’en suis donc rĂ©duit Ă  regarder les films.

Le « featured movie » du jour est un film avec Hugh Jackman (The Fountain), ce qui est pour moi gĂ©nĂ©ralement une garantie d’un navet de qualitĂ© Ă  regarder avec Boumcke et Fred. Celui-ci se classe dans la catĂ©gorie des films qui vous font vraiment prendre conscience que vous venez de gĂącher 1h30 de votre vie. J’en suis rĂ©duit Ă  d’autres dĂ©couvertes (notamment « Employee of the month » qui est vraiment pas mal avec des pointes de second degrĂ© mais qui deviendrait culte si rĂ©Ă©crit par la bande de Shaund of the dead. Les amĂ©ricains ont vraiment du mal avec le second degrĂ© et se doivent de finir tout avec des morales/happy end pĂ©nibles). Mention toute particuliĂšre Ă  la chaĂźne « documentaires animaliers » qui passe en boucle 30 minutes de pingouins sur une banquise suivit d’une heure et demi d’un reportage sur la vie de David Hasselhof. Ça ne s’invente pas


Boumcke

Fred

Le vol dure pile poil 12h. 12h pendant lesquelles je ne dormirai jamais plus de 10 minutes d’affilĂ©es. En effet, dĂšs que je m’endors, j’étends naturellement les jambes dans le couloirs. Et aprĂšs la 5Ăšme hĂŽtesse qui se soit mĂ©chamment trĂ©buchĂ©e, on me fait comprendre avec des gros yeux et des jurons amĂ©ricains de garder mes pĂ©niches en dessous du siĂšge.

L’arrivĂ©e est dĂ©jĂ  une autre histoire. Une heure de retard Ă  cause d’un orage au dessus de Houston et, surtout, un bordel incroyable Ă  cause du changement d’heure. Les amĂ©ricains ont avancĂ© leur passage Ă  l’heure d’étĂ© cette annĂ©e et les ordinateurs n’étaient pas tous prĂȘts. Les informations Ă  bord de l’avion sont donc dĂ©calĂ©es d’une heure. On m’annonce aussi Ă  l’arrivĂ©e que ma correspondance partira en consĂ©quence une heure plus tard ! Une hĂŽtesse change mĂȘme Ă  la main l’heure sur mon billet. Or, aprĂšs vĂ©rification sur un second panneau, il s’avĂšre que ce n’est pas le cas. Youpie !

Mais revenons Ă  l’avion. AprĂšs ĂȘtre sorti de l’avion, je suis de longs couloirs pendant 10 minutes. C’est grand Houston. Marchant vite, j’arrive Ă  l’immigration dans les premiers. Il y a une personne devant moi. Cela dure 15 minutes. Quand c’est mon tour, il y’a une file de plus de 100 personnes derriĂšre moi, je n’ose imaginer le temps que ça prendra
 Bref, je suis photographiĂ©, mes empreintes digitales sont scannĂ©es[2], je dois pas faire pipi dans un pot aussi ?

Je rĂ©cupĂšre mes bagages, les mets sur un chariot, monte d’un Ă©tage et redonne direct mes bagages Ă  un employĂ© qui les envoie, via un tapis roulant, Ă  l’étage d’en dessous. Ça valait vraiment la peine que je les rĂ©cupĂšre ! Mais n’oublions pas que nous sommes Ă  PĂšre Ubu airport[3]. Je m’inquiĂšte un peu parce que, pendant que le mec met les valises sur le tapis roulant, une dame vĂ©rifie les tickets et parfois crie que non, ces valises lĂ  ne vont pas sur le tapis et les gens doivent les enregistrer manuellement. Et comme elle vĂ©rifie mon ticket alors que mes valises ont dĂ©jĂ  disparu, je croise les doigts pour les revoir au Mexique


Ensuite, on re-passe Ă  la fouille. Mais ici, on ne rigole pas. On enlĂšve chaussures, ceintures, vestes, pulls, tout sauf le pantalon et le t-shirt. Tout le monde passe pieds nus ou en chaussettes. C’est incroyable comme c’est Ă©trange. La file d’hommes en vestons, de texans en santiags et de dames en tailleurs se transforme soudain en troupeau de personnes en pyjamas. Sans veste, sans bijou, sans chaussures, sans ceinture, sans pull, sans veston, tout le monde semble presque tout nu.

Mon sac est complĂštement fouillĂ© pour je ne sais quelle raison. Le douanier trouve mes biscuits au chocolat et m’annonce qu’il doit les confisquer. Ah bon ? C’est interdit ? Oui, quand il a faim ! Il Ă©clate de rire. Puis il remarque l’autocollant Ubuntu sur mon laptop.

– Oh Linux ! You are into big troubles my boy !

Nouvel Ă©clat de rire. Il m’annonce qu’on voit vraiment que je rentre de vacances. Mon anglais n’était donc pas si mauvais


Ubuntu

Viens ensuite le moment de prendre ma correspondance pour Guadalajara, annoncĂ©e Ă  20h50. Changement de terminal via le mĂ©tro extĂ©rieur. Dehors, les Ă©clairs tonnent, la pluie tombe Ă  seaux, le mĂ©tro sans conducteur se balance Ă  plusieurs dizaines de mĂštres au dessus du vide au milieu des Ă©lĂ©ments dĂ©chainĂ©s[4]. J’arrive bien en avance, le vol est annoncĂ© sur le panneau lumineux au dessus de la porte d’embarquement. Cependant, Houston est un capharnaĂŒm infernal. Les gens courent partout, les annonces incomprĂ©hensibles se succĂšdent dans des hauts-parleurs Ă  la puissance et la qualitĂ© d’un son issu de mon laptop:

– *Warning ! Gate change ! The flight number eight-twenty-six-fourty-two-six-seven-one-eleven-*crouish*-five will be at gate *crouiiiish* instead of gate *crouish* !*

Un avion vient se mettre Ă  ma porte d’embarquement. Et lĂ , le panneau lumineux s’éteint. Puis annonce un vol pour San Diego pendant 5 minutes. Puis s’éteint et rĂ©annonce Guadalajara pendant 5 minutes et ça continue comme ça. Pendant ce temps, les gens courent partout. Je vois des passagers rentrer dans des portes d’embarquement et en sortir 15 minutes plus tard. On annonce que tel vol est en retard parce que l’avion n’est pas encore arrivĂ©. Tel autre, l’avion est lĂ  mais on ne sait pas oĂč est l’équipage. Enfin, un troisiĂšme est annoncĂ© Ă  l’heure si on a de la chance et que l’avion et l’équipage arrivent tous les deux[5].

Finalement, l’avion Ă  ma porte part pour San Diego. À 8h55, le 8h50 pour Guadalajara devient 9h10. Puis 9h20. Puis 9h30. Finalement, je pars bel et bien avec une heure de retard. Mon avion dĂ©colle juste quelques minutes avant le vol pour Guadalajara de 6h20. L’avion compte 57 place. Je suis tout au bout, sur un siĂšge tout seul juste Ă  cĂŽtĂ© des rĂ©acteurs. C’est le genre d’avion oĂč je ne sais pas me tenir debout, le plafond Ă©tant Ă  1,75m du plancher. Dans un tel avion, le dĂ©collage au milieu de l’orage est un plaisir pour les amateurs de sensations fortes. C’est amusant aussi comme le bruit change quand le pilote remet les gaz. Je m’endors au milieu du dĂ©collage, complĂštement secouĂ© et suis subitement rĂ©veillĂ© par une violente poussĂ©e qui me propulse vers le plafond. Heureusement que j’avais ma ceinture. Nous sommes au milieu de l’orage et l’avion semble tomber, les moteurs Ă©mettent un hurlement strident, mon estomac est dans ma gorge, on ne voit mĂȘme plus le bout des ailes dans les nuages. J’aime !

Une fois le nuage passĂ©, nous arrivons au dessus du Mexique et je peux voir par le hublot les millions d’étoiles qui scintillent dans le ciel. C’est magnifique. L’avion se pose et la premiĂšre chose qui me vient Ă  l’esprit :

– Aprùs 14 ans, je suis de retour

La douane mexicaine a mis en place un systĂšme amusant. Un grand feu rouge se dresse devant la porte de sortie de l’aĂ©roport. Vous appuyez sur un petit bouton et, gĂ©nĂ©ralement, le feu devient vert. En tout cas, il l’a fait pour tout le monde avant moi. Je m’avance, appuie sur le bouton en question et un hurlement strident retentit. 2 grosses lampes rouges s’allument. Pendant une seconde, je suis persuadĂ© d’avoir actionnĂ© le processus d’auto-destruction de l’aĂ©roport. Mais non, je suis contrĂŽlĂ©. C’est pire !

Passage de la valise aux rayons X, ouverture du sac et fouille. Pourvu qu’il ne dĂ©couvre pas les chocolats ! Le douanier n’aime pas du tout que je vienne au Mexique pour plusieurs semaines. Mais comme m’a dit Steve avant le dĂ©part :

– MĂȘme si tu vas pour le boulot le plus rĂ©gulier du monde, que tu as de la famille, que tout est en rĂšgle, dĂ©clare toujours que tu viens en touriste ! Je me suis fait avoir une fois en Australie, j’ai retenu la leçon.

À la douane, on raconte pas sa vie. On dit « turisto, turisto » et on fait son sourire le plus niais.

Je peux enfin franchir la porte. Mon ami David m’attend depuis plusieurs heures, le pauvre. J’arrive enfin chez eux. Je retrouve la maison de Guadalajara aprĂšs 19 ans ! Sarah dort dĂ©jĂ  et David me montre ma chambre. J’en reste pantois ! Ça c’est l’aventure Ă  la dure comme je l’aime ! Cela fait 28h que je suis debout, le lit et la douche sont les 2 plus belles inventions du monde.

Bon, j’avoue. Avant la douche, j’ai d’abord checkĂ© les rĂ©seaux Wifi du voisinage. Juste par curiosité 

Prochain Ă©pisode donc : un aventurier de luxe 😉

[1] ça veut dire que c’est trùs lent

[2] Le gouvernement américain a donc accÚs à mon ordinateur

mon ordinateur

[3] L’aĂ©roport s’appelle en vrai « Georges Bush airport », ça fait bizarre d’entendre « Welcome to Georges Bush ».

[4] Oui, j’aime le cĂŽtĂ© dramatique

[5] Je n’invente rien, c’est vraiment ce qui se dit dans les annonces !

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