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J’emmerde Noël

2007-12-24

un conte pour ex-enfants

La nuit était déjà tombée, enfouissant la ville sous une chape de froid et d’obscurité que n’arrivaient pas à réchauffer les nombreuses lampes constellant les façades. Les vitrines des magasins clignotaient de tous leurs feux en une parodie pathétique de cet astre du jour si rare et si avare de ses rayons en cette période de solstice.

La foule se pressait sur les trottoirs, écrasant sous le poids des cadeaux les derniers restes d’une boue fétide qui avait été de la neige, débordant sur les rues où les trop nombreux conducteurs invoquaient les dieux des places de parking à coup de jurons bien sentis.

Tenant fermement la main de sa maman, engoncée dans son adorable manteau rouge orné de pompons blancs, Zoé était triste. Cette année, le père Noël n’était pas passé. Cette année, le pied du sapin restait désespérément vide. « J’ai eu trop de travail ma petite » avait dit Papa. « Mais on ira t’acheter le plus beau cadeau que tu désires ensemble ». Zoé avait sourit tristement pour ne pas lui faire de peine.

Tout en contemplant l’armée de genoux qui défilaient devant ses yeux sans la voir, elle réfléchissait. Les papas, ça ne comprend jamais rien. Pourquoi le père Noël aurait-il été mis en retard par le travail de Papa ? Et puis si c’était Papa qui achetait le cadeau, ça lui coûterait de l’argent. Elle ne voulait pas que ça coûte de l’argent à Papa. Pourquoi le père Noël ne passait-il pas ? Lui au moins il avait tout gratuit. Et puis, elle aimait beaucoup son Papa, mais un cadeau du père Noël, ça n’était pas pareil. Il devait bien y avoir une raison pour qu’il ne soit pas venu. Elle avait été sage. Du moins ce qu’il fallait. Il fallait y réfléchir.

– Tout ça, ce n’est qu’un prétexte de la société capitaliste pour nous pousser à la consommation. Tu vois cet homme chargé de paquets du traiteur ? N’a-t-il pas sacrifié plusieurs semaines de son salaire pour un simple repas gras et non-équilibré afin de satisfaire un besoin de paraître imposé ? C’est absolument scandaleux, nous sommes des moutons !

– Oui Miczak, oui ! répondit la compagne du jeune homme, lui serrant tendrement le bras à travers ses gants de laine.

– Tous arborent un sourire parfaitement artificiel ! Ce sont les fêtes, les Fêtes ! Cela signifie que le reste de l’année on moisit en se tuant à la tâche mais que pendant une semaine, on doit forcément s’amuser. S’amuser est un devoir ! C’est répugnant. L’hypocrisie bourgeoise à son paroxysme !

– Miczak, tu ne pourrais pas arrêter trente secondes ? On doit encore trouver un cadeau pour ta mère.

– Mais enfin Barbara, tu ne vois pas que ce faisant tu te fais le suppôt de l’infâme capitalisme ? Regarde ce pauvre sans-emploi qu’on a forcé à s’habiller d’une tenue ridicule de père Noël et à braver le froid pour attirer les clients ? Comble de l’insulte, il est rouge uniquement car une marque de boisson gazeuse l’a habillé aux couleurs de sa marque !

– Mais Miczak, tu es toi-même tout en rouge avec ton gros pull et ton bonnet.

– Cela n’a rien à voir Barbara, c’est mon pull du Che ! Le rouge et noir ! Révolution ! Le concept de propriété est un leurre. La fausse richesse, la surconsommation, tout cela nous rend esclave. Regarde Barbara, ne sommes-nous pas tous des moutons à nous presser dans les mêmes magasins afin d’y acheter des mets soi-disant délicats concoctés sur les plus infâmes souffrances animales.

– Oui, mais le foie-gras, j’aime ça. On en a déjà discuté mille fois.

Un reflet brillant attira l’attention de Miczak. Un paquet encore parfaitement emballé gisait dans le caniveau. La foule et le brouhaha ne semblait guère lui prêter la moindre attention. Miczak se baissa, le ramassa et l’examina.

– Tu vois Barbara, ils achètent tellement qu’ils ne font plus la moindre attention à ce qu’ils possèdent. Ce soir, un sapin sera un peu moins garni qu’à l’accoutumée, un fils de bourgeois aura un cadeau de moins que chaque année mais pourtant je te parie que personne ne s’en rendra compte.

L’emballage était légèrement déchiré. Barbare reconnu l’inscription.

– C’est une MaPoupée ™. C’est même la MaPoupée ™ avec son set complet d’équitation. J’en rêvais quand j’étais gamine.

– MaPoupée ™. Le summum de l’ignominie. On asservit les femmes dès leur plus jeune âge, on objetise le corps féminin. Savais-tu que si une MaPoupée ™ existait en vrai, elle ne tiendrait pas debout car ses jambes sont trop longues ? Et qu’elle ne pourrait pas avoir d’enfants car sa taille est trop étroite ?

– Ça veut dire que tu vas désormais m’aider à faire la vaisselle ça ?

Maman était occupée à discuter avec Papa devant la vitrine d’un magasin de sacs à main. Zoé n’aimait pas les sacs à main des grands. Ils étaient ternes. Marrons ou noirs. D’une manière générale, les grands ne connaissaient que le gris, le bleu foncé, le brun et le noir. On ne trouvait jamais rien qui soit d’une autre couleur pour les grands.

À travers la foule, elle vit soudain un grand monsieur habillé tout en rouge. Un grand monsieur tout en rouge ? Cela ne pouvait qu’être… Mais oui, il avait même un bonnet rouge. Il gesticulait et s’approchait d’elle sans la voir. En tirant sur la manche de Maman, elle pourrait se mettre dans son passage.

– Je vais te dire Barbara, je pourrais faire un don de ce cadeau mais je renforcerais le système. J’emmerde leur Noël à la noix et je vais le prouver en détruisant cet avatar du capitalisme bourgeois consumériste dès que l’on sera revenu à la maison.

Pour bien appuyer ses dires, Miczak portait le paquet à peine déchiré à bout de bras bien devant lui, comme un trophée dont l’odeur aurait été repoussante.

Deux petites mains ornées de moufles blanches agrippèrent subitement le paquet. Miczak, surpris, le lâcha. Une adorable petite fille enfoncée jusqu’aux oreilles dans un manteau rouge se tenait devant lui. Elle semblait soulagée, radieuse. Adroitement, elle découvrit une partie de l’emballage. Son sourire s’élargit jusqu’à son capuchon bordé de fourrure blanche.

– Oh, une MaPoupée ™ qui fait de l’équitation !

Toutes les lumières, tous les luminaires semblaient s’être donné rendez-vous dans les pupilles de la petite fille, une sarabande d’étoiles jaillit sous ses paupières. À cet instant, une main maternelle surgit de la foule et l’agrippa par le capuchon avant de la tirer. Zoé eut juste le temps de faire un petit signe de main et de lancer un sourire éblouissant :

– Merci Père Noël !

Photo par Ivan Naurholm.

Ivan Naurholm

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