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Message # 3 − L’Art de l’engagement par l’absence

Star de l'art contemporain des annĂ©es 90 avec ses oeuvres qui mettaient Ă  mal le rĂȘve amĂ©ricain, l'artiste amĂ©ricaine Cady Noland a complĂštement disparu des radars au dĂ©but du millĂ©naire. Elle a simplement arrĂȘtĂ© de crĂ©er - ou du moins d'exposer son travail. La raison de son absence fait dĂ©bat au sein du microcosme de l'art, elle crĂ©er l'interrogation et est source Ă  toutes les spĂ©culations. Les rares nouvelles que nous avons d'elle, sont uniquement judiciaires. En effet, Cady Noland a pour obsession la prĂ©servation de sa vie privĂ©e (il n’existe qu’une seule photographie d’elle ou elle cache son visage de ses mains), mais Ă©galement de son oeuvre, interdisant avec l'aide d'une nuĂ©e d'avocats, toute publication, exposition ou rĂ©trospective de son travail. Elle semble ĂȘtre dans un objectif de rĂ©appropriation de l'ensemble de sa crĂ©ation, tant morale que pĂ©cuniaire.

Les raisons profondes qui l'ont poussĂ© Ă  disparaĂźtre restes obscurs, mais attardons-nous, de façon plus gĂ©nĂ©rale, sur l’absence et sur le refus de poursuivre une carriĂšre de la part d'artistes qui frisaient les Ă©toiles.

J'ai toujours Ă©tĂ© fascinĂ© par les trajectoires interrompues, les bifurcations, les changements de direction. Alors qu'une carriĂšre semble s'engager sur une voie royale, vint l'interruption brutale causĂ©e par un ensemble de circonstances, dont le refus, la lassitude, le dĂ©sintĂ©rĂȘt et la rĂ©bellion. Ce sujet m'a menĂ© Ă  m'intĂ©resser aux parcours d'artistes qui ont suivi ce type de rĂ©volution personnelle, cette remise en question radicale et profonde portĂ©e par des idĂ©aux. J'en ai tirĂ© la constatation suivante : nombre des artistes ayant suivi un parcours similaire ont un point en commun, leur travail est toujours basĂ© sur les mĂȘmes thĂ©matiques et chemins - le militantisme et la critique du modĂšle capitalisme, des engagements forts qui, dans la majoritĂ© des cas, ont conduit Ă  un profond rejet du monde de l'art et de ses dĂ©rivent spĂ©culatives, le tout suivi d'une mise en retraite mĂ©diatique.

L’hyperconsommation et la dictature mĂ©diatique remontant naturellement Ă  la sphĂšre culturelle, pour l'artiste, l'art devient forcĂ©ment le symbole capitaliste ultime Ă  combattre. Quand la passion et surtout le message est rongĂ© par l'argent, la soumission Ă  la pression du marchĂ©, que l’artiste se voit dans l’impossibilitĂ© de changer de trajectoire et subit l'Ă©touffement du systĂšme, l'absence semble ĂȘtre la solution adĂ©quate pour le crĂ©ateur engagĂ©, soucieux de prĂ©server ce qui lui reste de conviction.

Mais pourquoi tant de sacrifices quand bien des artistes rĂ©ussissent pourtant Ă  combiner les deux - militantisme et carriĂšre, en faisant mĂȘme un argument de mise en avant ?

Plus souples, certainement, ils sont comme les deux facettes d'une mĂȘme piĂšce, trouvant l'Ă©quilibre sur la tranche. Pragmatiques et complaisants, un pied dans chaque plat, ils ont ainsi le privilĂšge de siĂ©ger aux meilleures tables.

D'autres, bien plus radicaux, qui n'accepte plus les compromissions et les courbettes, détruisent tout en plein vol et disparaissent pour investir d'autres sphÚres, développer d'autres moyens, construire un autre paradigme, loin de la lumiÚre et des paillettes.

Les paillettes justement !

Bien que l’engagement puisse sembler courageux pour un artiste, pour quelle raison, ces prises de positions publiques sont-elles souvent consensuelles et creuses ? Je me suis souvent posĂ© cette question et les derniers pitoyables manifestes d’artistes moralisateurs me poussent Ă  livrer ces quelques rĂ©flexions.

Un artiste fait de l’art par dĂ©finition et c’est Ă  travers son art qu’il vĂ©hicule ses Ă©motions, ses convictions, ses utopies... Du moment oĂč il sort de ce schĂ©ma, qu’il affiche clairement ses convictions et qu’il s’engage dans un combat - humanitaire, politique, Ă©cologique ou sociale, il perd mĂ©caniquement la partie de son public qui ne partage pas les mĂȘmes opinions. C’est en partie pour cette raison de popularitĂ© Ă©conomique que la majoritĂ© des artistes ont une posture de rĂ©serve ou ne s’associent qu’à des causes dites « nobles » et sans risque. La perspective d’une carriĂšre atomisĂ©e en plein vol calme beaucoup d’ardeurs. Cette posture « noble et sans risque » n’est pas de l’engagement, tout juste une crise de courage pour se donner bonne conscience ou flatter une partie de la population dans un but commercial, voir redorer une image aprĂšs des dĂ©rives Ă©gocentriques et autres frasques mĂ©diatiques.

Bon nombre sont ceux qui dans le sens du vent, utilisent la contestation comme stratĂ©gie mĂ©diatique. Le public n’est pas dupe et in fine, il s’apercevra du simulacre.

Que peut faire alors l’artiste engagĂ©, rĂ©ellement dĂ©sireux de porter un message en dehors des « circuits autorisĂ©s », quand s’écroule ce monde dans lequel il puise l’essence de sa vie et de son Ɠuvre ? Pour renouer avec l’instinct de la rĂ©volte, il faut en assumer les consĂ©quences. Tout est question de constance, de degrĂ©s d’engagement et de fidĂ©litĂ© envers celui-ci.

Le militantisme n’est pas sources Ă  paillettes et rĂ©compenses. Il est synonyme de rupture et de sacrifices.

Ceci Ă©tant dit, quelles sont les possibilitĂ©s pour un artiste militant de vivre de son art, s'il fait le choix radical de ne pas ou de ne plus participer Ă  la machinerie capitaliste du monde de l'art ? Si par conviction et/ou par respect pour son Ɠuvre, il se refuse Ă©galement de travailler pour la publicitĂ©, les marques ou tout autres structures liĂ©es de prĂšs ou de loin Ă  un systĂšme qu'il rĂ©fute en bloc ? Que lui reste-t-il alors pour gagner sa vie ? Quels sont les sacrifices qu'il doit faire et quelles options s'offrent Ă  lui pour ne pas gangrĂ©ner sa crĂ©ation. S'il considĂšre que son art mĂ©rite mieux que de finir - dans le meilleur des cas, au-dessus de la cheminĂ©e d'un spĂ©culateur obĂšse ? Que faire s'il considĂšre son art comme un moyen de passer un message humaniste, Ă©cologiste ou toutes autre cause qui lui tiens Ă  cƓur, qu'il considĂšre que c'est un don et que ce don ne doit pas ĂȘtre utilisĂ© inutilement dans le but d'alimenter une excroissance nombriliste, un projet matĂ©rialiste ou un dĂ©sir d'histoire et de gloire personnelle ?

Et s’il ne faisait rien, tout simplement !

S’il se contentait de ne plus rien faire et d’en faire un concept, un art conceptuel, une rĂ©sistance, un combat...

Les Ɠuvres futures comme des reflets de cet engagement puis, ne plus rien montrer pour mettre en scùne l’absence. Voilà une belle option à creuser !

Voyons oĂč cela nous mĂšne...

− Mardi 04 avril 2023