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2006-07-27
Dans un bruissement de liquide, mon corps s’extirpe une dernière fois de l’eau translucide. Mes mains mouillées supportent sans peine la chaleur de l’échelle métallique brûlée par le soleil. Je pousse un soupir. La dernière fois. Si seulement je pouvais prolonger cet instant. Rester une heure de plus seulement. Dieu, je vous en supplie, arrêtez le temps !
http://commons.wikimedia.org/wiki/Image:Man_sitting_under_beach_umbrella.JPG
D’un regard, je contemple les margelles, les palmiers, le bar à présent si familiers. La dernière fois.
J’attrape ma serviette reposant sur une valise entre deux transats. En m’essuyant, je constate avec satisfaction la couleur sombre aux reflets dorés de mes bras. Le maillot mouillé me colle aux jambes mais je dois me sécher. Il ne me reste plus qu’une demi-heure pour sécher. Je me dirige vers les toilettes du bar pour me changer, j’ai déjà remis la clé de mon bungalow. Mon bungalow, mon bungalow à moi et à moi seul, fidèle complice de ces deux semaines de luxure, de fêtes et de grasses matinées. Mon bon vieux bungalow que j’aperçois déjà envahi par un couple d’Allemands. Tu vas me manquer. Si seulement je pouvais rester un peu plus longtemps, juste quelques instants près de toi. N’y-a-t’il donc point de dieu pour réaliser un miracle ? Un petit et court miracle ?
Je reviens vers la piscine. J’ai perdu l’habitude des habits européens. Le pantalon long est lourd et raide contre mes mollets brûlés au sel, au chlore et aux coups de soleil. Benoît et Nina, un couple de Français très sympathique, me font un sourire nerveux. Ils savent que leur tour viendra demain. Karolijn, une pétillante hollandaise, se joint aux adieux. Nous avons échangé nos adresses, nos téléphones. Nous nous sommes promis de passer l’un chez l’autre, mutuellement juré des serments d’une amitié que nous n’avions jamais connu aussi forte. Mais nous savons tous au fond de nous que les petits papiers griffonnés se perdent, que nous n’avons déjà plus rien à nous dire, qu’une éventuelle retrouvaille un matin pluvieux de novembre révélerait des personnes pressées, grises, emmitouflées dans de gros manteaux et qui se marmonneraient un « on s’appelle un de ces quatre » sans conviction.
Nous le savons tous mais nous sourions car nous avons partagé des moments inoubliables. Les parties de volley, les soirées danses folkloriques, le bikini de Karolijn (et surtout ce qu’il y a en dessous, croyez-moi !). Je ne suis pas encore parti que déjà mes amis de vacances sont des souvenirs. Mon regard se perd sur le ciel désespérément dépourvu de nuage : dieu, fais-moi rester s’il-te-plaît !
http://commons.wikimedia.org/wiki/Image:Palmier-Jardin-Etat.jpg
Le vieil autobus arrive dans une odeur d’essence, de poussière et de transpiration. Le chauffeur, abrité derrière de grosse lunettes de soleil et une épaisse moustache, attrape ma valise et me fait monter sans égard à l’émotion du moment. Je m’assieds. Karolijn me fait au revoir de la main, Benoit et Nina sourient. Une étrange boule se forme au fond de ma gorge, mon sinus se plisse. Je tente de sourire mais sans conviction. De mon point de vue plongeant depuis le car, éclairé par le soleil de cette fin d’après-midi, Karolijn me semble soudain plus belle qu’elle ne l’a jamais été. Dieu que cette femme est magnifique, arrête le temps tout de suite, je descends.
Je déglutis avec peine et envoie un baiser furtif au moment où la carlingue de l’engin se met à vibrer sous les assauts du moteur. J’ai redescendu sur mon nez les lunettes de soleil qui ornaient mes cheveux.
Durant tout le trajet, je contemple le paysage qui défile sous mes yeux. Le dépaysement qui m’avait saisi à mon arrivée me semble maintenant habituel. En entrant dans l’aéroport surchauffé où l’air moite est vainement agité par de gros ventilateurs fanés, je suis traversé par une inquiétude. Moi qui me plaignais de la chaleur à mon arrivée, vais-je supporter le retour sous un ciel où le gris n’est percé que par les gouttes de pluie, le ciel se fondant dans un délicieux assortiment avec le trottoir, la rigole et la route. Du gris et de la flotte. Pitié seigneur, pitié ! Je t’en prie, exauce ma prière. Garde moi encore un peu ici.
La grosse dame en débardeur jaune vif qui me précède dans la file pour l’enregistrement des bagages me prend soudain à témoin : c’est quand même scandaleux, vous ne trouvez pas ? Et par contre, pour ça ils ont de l’argent !
Je ne sais pas de quoi elle parle mais j’acquiesce silencieusement d’un distrait mouvement de tête. Je ne bronche pas plus lorsqu’elle tente d’expliquer en petit-nègre à l’employé du comptoir que son petit fils a perdu son passeport.
Le portique et la fouille intégrale révèle que mon pantalon est pourvu d’une fermeture métallique faisant de moi un pirate de l’air potentiel. Et pourtant, je continue à sourire à m’asseyant sur le vieux banc en plastique à côté d’une échoppe proposant des tranches de mie de pain sous plastique. Je ne peux que penser à ce qui m’attend à quelques heures de vol d’ici : du gris et de la flotte. Des embouteillages, des injures, des voisins de train qui n’accordent pas une seconde de leur précieux regard.
Ah mon dieu ! Je t’en supplie ! Dieu, écoute ma prière !
Et soudain, une voix caverneuse surgie de nulle part retentit. Forte, puissante, elle envahit l’espace. Je ne comprends pas bien mais oui ! C’est bien à moi qu’elle s’adresse :
– Mesdames et Messieurs, nous sommes au regret de vous annoncer que pour des raisons techniques l’avion XC-747 aura deux heures de retard.
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