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1970-01-01 02:00:00
rlp
Une femme accouche dans une rame de RER et seulement deux personnes parmi les
nombreuses pr sentes lui viennent en aide. Une autre se fait sexuellement
agresser sur un quai de m tro et aucun des dix t moins ne r agit... Etonnant ?
Il est environ 11 heures, ce lundi 18 juin. Les passagers du RER A arrivent en
gare d'Auber, lorsque des g missements commencent se faire entendre l' tage
sup rieur de la rame. Lamata Karamoko vient de perdre les eaux et s'appr te
accoucher dans le wagon. "Personne n'est all voir pourquoi cette dame g
missait, ce qu'il se passait, t moigne Eliane, qui a assist la sc ne, dans
Le Parisien. Et puis tous les gens sont descendus sans apporter de l'aide."
Avec une autre passag re, elle tente d' pauler la jeune maman.
Et vous, qu'auriez-vous fait ? Accidents, malaises, agressions... Ces derni res
ann es, la presse s'est fait l' cho de nombreuses reprises de la passivit
des t moins de certains faits-divers. Ce ph nom ne a un nom : le "bystander
effect".
"Plus on est nombreux, moins on va r agir"
Le concept merge apr s le meurtre de Kitty Genovese en 1964. Cette
New-Yorkaise de 28 ans est agress e, viol e et poignard e en pleine rue dans un
quartier tranquille du Queens, vers 3 heures du matin, alors qu'elle rentrait
du travail. Le lendemain, la presse (en anglais) d nonce le silence des 38 t
moins qui auraient assist , depuis leur domicile, la lente agonie de la jeune
femme. Si le nombre de t moins a par la suite t contest , des scientifiques
se sont empar s de ce cas pour interroger la r action ou l'absence de r
action des t moins.
Bibb Latan et John Darley, deux chercheurs am ricains en psychologie sociale,
ont mis en lumi re l'existence de ce "bystander effet", ou "effet spectateur".
En laboratoire, un participant est install dans un box, avec un syst me
d'interphone. Un complice, pr sent dans la discussion, simule alors une crise
d' pilepsie. Les chercheurs constatent que si le participant pense tre le seul
interlocuteur de la victime, il aura davantage tendance intervenir. Par
contre, s'il est dans une discussion de groupe et que les autres ne r agissent
pas, c'est le contraire.
"L'effet spectateur, c'est le fait que plus il y a de t moins, moins on est
pouss agir parce que la r action individuelle est influenc e par celle des
autres", explique Olivia Mons, porte-parole de la f d ration France Victimes,
franceinfo. Lorsqu'un groupe de personnes assiste une sc ne de d tresse, un
ph nom ne de "dilution de la responsabilit " op re. Ainsi, "plus on est
nombreux, moins on va r agir", affirme Martine Batt, professeure de psychologie
l'universit de Lorraine. Est-ce que j'interpr te bien ce qui est en train de
se passer, ou bien peut- tre que j'exag re ce que je vois ? Pourquoi r
agirais-je, alors que les autres ne le font pas ? Est-ce que je suis l gitime
intervenir ou est-ce que je vais tre ridicule ? Toutes ces interrogations
retardent le temps d'action, voire emp chent toute intervention des t moins.
Lorsque quelqu'un est le seul spectateur des faits, "il peut y avoir une esp ce
de calcul qui va se faire", explique Peggy Chekroun, professeure de psychologie
sociale l'universit de Paris Nanterre. Il op re alors, "assez
automatiquement, rapidement et pas forc ment de mani re consciente", la balance
"co t-b n fice" de sa propre intervention. Ces facteurs peuvent tre personnels
("Vais-je perdre du temps ?") ou collectifs ("Que va-t-on penser de moi si je
n'interviens pas ?"). "La r ponse va sortir en fonction de ce calcul", conclut
l'enseignante.
Sans compter la peur que peut inspirer une situation surprenante et
inhabituelle. "C'est une motion tr s puissante qui peut tre vraiment
inhibitrice d'une aide", rappelle Olivia Mons.
"J'ai t t moin d'un viol et je n'ai pas boug "
"Je suis coupable de non-assistance personne en danger", reconna t Aur lia
Bloch, dans son documentaire du m me nom, diffus le 8 d cembre 2015 sur France
5. Un dimanche d'avril 2004, elle s'installe dans son train apparemment vide,
en direction de Paris. Les voix d'une femme et de plusieurs hommes s' l vent
dans la rame. Elle ne les voit pas, mais entend des bruits de coups, la femme
dire non et les hommes, ricaner. L'alarme du train est loin. "Elle ne demande
pas d'aide", "elle est s rement consentante", "j'ai peur de passer pour une
folle"..."Je me posais plein de questions", raconte la journaliste
franceinfo. Elle se terre dans son fauteuil, le reste du trajet, "trente
minutes fig es, comme anesth si e", commente-t-elle dans son film.
On est dans la culpabilit sans en parler. [...] C' tait quelque chose de tr s
enfoui, a ne faisait pas l'objet d'une culpabilit quotidienne.Aur lia Bloch,
journaliste franceinfo
Jusqu' l'affaire de C cile P., en 2014. Sur un quai de m tro lillois, cette
jeune femme est sexuellement agress e par un homme aux alentours de 22h30.
Autour d'elle, une dizaine de t moins, mais aucune r action. L'affaire, tr s m
diatis e, r veille les souvenirs d'Aur lia Bloch.
C'est une sorte d'exutoire. [...] C' tait une fa on, en comprenant pourquoi les
t moins taient passifs, de comprendre pourquoi je l'avais t .Aur lia Bloch,
journaliste franceinfo
Culpabilit , honte... Les t moins passifs vivent avec le poids de leur apathie.
"On a parfois des personnes qui viennent nous voir en se sentant quasiment
autant victimes que la victime directe", explique Olivia Mons. "Bien s r que la
soci t condamne la non-r action, on dit toujours 'Moi j'aurais fait mieux',
parce qu'on a le syndrome du sauveur... Mais il faut nuancer !", surench
rit-elle. A cause de ces m canismes de psychologie sociale et de la peur
paralysante d'une telle situation, elle appelle "relativiser le c t 'je suis
t moin et je me sauve parce que je suis l che'".
Mais pour les victimes, cette apathie de la part des t moins est d sastreuse.
Elle peut tre ressentie comme une double peine : "La peine d'avoir t agress
et la peine surtout de ne pas avoir de valeur aux yeux des autres et d' tre
rien", analyse Aur lia Bloch, lors de son passage dans l' mission "C vous",
en d cembre 2015.
L'article 223-6 du Code p nal pr voit une peine de cinq ans de prison et une
amende de 75 000 euros pour non-assistance personne en danger. Mais peu de t
moins passifs sont poursuivis en justice : "C'est quelque chose sur lequel on
n'a pas beaucoup de jurisprudence", explique Jean-Philippe Vauthier, professeur
de droit l'universit de Guyane. Le procureur de Lille avait, dans un premier
temps, envisag des poursuites dans l'affaire de C cile P., avant d'abandonner,
faute d'informations suffisantes sur les t moins.
La non-assistance personne en danger existe "pour combattre l' go sme sans
imposer l'h ro sme", rappelle Jean-Philippe Vauthier. "Il faut que
l'intervention soit sans p ril pour moi ou pour les autres, d crypte le sp
cialiste. Tout va d pendre du mode d'action choisi. On ne va pas forcer
quelqu'un intervenir directement, mais si la personne n'appelle pas les
secours, a pourra lui tre repproch ."
"Il y a diff rents degr s d'action"
Comment lutter contre notre inclinaison rester inactifs ? Qu'il s'agisse d'un
accident de la route, un malaise dans la rue ou du harc lement dans les
transports, des attitudes peuvent permettre de contrer l'apathie des t moins.
"Il y a diff rents degr s d'action. Tirer une sonnette d'alarme quai, avoir
une intervention active en cas de harc lement... a peut tre aussi un simple
sourire, se lever ou se rapprocher... a peut aider, le fait de montrer par un
moyen ou un autre une sorte d'empathie avec la victime", argue Olivia Mons.
Il suffit d'une toute petite tincelle et c'est tout le groupe qui s' l ve
contre l'agresseur. [...] Le but ce n'est pas de faire de chacun d'entre nous
un super-h ros, mais juste de savoir que l'union fait la force.Aur lia Bloch,
journaliste franceinfo
. @projetcrocodile t explique comment r agir quand tu es t moin d une
agression, lis donc : http://t.co/0Ern6YYRQg pic.twitter.com/1FrrNHZUr6
Clairon (@Klairon_) 21 mai 2014
La connaissance de "l'effet spectateur" pourrait en limiter les cons quences.
"On peut duquer tr s t t contre ses effets, expliquer comment appeler l'aide
et faire des enseignements sur les effets de groupe", pr ne Martine Batt. Aur
lia Bloch en est persuad e, "si c' tait refaire, [elle] ne referai[t] pas du
tout de la m me fa on" : " l' poque, je ne savais pas du tout quoi faire.
[...] En fait, je pense que j' tais comme la plupart des personnes qui sont t
moins. Je n' tais pas form e."