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2010-10-26 14:58:57
LEMONDE | 25.10.10 | 13h37 Mis jour le 25.10.10 | 19h49
Riva Kastoryano, directrice de recherches CERI-CNRS
O va l'Europe ? D'est en ouest, s'expriment les particularismes culturels,
historiques et politiques. En mai, les lections l gislatives n erlandaises
font du Parti pour la libert , populiste, la troisi me force politique du pays.
En juin, le parti nationaliste hongrois, le Jobbik, fait une entr e
spectaculaire au Parlement avec 16 % des voix, doublant son score aux europ
ennes de juin 2009. En Scandinavie, la Su de suit le Danemark avec l'entr e
d'un d put d'extr me droite au Parlement. Quant la Belgique, elle est plong
e dans une crise sans pr c dent depuis la victoire des s paratistes flamands
aux l gislatives de juin. Histoires diff rentes, certes. Mais les enjeux et les
r actions de replis identitaires nationaux, r gionaux, linguistiques, en de
et au-del des fronti res territoriales, sont similaires.
A propos de l'auteure
Sociologue de formation, enseignante Sciences Po et la New School for
Social Research New York, Riva Kastoryano a d velopp ses recherches en
sociologie politique sur l'Europe, les nationalismes, les identit s et les
communaut s. Elle est notamment l'auteur de "Quelle identit pour l'Europe ? Le
multiculturalisme l' preuve" (Presses de Sciences Po, 2005).
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Le grand d bat L'Europe face aux nationalismes
Eclairage Identit citoyenne versus identit ethnique
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Le grand d bat L'Europe face aux nationalismes
Eclairage Identit citoyenne versus identit ethnique
En Europe centrale, les nationalismes offensifs ou d fensifs sont l'origine
des tensions entre Etats voisins. Le d sir de retour la "magyarit ", au r
tablissement du lien entre peuple, territoire et nation qui avait t rompu par
le trait de Trianon en 1920, a conduit le Parti conservateur - en comp tition
avec le Parti nationaliste - mettre en place des lois sur la double
nationalit attribu e aux minorit s hongroises hors fronti res. De peur que la
minorit en question (environ 10 % de sa population) ne revendique son
autonomie, le voisin slovaque n'a pas tard se d fendre en mobilisant la
vieille peur du "grand Hongrois".
Les Roumains la recherche de la Grande Roumanie, la Bulgarie dans la lutte
contre les minorit s turques musulmanes et les Roms trouvent chacun le salut
dans le discours nationaliste et la progression des partis populistes. A la d
finition et red finition de l'Autre - Tziganes, Roms, Maygars, Turcs... qui
nourrissent explicitement les discours nationalistes - vient s'ajouter
l'impuissance des politiques conomiques consolider les sentiments
d'appartenance des nations qui se voient comme exclusives. Quant l'Union
europ enne, qui a conduit les pays de l'Est de la souverainet retrouv e la
souverainet partag e, elle est, l'Est comme l'Ouest, source d'ambigu t et
de paradoxe.
Les nationalismes constituent l'organisation de base dans l'Europe du XIXe si
cle mais pas de la construction de l'Europe unie, bien au contraire. Certes, la
signature du trait de Maastricht avait provoqu d'innombrables d bats
concernant les implications d'un nouvel espace politique sur les identit s
nationales, r gionales, linguistiques, religieuses, et bien s r sur l'identit
europ enne qui engloberait l'ensemble et la citoyennet qui lui serait li e.
La question tait triple : comment combiner l'id ologie universaliste des
Etats-nations et le particularisme culturel et historique qui caract rise
chacune des nations ; comment choisir entre les int r ts conomiques et une
volont politique commune, et la souverainet des Etats ; et comment articuler
les appartenances plurielles et complexes des individus, des groupes, des
nations pour arriver construire une identit europ enne, ou plut t susciter
leur identification une Europe unie.
Alors que le projet europ en avait comme objectif premier le d passement du
"mod le nationaliste", l'Europe unie a surtout mobilis des partis populistes
et provoqu par endroits leur succ s. En effet, le populisme a bien trouv sa
base sur une Europe sans fronti res int rieures. Mais cet espace de libre
circulation est aussi un espace transnational de solidarit , un espace de
mobilisation et de revendication des int r ts et des identit s.
Les r sistances ont port au premier plan sur les questions d'identit
nationale et de souverainet , exprim es par la protection des fronti res
territoriales d'un c t , par la pr sence des immigr s, et notamment de l'islam
dans l'espace public, de l'autre. Cela s'accompagne d'un rappel "automatique"
des principes de citoyennet et de la comp tence des Etats en mati re
d'immigration, transform e d sormais en question de s curit . Le tout se
traduit par un populisme qui s'accroche une repr sentation des identit s
nationales, linguistiques et territoriales. Le nationalisme constitue un grand
d fi pour l'Union europ enne. En posant la question des minorit s, de l'identit
et de l'alt rit , il remet en cause la capacit de l'Europe unie conduire
les Etats au-del de leurs particularismes, faire partager un avenir commun
dans le respect des nations et des citoyens et former une identit europ
enne.
Il est temps de voir merger en Europe une nouvelle forme d'organisation
politique qui rassemblerait toute la diversit culturelle et nationale qu'elle
incarne et qui ferait du respect de cette diversit sa norme incontournable.
Si la nation, cette construction historique, s'appuie sur le mythe d'un pass
commun, l'identit nationale, elle, est dynamique. Elle se d finit et se red
finit par rapport aux autres nations pour d limiter ses fronti res
territoriales et identitaires. Mais elle se red finit aussi par rapport aux
attentes des groupes sociaux qui la composent. Les s paratistes flamands
s'affirment en Belgique en pla ant la question linguistique et territoriale au
coeur des projets de r forme de l'Etat f d ral. La demande de protection et de
reconnaissance de la langue flamande depuis le XIXe si cle s'est traduite
aujourd'hui par une victoire lectorale, expression d'une frustration vis- -vis
de la Belgique francophone.
Mais de fa on plus g n rale, loin de d finir les fronti res territoriales des
Etats, le nationalisme tel qu'il s'exprime aujourd'hui dans diff rents pays
membres de l'Union a choisi comme cible l'immigration, l'islam, le
multiculturalisme et le spectre du communautarisme qui lui est li , pour
consolider les fronti res d'identit s qui se d finissent comme nationales.
Accept comme principe ou rejet mais n anmoins appliqu dans les d mocraties
occidentales, le multiculturalisme est aujourd'hui au coeur des controverses
comme cause et effet du rejet de l'Autre. Aux Pays-Bas, Geert Wilders a
construit sa campagne autour du rejet de l'islam pour revendiquer le retour des
valeurs n erlandaises. D j les assassinats de Pim Fortuyn et de Theo Van Gogh
avaient g n r un changement radical dans les politiques et l'opinion
concernant les minorit s. D sormais, la question du multiculturalisme est li e
aux politiques d'immigration cause d'une opinion sensible l'int gration des
nouveaux venus, notamment ceux des pays musulmans.
Les Pays-Bas avaient opt pour des politiques d'immigration restrictives, qui
donnent le ton aux politiques d'int gration avant l'arriv e des candidats l'
migration, en exigeant par exemple la connaissance pr alable de la langue du
pays ; ce qui revient une assimilation hors fronti res. Cette politique qui
consiste r affirmer une identit nationale en dehors de territoires tatiques
se r pand dans d'autres pays en Europe, et sert renforcer une id e de
souverainet et de repr sentation de l'identit nationale.
En Grande-Bretagne, le premier tableau sombre du multiculturalisme a t dress
la suite des attentats de 2001 ; tableau assombri davantage avec les attaques
de Londres en juillet 2005. La Grande-Bretagne est aujourd'hui loin du rapport
de Bhiku Parekh, professeur de politique l'universit de Hull, qui r clame un
pays qui soit la fois "une communaut de citoyens et une communaut de
communaut s", pour poser d sormais la question de l'int gration en termes de s
curit nationale.
La France, quant elle, n'a jamais engag de politique multiculturaliste. La
rh torique r publicaine a toujours rejet l'id e de politique diff rentielle.
Mais la pratique a mis en vidence un multiculturalisme appliqu dans le
domaine du logement et de la scolarit . Le triomphe du r publicanisme
universaliste, fid le la philosophie des Lumi res, a m me t souvent critiqu
par les lib raux. Aujourd'hui c'est le non-respect de ce principe qui est en
cause.
D'autres cat gorisations, d'autres stigmatisations sont venues au secours des
effets pervers du multiculturalisme. L'islam et l'immigration, focalis s autour
de la burqa dans l'espace public, ont t plac s au coeur du d bat sur
l'identit nationale initi e en automne 2009 par le minist re de l'immigration
et de l'identit nationale. Il n'est plus question d'int gration, ni de
principes, mais des fronti res identitaires per ues comme insurmontables sur un
m me territoire national, en contradiction avec la rh torique r publicaine et
avec le discours fond sur le nationalisme civique.
La mont e des nationalismes en Europe t moigne des limites de la normativit
des institutions europ ennes et appelle chercher d'autres voies d'influences
r ciproques entre Etats, communaut s et supranationalit au-del des discours
normatifs. Il devient urgent d'aider les soci t s nationales surmonter ces
tensions. Et tout aussi urgent de sensibiliser l'opinion sur les dangers du
populisme que l'Europe du XXe si cle a d j connus. Enfin, de responsabiliser
le citoyen vis- -vis de l'avancement de l'Europe, en laissant les identit s se
superposer sans riger de barri res entre elles et sans d finir d'ennemis
communs.