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Message # 4 − Kodak Bromure Bromesko Velox

La forêt est fracturée par une tranchée sans combat, creusée au début du siècle dernier par de jeunes gens imberbes envoyés à la guerre, que l’on surnommait les poilus. L’excavation longue et étroite est bordée à droite par une rangée de ronces, à gauche par une clôture de barbelés. Le rouge des coquelicots perce les épines, le lierre a envahi les fils de fer. Les sacs de sable empilés forment aujourd’hui un mur intérieur compact que le temps a figé. Quelques pas de côté suffisent pour apercevoir le petit chemin tracé, deux lignes gravillonnées, creusées par de multiples passages d’engins motorisés. Au centre, une bande de verdure a survécu. Un scarabée tente la traversée.

C’est une photographie en noir et blanc, légèrement jaunie par le temps, tirée sur un papier Kodak Bromure Bromesko Velox, accompagné de son ordre de développement non daté. La photo comporte quelques traces de manipulation sur le haut à gauche et une légère tache brune en bas à droite. Ces deux imperfections tracent une diagonale mentale qui déséquilibre l’impression de profondeur créée par la perspective originale. Au premier plan, deux personnages, apparemment un père et son fils qui posent lors d’une promenade dominicale. Le pantalon clair à patte d’éléphant du père nous plonge dans la mode de la fin des années 60, début des années 70. Rentrée soigneusement dans le pantalon, une chemise blanche pelle à tarte laisse apparaître un torse velu orné d’une chaîne cubaine. Un cigarillo dans la main droite, une grosse chevalière. Le fils tient des deux mains un bâton de bois comme une arme, qu’il pointe l’air vengeur vers l’objectif. Vêtu à la façon du père, il semble prêt à faire feu. Derrière eux sur la gauche, on distingue vaguement les premiers barbelés. Sur le verso, quelques mots manuscrits : tout s’effacera un jour.

La photographie crée des absences.

− Samedi 08 avril 2023