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Les lecteurs avertis savent que le steampunk est un genre de récit rétro-futuriste qui revisite notre passé comme une uchronie avec une dose de fantastique ou de science-fiction. Il décrit donc un futur non advenu, typiquement situé au moment de la révolution industrielle, dont l'esthétique relève grosso-modo de l'époque victorienne jusqu'à la Première Guerre mondiale, avec force vapeur, engrenages, cuivres et cuirs. Mais il s'agit dans le même temps d'un genre tout à fait contemporain que les auteurs du XIXème ou du début du XXème siècle ne connaissaient pas. Vus de notre présent, ils faisaient du steampunk sans le savoir, à la manière de M. Jourdain. Vus de leur époque, ils écrivaient tout simplement des commentaires sur leur actualité, de l'anticipation avec leurs propres repères, leur langue et leurs références.
Si les noms de Verne (père et fils), Poe, H.G. Wells, voire Villiers de L'Isle-Adam ont fait leur chemin jusqu'à aujourd'hui, ils sont nombreux, romanciers, chroniqueurs, humoristes a avoir trempé leur plume dans la science-fiction avant que ce genre ne soit identifié, cloisonné puis dénigré. Des humoristes, en effet, car il se dégage des textes de cette anthologie quelque chose qui est tout à fait à l'opposé, en général, des œuvres de steampunk : la légèreté et l'humour. Voire la pantalonnade. Qu'Alphonse Allais soit cité dans l'un des textes donne un aperçu de l'état d'esprit de l'auteur aussi bien que du ton de l'œuvre.
Il en va ainsi de L'invention, de Willy, qui anticipe d'une certaine manière le pianocktail de Boris Vian. Ou encore de L'Adam futur, qui cite L'Ève future tout en moquant Edison (une cible récurrente) sur un ton badin jusqu'à une conclusion saugrenue. Une poignée de textes de cet acabit relèvent ainsi davantage de l'anecdote ou du reportage que d'œuvres sérieuses. Écrits à la première personne, l'action ou le dialogue y sont prédominants et la chute essentielle. Il faut les replacer dans leur contexte, c'est-à-dire dans les colonnes des journaux de l'époque, où l'anticipation fut souvent utilisée pour moquer ou sublimer les découvertes modernes, extrapoler les apports du progrès sur la société ou sur les guerres du futur. Outre le ton, une différence essentielle entre cette littérature et le steampunk réside donc dans sa forme et son intention.
Parmi les moins sarcastiques, on peut citer La guerre, où Adrien Robert préfigure les armes chimiques et imagine son usage par un corps militaire armé de sarbacanes, mais aussi de canons. Et puis L'Express-Times, dans lequel Louis Mullem moque la course à la vitesse (au sens propre comme celle de l'information) en imaginant une presse montée sur une locomotive qui laisse toujours plus de ballots de journaux dans son sillage jusqu'au drame.
Pour trouver des récits un peu plus ambitieux, il faut se tourner vers La journée d'un journaliste américain en 2889, relativement connu et généralement attribué à Jules Verne, ou vers Le pont sur la Manche de Michel Verne qui, dans le même style que son père, décrit la traversée malheureuse de deux personnes sur ledit pont avec forces considérations techniques et économiques et où l'ambiance brumeuse prend une certaine épaisseur. On s'attardera aussi avec plaisir sur Mademoiselle de la Choupillère de Boucher de Perthes, le récit qui se rapproche probablement le plus de l'imagerie fantasmée du steampunk, une histoire où il est question d'automates, qui prend son temps, et une description féroce, le sourire en coin, de la société sous la monarchie de Juillet.
Le Passé à vapeur, bien que correctement sous-titré, surprendra donc les lecteurs uniquement à la recherche d'un genre parfaitement défini. Les autres, pour peu qu'ils goûtent l'ironie propre aux chroniqueurs d'alors, apprécieront l'éventail de la découverte, ainsi que le court post-scriptum de Phillippe Ethuin qui conclut chaque récit de quelques mots sur son contexte. Ils regretteront peut-être l'absence de sommaire qui aurait bien aidé ici la tâche du critique.
(4114 signes. Première publication le 12 février 2023 sur NooSFere)