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Trois ans ont passé depuis que le métro a été entièrement noyé par les eaux du fleuve, tuant des milliers de personnes en une minute. Dans cette ville crépusculaire qui semble se réduire à un centre de luxe cerné de vaste étendues abandonnées, la catastrophe ne passe pas. Pour les proches des victimes qui restent immergées et inaccessibles, comme pour Lize Unke qui a perdu sa sœur ce jour-là. Lize qui revit l'événement tous les jours sans parvenir à faire son deuil, puisqu'elle fait partie du sixième bataillon scaphandrier, lequel parcourt les tunnels inondés pour recenser les cadavres, ou pour tenir à distance les contrebandiers et autres curieux...
On évoque aussi des survivants... Des survivants qui tiendraient trois ans dans des poches souterraines ? Si l'on peut ciller dès le début du roman, le décor happe rapidement l'attention du lecteur amateur d'ambiances moites et décrépites, la détournant de ce détail qui trouvera différentes justifications une fois que l'auteur aura tiré de la situation de départ bien des idées et des conséquences. Car ici comme ailleurs, Brussolo développe des visions baroques, fantasques et cependant terriblement prégnantes. D'une toile de fond aux allures de civilisation déliquescente surgissent en relief des bouches de métro condamnées qui ressemblent à des mausolées, la maison de Lize presque enterrée sous un pont autoroutier, ou encore la propriété familiale des Unke, véritable musée des mauvais genres qui retrace l'assassinat dont elle a été le théâtre au gré de statues qui ponctuent les pièces et le parc. Autant d'idées absurdes ou pénétrantes qui font la moelle d'une histoire sinon parfaitement linéaire.
Le récit n'est d'ailleurs jamais aussi bon que lorsqu'il s'arrête dans la contemplation et la réflexion, dans la multiplication des pistes plus ou moins suivies ensuite, dans le doute sur l'état mental de la narratrice, dans l'enjeu politique d'une situation ubuesque, ou dans le rôle tenu par la mystérieuse Gudrun. La forme peut cependant régulièrement irriter, avec son usage récurrent des phrases entières en caractères italiques qui soulignent les clins d'œil appuyés de l'auteur à ses lecteurs ; lecteurs qui n'ont vraiment pas besoin de cela pour suivre la tranchée nettement tracée par le narrateur. Et l'histoire se précipite malheureusement sur la fin, lorsque l'action prend le pas sur le reste, quand le format de la collection auquel le texte était destiné reprend ses droits. Car La mélancolie des sirènes... est la restitution enfin complète du roman Les fœtus d'acier paru en 1984 au Fleuve Noir. Et on peut comprendre la critique parue à l'époque dans Fiction au regard de la différence dans le nombre de pages entre les deux éditions, et imaginer (l'exercice de comparaison reste à réaliser) à quel point les récits annexes ou les seconds rôles inutiles ont pu être réduits à peau de chagrin pour que le roman rentre dans le moule d'une collection dédiée à la consommation rapide.
Au final, La mélancolie des sirènes... est une excroissance des romans typiques du Fleuve Noir ; par delà le roman de gare, une ambiance, un univers qui s'étale hors du cadre. Ce n'est probablement pas le meilleur Brussolo, mais les pages se tournent toutes seules et les images restent à l'esprit.
(3370 signes. Première publication le 27 juillet 2022 sur NooSFere)