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Je souhaitais Ă©voquer ici depuis un moment l'Ćuvre de Jacques Abeille (j'y pensais avant-hier plus exactement), que j'ai dĂ©couvert pour la premiĂšre fois Ă l'occasion de son dĂ©cĂšs le 23 janvier 2022.
Et cet aprĂšs-midi, lors d'un g-marchĂ© en monnaie libre Ä1, je vois par le plus grand hasard, ou une Ă©tonnante synchronicitĂ©, son roman le plus connu, « Les jardins statuaires », sur un des stands.
J'aurais beaucoup de mal Ă travailler en tant que critique de musique, de film ou de livres. Pour moi si j'apprĂ©cie une Ćuvre, je n'aurais pas forcĂ©ment des choses transcendantes Ă en dire, mis Ă part que j'ai trouvĂ© cela extra, moyen ou encore exceptionnel. On peut voir cela comme un manque de rĂ©partie, mais peut-ĂȘtre que les impressions laissĂ©es sont tellement originales que les mots seraient vains Ă cĂŽtĂ© de l'expĂ©rience directe de l'Ćuvre. J'imagine aussi que la critique est une sorte de jeu, auquel je me prĂȘte difficilement.
Toujours est-il que Jacques Abeille s'exprime avec une puretĂ© de langue qu'il semble difficile d'Ă©galer. Je le trouve assez proche de Julien Gracq Ă ce niveau, car il emploie des tournures alambiquĂ©es, un language prĂ©cieux mais pas pĂ©dant ni miĂšvre, les mots coulant comme un flot naturel, sorti d'un autre temps, voire mĂȘme hors du temps.
J'ai dĂ©jĂ commencĂ© la lecture de cet ouvrage au format ePub, sur ma liseuse, et je la terminerai sans doute par le mĂȘme moyen, mais je voulais avoir ce livre au format papier, ça sera peut-ĂȘtre pour collectionner, ou pour offrir, je ne sais pas encore...
Les g-marchés sont des rassemblements d'utilisateurs de la monnaie libre, la June, qui vise à s'affranchir de la monnaie-dette. En somme, des utopistes, un peu comme M. Abeille...
J'ai achetĂ© des Picsous Magazines Ă©galement đ đŠ đ°
Je vis de grands champs dâhiver couverts dâoiseaux morts. Leurs ailes raidies traçaient Ă lâinfini dâindĂ©chiffrables sillons. Ce fut la nuit.
JâĂ©tais entrĂ© dans la province des jardins statuaires.
Il nây a pas de ville ici, seulement des routes larges et austĂšres, bordĂ©es de hauts murs que surplombent encore des frondaisons noires. Chaque communautĂ© vit repliĂ©e sur elle-mĂȘme dans sa demeure au cĆur du domaine. ĂĂ et lĂ , au hasard semble-t-il, on aperçoit un toit sombre et pentu. De temps Ă autre on passe devant une porte qui est comme un accident de la muraille et demeure toujours close.
Les voyageurs sont rares. Il y a des routes, mais on nây passe pas. Je ne parle pas des convoyeurs qui mĂšnent leurs lourds chariots aux roues de bois plein. Câest une charge qui Ă©choit aux jardiniers Ă tour de rĂŽle. Jâai cru dâabord que le pays ne comptait guĂšre que trois ou quatre hĂŽtels, vĂ©tustes, dĂ©labrĂ©s, dont la silhouette massive devait surgir sur quelque carrefour abandonnĂ©. Câest dans lâun dâeux que je logeais et câest dâaprĂšs celui-ci que je jugeais des autres.
--- Jacques Abeille, introduction pour "Les jardins statuaires".