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1839. Joerling, voyageur américain installé quelques temps sur les îles Kerguelen, attend avec impatience un bateau pour poursuivre son périple. Ce navire sera la Jane, malgré les hésitations de son capitaine britannique Len Guy qui étonnent Joerling. Une fois en mer, ce dernier découvre avec stupéfaction que le capitaine prend pour la réalité un roman paru quelques années plus tôt au sujet d'un naufrage ayant eu lieu dans les eaux environnantes, et que cette folie est prête à l'entraîner très loin au sud pour découvrir ce qu'il est advenu de l'équipage.
Le Sphinx des glaces est un récit surprenant qui rend hommage à Edgar Allan Poe en s'appuyant sur l'unique et étrange roman de ce dernier : Les Aventures d'Arthur Gordon Pym de Nantucket. Aventures qui sont fortement propices à une suite ou à un commentaire tant leur forme est bizarre et leur fin brusque et mystérieuse. Celles de Joerling commencent quelques mois seulement après la disparition de Gordon Pym et les pas du premier vont rapidement se mettre dans ceux du dernier. En outre, cette « anthropophagie littéraire » occupe au sein du roman une place telle qu'un chapitre entier tient lieu de résumé de celui de Poe.
Le sphinx des glaces peut être comparé aux Aventures du capitaine Hatteras, du même auteur et parues plus de trente ans auparavant. Dans ce récit les protagonistes s'aventuraient plus loin que quiconque dans l'exploration des îles arctiques et l'histoire se faisait anticipation lorsqu'il s'agissait de décrire le pôle nord, territoire encore non exploré à cette époque. Avec l'équipage de la Jane, c'est vers le pôle sud que Jules Verne entraîne ses lecteurs, mais l'atmosphère est cette fois immédiatement fantastique du fait qu'il s'appuie constamment sur le roman passablement halluciné de Poe. Cependant, Jules Verne étant l'auteur qu'il est, ce fantastique perdra peu à peu de son épaisseur et deviendra encore une fois anticipation dans les derniers moments de cette odyssée à travers les lointaines latitudes. De manière moins nette, mais à la manière dont l'ambiance gothique du Château des Carpathes baigne toute l'histoire et cède à la science-fiction à la toute fin.
Mais Le Sphinx des glaces souffre de la comparaison ; davantage poussif, il lui manque un personnage comme Clawbonny, qui avait le bon goût d'être un parangon d'empathie aussi bien que le prétexte pour fournir, sur le ton de la conversation, toutes les informations historiques au sujet des expéditions ayant déjà exploré la région à la recherche du passage nord-ouest. Au contraire, le ton est ici fortement théâtral et le déclenchement de l'épopée de la Jane a tout du deus ex machina. La progression du récit est répétitive, les incidents de mer laissent place à des terres désolées avant de nouveaux épisodes maritimes presque identiques, le tout étant scandé par le point très régulier sur la latitude. Enfin, les amoureux du mystère et du fantastique seront extrêmement déçus du voyage, en ce qu'il apporte la rationalité propre à Verne dans tous les interstices laissés par Poe.
Restent les personnages et les décors, le souffle porté par le talent de Verne et la langue du XIXème siècle.
(3262 signes. Première publication le 6 novembre 2022 sur NooSFere)