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La Colonie, une constellation d'habitats spatiaux, occupe un système planétaire pauvre et par ailleurs vide. Ce qui lui convient très bien puisque ses habitants cherchent à échapper à l'Agence, l'organisation de la Terre qui recherche ses fondateurs depuis des siècles pour avoir outrepassé toutes les lois bioéthiques en vigueur. Ceux-ci, les Écrivains, ont pourtant donné naissance à une Utopie, laquelle héberge des humains modifiés de toutes les manières, et des êtres géniaux issus de manipulations génétiques plus profondes encore. Si les manipulations sont condamnables, que peut justifier un tel acharnement de la part de la Terre au vu du résultat ?
Acadie débute sous la forme d'une nouvelle à problème, si typique de certains auteurs de l'âge d'or de la SF américaine (que l'on songe à Isaac Asimov par exemple). Ici, le problème prend la forme d'une sonde qui pénètre profondément dans la Colonie dès le début du récit. Événement fort inquiétant parce que normalement impossible : la Colonie est en effet protégée par une ligne d'alerte constituée d'une myriade de satellites minuscules destinés à détecter, voire à détruire, tout intrus se dirigeant vers l'espace occupé par les habitats. Il s'agit donc de comprendre très rapidement ce qu'est cette sonde, si elle a réussi à localiser la Colonie et à envoyer un message, ou s'il faut se résoudre à fuir comme cela est déjà arrivé par le passé.
Le récit avance en chapitres très courts et alterne plusieurs flash-backs qui permettent d'appréhender l'apparence de cette Colonie, sa technologie, son histoire. Ian Hutchinson propose une forme de gouvernement originale et amusante, et des environnements naturels réalistes avec d'omniprésentes contraintes liées à gravité en particulier. Il joue également assez bien avec les échelles d'espace et de temps. Un système planétaire est en effet très vaste et essentiellement constitué de vide. Détecter une poignée d'humains perdus au milieu d'une ceinture d'astéroïdes est une gageure, et l'incertitude du temps qu'il a fallu à la sonde pour arriver ou pour contacter l'Agence sont parmi les questions primordiales auxquelles doit répondre Duke, l'actuel Président de la Colonie. Au bout du compte, la nouvelle est fluide, facile d'accès et rapide à lire, même selon les critères de la collection Une Heure Lumière. La chute n'est pas inédite, mais offre un certain vertige. Pourtant le récit souffre d'un déséquilibre majeur et il y manque le fusil de Tchekhov. Et pour en faire une critique plus précise, il est nécessaire d'en dévoiler un tout petit peu plus.
Pendant les deux tiers de l'ouvrage, le lecteur tourne les pages en se demandant comment cette sonde va enfin livrer ses mystères, quelle solution peut être trouvée afin d'éviter le déménagement de toute la Colonie, ou même quelle étrange qualité justifie la présence de Duke au sein de celle-ci. Et vers la page 87, plusieurs événements vont précipiter l'histoire vers sa résolution. Mais cette accélération s'accompagne d'un sévère virage dans le récit en quelques paragraphes seulement. L'histoire, qui brasse essentiellement les notions de colonisation spatiale, de voyages intersidéraux, de sciences génétiques, va s'appuyer dès à présent sur deux thèmes majeurs totalement passés sous silence jusque là : la réalité virtuelle et l'intelligence artificielle. Ce qui signifie qu'en une vingtaine de pages seulement, Ian Hutchinson résout le problème qu'il a posé dans un contexte totalement différent de celui de départ. Et cette source de frustration gâche quelque peu les effets de l'épiphanie produite par les toutes dernières pages.
(3742 signes. Première publication le 11 juin 2022 sur NooSFere)