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Parler de Doom, c'est comme parler de Super Mario Bros. ou de FIFA : que dire de plus que le jeu ne nous dit pas directement ? Si l'on comprend quelque chose au jeu vidéo, on comprend immédiatement Doom en y jouant. Aveuglé par la limpidité de ce chef d’œuvre incontestable, le critique est inutile, impuissant ; il n'a plus qu'à s'en aller, penaud, expliquer la Joconde à quelqu'un qui n'a jamais vu de peinture, ou le Petit Prince à quelqu'un qui n'a jamais lu de livre, ou bien Citizen Kane à un autre critique perdu dans la quête sans fin du Citizen-Kane-du-jeu-vidéo. Tapi dans l'ombre, la main plongée dans un sachet de Curly, je surgirai soudain derrière eux, goguenard, et leur demanderai : dites-moi plutôt, quel est le Doom-du-cinéma ? Et je regarderai leurs crânes fondre et s'écouler entre mes orteils pendant que résonnera le solo de Live Undead de Slayer. J'imagine qu'ensuite, Tim Rogers viendra me donner un million de dollars, enroulé dans un de ses sous-vêtements.
Blague à part : dans sa critique des Doom (sur sa chaîne YouTube Action Button), Rogers souligne que la version PlayStation remplace la musique plagiée sur Slayer par des nappes atmosphériques sordides, assorties à d'autres changements visuels pour rendre le jeu plus horrifique. Sur PlayStation, Doom fait peur ; mais Rogers préfère l'ambiance du jeu original, car pour lui, "Doom is goofy". Et comment pourrais-je le contredire : avez-vous eu peur en me lisant parler de crânes qui fondent ? Tel un bon concert de metal, Doom est une comédie qui fonctionne toujours aujourd'hui, après vingt-huit ans à voir les politiciens *et* les développeurs de FPS passer à côté de la blague.
Et davantage qu'un concert de metal, Doom est aussi un des premiers jeux vidéo en 3D, ce qui en fait moins un Citizen Kane qu'un Magicien d'Oz. Se perdre dans les labyrinthes de Doom, c'est un peu comme se vautrer dans la pelouse du château de Super Mario 64, c'est aussi un peu comme contempler cet écran de veille des vieux Windows, ceux-là même où Doom a connu la gloire. Qu'on y mette les montagnes grises du Yangshuo, ou les flammes rouges de l'enfer, ou même des cieux étoilés comme dans Doom 64 (qui reprend l'esthétique effrayante du Doom PlayStation), ces dédales étroits m'ont laissé une trace indélébile, même à travers l'écran illisible de ma Game Boy Advance. Tout réussi qu'il soit, le Doom de 2016 ne peut rien évoquer de tel. Je ne sais pas très bien quelles architectures sauraient dégager ce pouvoir sur le joueur blasé que je suis devenu. C'est peut-être pour ça qu'aujourd'hui encore, on fait des mods de Doom, parfois sans humour et même sans violence, tel The Given qui est en fait un Myst/The Witness dans un désert surréaliste. La preuve irréfutable que comme le metal, Doom ne mourra jamais.