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Mandryka

En guise d’hommage, voici un texte un peu poussiéreux extrait de
« Lettres de Papouasie », un recueil composé dans une autre vie…

La vie des éléphants n’est pas une vie. Plutôt une pesanteur. Une hantise de porcelaine brisée qui les poursuit sans relâche, jusqu’à des milliers de kilomètres de la moindre vitrine, jusqu’au plus profond du sommeil, partout, tout le temps.

Les éléphants n’ont pas d’autre ennemi que l'homme. Le genre d’ennemi qu’on écrase d'un coup de patte, sans même y réfléchir. Ridicule. Mais dans la mémoire — phénoménale — des éléphants, l’homme est doué de scissiparité. La mémoire d’un éléphant normalement constitué peut ainsi contenir un milliard d’hommes, sinon plusieurs. Des milliards de coups de patte, ça force à réfléchir, ça épuise, ça vieillit prématurément le plus fringant des pachydermes. Ça laisse sans défense.

Y a-t-il des éléphants en Papouasie ? Je n'en sais rien, jamais été là-bas. D'où je t’écris pourtant. Avec, pour seul ennemi, ce milliard d’éléphants qui font l’orage dans ma tête. Comme dans cette vieille BD de Nikita Mandryka. Connais-tu Nikita Mandryka ? Si je reviens un jour, je te lirai l’histoire des éléphants qui font l’orage.

Tu vois, la Papouasie, c'est fait de ça : des milliards d’idées idiotes qu’on empile dans son grenier, entre la vaisselle de porcelaine et les bibelots en ivoire, des idées qui font de la vie cette pesanteur harassante dont meurent les pachydermes. Et des orages aussi, pour faire bonne mesure. Pour se croire un peu vivant. Ne va jamais là-bas, c’est très surfait.

1995 (je crois)



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