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04.01.12 | 14h46 Mis jour le 04.01.12 | 16h58
Il y a un an, Philippe, strat ge en financement et gestion des risques du
bilan, disposait "du salaire de quelqu'un qui peut faire gagner plusieurs
dizaines de millions d'euros une soci t , certaines ann es". Aujourd'hui, il
a supprim les sorties et voit plus petit pour la location de vacances. Ce
jeune quinquag naire lest de dipl mes (Essec et DEA d' conomie et finances
Dauphine) a connu entre-temps une OPA sur son entreprise, une nouvelle quipe
dirigeante qui voulait du sang neuf. Remerci . Depuis janvier 2011, il cherche
du travail. "Dans la situation actuelle, j'anticipe le fait que cela puisse
durer..."
Avec leur dipl me de Polytechnique, de l'ENA, de l'Ecole centrale, des Ponts ou
des Mines, d'HEC, de l'Essec, de l'ESCP, ils se croyaient l'abri. Erreur.
Quand le ch mage touche 2,8 millions de personnes, ces ing nieurs et
commerciaux de haut vol, post s aux commandes des entreprises, ne sont plus
totalement pargn s. On ne les dit pas "ch meurs ", cela va de soi. Trop d
valorisant. Mais "hors poste", "en transition de carri re", "en volution
professionnelle", en "rebond" ou "repositionnement"... Les coles qui ont fait
d'eux l' lite conomique, quand elles daignent s'exprimer sur le sujet, manient
les litotes pr cit es. Et minimisent, histoire de d fendre la valeur du dipl
me. Toutes ont pourtant mis en place des ateliers de recherche d'emploi.
"JE SUIS INQUIET POUR 2012"
A Centrale-carri res, "le ch mage n'est pas un probl me en ce moment. Les
postes qu'occupent nos dipl m s sont tr s li s l'investissement, qui n'a pas
t arr t ". A l'association des anciens d'HEC, Alain Nebout "communique tr s
peu sur les services d'aide que d veloppe l' cole pour les dipl m s hors poste
". Avant de consentir : "Je vois des gens dans ce cas... Ce n'est pas vident
de rebondir dans une situation morose." M me l'ENA s'avoue concern e, petite
chelle. "Les anciens l ves pass s dans le secteur priv sont un peu plus
nombreux qu'auparavant tre hors poste, et venir nous voir, au Service
carri res."
Vue du hall principal de l'Ecole nationale d'administration (ENA) prise le 24
septembre 2005 Strasbourg. AFP/OLIVIER MORIN
Dans ces p les carri res des grandes coles, comme dans les cabinets
d'outplacement (de reclassement) sp cialement consacr s aux dirigeants, chacun
retient son souffle. Oui, la crise affecte d j les ultra-dipl m s - surtout
dans les secteurs de la finance et des assurances. Mais pas encore dans les
proportions de 2002-2004, apr s l' clatement de la bulle Internet, ni dans
celles de 2009. Oui, tout se fige dans l'attente de la pr sidentielle et des
effets de la crise financi re. "Comme tous les responsables d'associations de
grandes coles, nous confie celui d'HEC, je suis inquiet pour 2012, apr s le
retournement important de cet t . Il y a toujours une ann e de d calage avec
le d marrage de la crise..."
7 10 MOIS POUR RETROUVER UN EMPLOI
Combien sont-ils, ces polytechniciens, centraliens, dipl m s d'HEC et consorts
au ch mage ? Une goutte statistique, sans doute, dans l'oc an des grands dipl m
s. Mais le fait m me qu'ils soient plusieurs centaines (selon les
professionnels du reclassement), qu'ils mettent d sormais 7 10 mois pour
retrouver un emploi lorsqu'ils sont bien accompagn s, pas loin d'un an et demi
sinon, est r v lateur. Le cabinet d'outplacement L'Espace dirigeants suit
actuellement 73 ultra-dipl m s. Dirigeants et partenaires, un concurrent, une
centaine "dont cette ann e deux ou trois narques". Une autre centaine fr
quente le r seau d'entraide Daubigny. Dans le r seau Oudinot, ils sont plus
nombreux encore.
De dr les de ch meurs aux costume et langage tir s quatre pingles, qui
citent trop de chiffres ("On ne se refait pas"), vous disent quoi lire ou
crire sur le sujet, auto-analysent leur situation au regard de la conjoncture
financi re... et requi rent l'anonymat absolu. "Nous sommes en fragilit ",
disent-ils. Herv , 46 ans, dipl me de Polytechnique et th se d'informatique aux
Etats-Unis, sorti sur plan social apr s 19 ans dans le m me grand groupe
industriel, pensait "retrouver imm diatement, ou au maximum en six mois". Il
cherche tr s activement depuis un an. "J'ai t surpris." Comme Charles, 50
ans, centralien et dipl m en management d'une universit am ricaine, pass par
"cinq entreprises en 25 ans". "Entre deux, j'ai parfois connu des trous de
quelques mois, mais pas l' quivalent d'aujourd'hui." Nathalie, polytechnicienne
de 36 ans, est "pour la premi re fois en attente ", depuis mars, apr s une
rupture conventionnelle cachant un licenciement conomique. Elle oeuvrait
depuis onze ans dans le financement de projets. "J'ai des inqui tudes. Depuis
que je suis partie, la crise s'est aggrav e." Christophe, 47 ans, Polytechnique
et Sup-aero, cherche depuis six mois, vir par sa soci t en difficult : " a
secoue un peu. Je n'imaginais pas conna tre le ch mage." Exactement les m mes
termes de Gauthier, 43 ans, HEC, qui ajoute "pas facile vivre" et "inqui tude
extr me".
LE CHOC DU LICENCIEMENT
Des blocs de confiance soudain fissur s. Tout leur avait toujours r ussi.
Milieux familiaux souvent ais s, parcours scolaires brillants, premier poste
trouv sans chercher, carri res fluides... Jusqu'au choc du licenciement. Ils
travaillaient 13 heures par jour, et, d'un coup, tout s'arr te. Voil venu le
temps du "doute", d'un "changement de perception, de la soci t et de soi-m
me". Parfois radical, quand on est, comme Charles, "produit de la m ritocratie
la fran aise, premier de la classe, lev dans l'id e que la comp tence et le
travail sont r compens s". "Dans le monde de l'entreprise, sait-il d sormais,
ce sont les malins, les intrigants qui gagnent. Il ne faut pas avoir confiance
: quand elle n'a plus besoin de vous, elle vous l che brutalement."
Le temps, aussi, o ces ex-salari s six chiffres (dans les 100 000 euros
annuels), m me g n reusement indemnis s par leur ex-entreprise et au plafond
des indemnit s ch mage (6 000 euros), r duisent les heures de femmes de m nage.
Tout en ayant conscience qu'il serait de mauvais aloi de se plaindre... "Au
tiers du revenu pr c dent, cela ne peut pas durer tr s longtemps, compte
Philippe, dont les quatre enfants fr quentent l' cole priv e. Tout cela mine
l'ambiance familiale. C'est un peu "No future". L'un de mes fils, qui je
disais de travailler, m'a r pondu : "Tu as vu o ton dipl me t'a men , toi ?" "
La vie sociale, bien s r, s'en ressent. Charles va "toujours dans les galas o
l'on peut rencontrer des gens int ressants pour la recherche". Mais vite les d
ners. "La commis ration, les commentaires soi-disant aidants. En fait, on met
les gens mal l'aise, ils projettent sur nous leurs propres peurs."
EXCELLENTS TUDIANTS, MAUVAIS CHOMEURS
Paradoxalement, ces t tes bien faites pr sentent quelques handicaps dans la
position de demandeurs d'emploi. Pour la plupart, ils n'ont jamais cherch . Ne
savent donc pas se "vendre" - les ing nieurs surtout. Ils ont de trop grosses
pr tentions salariales pour les PME. Font peur ceux qui les embauchent ("Ne
va-t-il pas m' vincer ?"). En poste, ils ont n glig d'entretenir un r seau.
"Ils sont pris au d pourvu, r sume Lo c Bertrand, la t te de Dirigeants et
partenaires. Ils vivaient dans la croyance que leur dipl me les prot geait. Et
ils sont souvent rest s de longues ann es dans un seul grand groupe.""Ils sont
tr s peu en empathie, en coute de l'autre, ce dont ils ont pourtant besoin
dans leur recherche, compl te son confr re de L'Espace dirigeants. En France,
on dirige sans couter ses quipes."
A contrario, la grande cole d'origine leur apporte sur un plateau des offres
d'emploi (via notamment le site Manageurs. com, r serv ces dipl m s). De
belles opportunit s de r seautage avec d'anciens camarades haut plac s. Leur
milieu social leur ouvre bien d'autres r seaux : cercles, associations d' coles
priv es prestigieuses, franc-ma onnerie... Surtout, l'entreprise qui les a
licenci s s'est souvent d douan e en leur offrant les services d'un cabinet
d'outplacement. A voir voluer ces "hors poste" dans les bureaux parisiens
cossus de L'Espace dirigeants, changer aimablement un caf la main, avant de
s'installer dans un canap pour lire la presse conomique, on per oit l'effet
th rapeutique de ces structures qui justifient elles seules de quitter le
matin la maison en costume. Bilan de comp tences, construction d'un projet
professionnel r aliste, coaching... Les dirigeants en qu te de rebond s'y
rassurent et s'y transforment en experts s-r seautage.
LA "STRAT GIE DE L'ESCALIER"
Les petites annonces pour managers, les candidatures spontan es, ne donnent
rien, les chasseurs de t tes pr f rent d baucher les professionnels en poste...
Pour tre inform le plus t t possible d'un emploi pourvoir, vitant ainsi la
mise en concurrence, rien de tel que le r seautage. Et l , le dipl me retrouve
tout son sens. Quand Herv crit un "cher camarade" avec l'adresse Internet
que lui fournit vie Polytechnique, il a "deux tiers de chances de d crocher
un rendez-vous, contre un tiers habituellement".
Impressionnants, l' nergie, le professionnalisme que ces ex-cadres dirigeants
mettent dans leur recherche d'emploi. Herv , sur son iPad, nous montre la base
de donn es sophistiqu e qu'il a d velopp e afin d'animer son r seau, de garder
m moire de qui il a vu, quand, de ce qui s'est dit, des contacts fournis, de
quand et comment il a remerci , de qui il doit relancer... "Si je revenais
mon ancien poste, j'y serais bien meilleur qu'avant. Cette recherche m'a
enrichi, m'a ouvert les yeux sur le monde de l'innovation technologique." Car
Herv est devenu membre d'une association de business angels, qui valuent les
projets de start-up. Il a aussi cr une soci t de conseil pour pouvoir pr
senter une carte professionnelle en entretien, question d'image, et d crocher
des missions. Qui se renouvelleront peut- tre, d boucheront, qui sait, sur un
CDD, un temps partiel...
La "strat gie de l'escalier", comme disent les sp cialistes de l'outplacement.
A 50 ans et plus, le CDI devient illusoire. Il est plut t question de dispenser
du conseil en ind pendant ou de se muer en "manager de transition" plac
temporairement par un cabinet. Olivier de Conihout, qui a cofond L'Espace
dirigeants apr s avoir t un temps sur le carreau malgr son dipl me de
Polytechnique, porte depuis peu aux l ves de l' cole ce discours nouveau :
"Vous pouvez vous trouver au ch mage, pr parez-vous changer, entretenez votre
r seau." Le ch mage comme l ment constitutif de toute carri re. Y compris de
polytechnicien.
Pascale Kr mer
Article paru dans l' dition du 05.01.12