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Enqu te | | 14.11.11 | 15h15 Mis jour le 14.11.11 | 16h37
"1995" est un groupe embl matique du rap 3.0.D.R.
C'est une premi re pour un groupe de rap en France. 1995 (dire
un-neuf-neuf-cinq), collectif de six rappeurs du sud de la capitale, joue
guichets ferm s lundi 14 novembre dans une salle parisienne de 800 personnes,
le Bataclan. La date est compl te depuis deux semaines. Ils n'ont pas coll
d'affiche, n'ont pas de maison de disques, ont leur seul actif un mini-album
de huit titres, La Source, sorti en juin.
Jamais un groupe de rap ne se sera fait conna tre aussi vite. Fort des 71 000
personnes qui les suivent sur Facebook, 1995 est embl matique de sa g n ration,
qui aujourd'hui mise presque tout sur Internet : le groupe filme des clips vid
o qu'il d pose directement sur YouTube (voir le clip du morceau La source
ci-dessous), occupe le terrain en sortant r guli rement des morceaux sur
Internet et entretient une relation directe avec son public.
Leurs a n s Booba et La Fouine, deux poids lourds du rap fran ais, ne sont pas
en reste. Le premier, 1 284 683 fans sur sa page Facebook, a rempli Bercy le
1er octobre sans le soutien de radio nationale ou de t l , mais en menant une
intense campagne d'affichage la derni re minute. Entre deux albums, comme La
Fouine (pr s de deux millions de fans sur Facebook), il sort aujourd'hui
Autopsie 4, une nouvelle mixtape (sorte d'album moins travaill c t
marketing). Depuis trois semaines, le disque disponible en pr commande sur
iTunes navigue entre la troisi me et neuvi me place du Top 10 des albums les
plus vendus de la plate-forme de t l chargement l gal alors qu'il n'est pas
encore sorti.
Pour le label Believe, distributeur sp cialis dans la vente digitale de la
musique, c'est un ph nom ne presque normal : "En ce qui concerne l'urbain,
c'est- -dire le rap, le R'N'B et le dancehall, c'est une tendance g n rale,
explique Romain Vivien, directeur du label. Des artistes comme Orelsan et
Sniper ont vendu, la premi re semaine de la sortie de leur album, un tiers des
exemplaires en num rique et les deux autres en physique. Dans le domaine du
single et des EP ("extended play", format musical interm diaire), les ventes
digitales ont largement d pass le physique."
Constat : le public "urbain" n'ach te plus de disque sans aller au pr alable l'
couter sur YouTube, et d couvre les nouveaux venus sur des sites Internet sp
cialis s comme Booska-P.com (qui sortira en janvier une compilation de la
nouvelle g n ration rap). Avec les smartphones, et la possibilit qu'ils
offrent d'acc der ces sites et de pouvoir stocker la musique en meilleure
qualit , les jeunes coutent leurs artistes pr f r s sur leur t l phone
portable, de pr f rence avec le haut-parleur activ et aux heures de pointe
dans les transports en commun. Une version moderne du rappeur new-yorkais au
Ghetto-Blaster.
Car, trangement, si le groupe 1995 utilise les outils de la nouvelle
technologie pour se faire conna tre, vendre ses places de concerts ou ses
disques, sa musique se tourne r solument vers le pass , le rap fran ais des ann
es 1990 : " Ce que j'aime dans cette poque, disent peu pr s en m me temps
Areno Jazz et Fonky Flav, en pleine r p tition de leur concert du Bataclan,
c'est qu'il n'y avait pas de calcul de la part des rappeurs, mais une envie de
se surpasser artistiquement. Les MC's n'essayaient pas de se copier, de placer
absolument le refrain avant la premi re minute pour faire plaisir au
programmateur de radio. Le rap s'est vite r duit un clich , qui dessert les
jeunes des cit s."
"Il faut dire qu'on n'a pas t g t au niveau de la m diatisation du hip-hop,
rench rit Nekfeu. J'ai grandi en banlieue de Nice avant d'atterrir Paris :
j'avais le cr ne ras , je faisais le dur. Avec Alpha Wann, d'origine guin enne,
ou Sneazzy, d'origine marocaine, on aurait pu faire les voyous, mais ce n'est
pas notre d lire."
Pour le coup, les cinq rappeurs et leur DJ Lo, 20 ans de moyenne, d tonnent.
Ils ont grandi entre le 14e et 5e arrondissement de Paris, se sont connus dans
un club de basket ou au lyc e, se disent volontiers de la classe moyenne, voire
de la "tr s grande bourgeoisie" pour leur DJ, et ne r vent pas du tout de
signature chez une major. Pourtant, le t l phone de leur a n , Fonky Flav, 24
ans, le seul avoir poursuivi ses tudes malgr le rap (il est titulaire d'un
master de marketing et communication), n'arr te pas de sonner. C'est lui qui a
trouv les dates des concerts, qui a tenu ce que leur page Facebook soit g r
e de mani re "professionnelle" par chacun des membres, qui postent tous les
jours la m me heure.
Les directeurs artistiques des principaux labels s'arrachent leur groupe
aujourd'hui : "Signer n'est pas obligatoire, r sume Nekfeu. Une major peut nous
donner un coup de pouce si elle n'est pas trop gourmande, si elle respecte
l'artiste, et c'est rare. a ne nous d range pas de rester ind pendants."
Chacun des membres du groupe veut d'ailleurs sortir son disque en solo. Nekfeu,
le plus talentueux, s'est associ au nouveau label Y & W des deux producteurs
ind pendants Yonea et Willy L'Barge, proches de la Scred Connexion. Y & W vient
de remporter un succ s d'estime avec Guizmo, 19 ans, dont le premier album est
vendu sur Internet et directement la FNAC sans passer par un distributeur
physique. Leur travail de d veloppement sur la Toile a pay , avec une attention
toute particuli re port e sur les vid os Youtube :
"Chez nos artistes, explique Willy L'Barge, Internet est naturel, ils ont
peine 20 ans et ont toujours communiqu avec MSN, Skyblog ou Facebook.
Aujourd'hui, avec un appareil photo Canon 5D, ils peuvent faire de tr s bons
petits clips vid o pour pas cher. On pourrait presque se passer de la t l ."
C'est avec ses clips que Mac Miller s'est fait conna tre aux Etats-Unis. Son
premier album, sorti le 8 novembre, n'est vendu que sur iTunes : "Il nous
prouve qu'aujourd'hui on peut se passer des maisons de disques pour vendre,
fanfaronne Willy L'Barge. On a eu raison de se rattacher ce qu'il nous
restait : notre ordinateur, avec lequel on enregistre, on monte nos vid os, et
on vend aussi notre musique."
St phanie Binet
Article paru dans l' dition du 15.11.11