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Statue représentant la tête de Gilgamesh
L'épopée, écrite il y a 4 500 ans sur des tablettes d'argile, commence ainsi :
Je vais présenter au monde/ Celui qui a tout vu Connu la terre entière/ Pénétré toutes choses Et partout exploré/ Tout ce qui est caché. Doué de sagesse/ Il a tout embrassé du regard Il a contemplé les Secrets/ Découvert les Mystères Il nous en a même appris/ Sur avant le Déluge ! Retour de son lointain voyage/ Exténué mais apaisé Il a gravé sur une stèle/ Tous ses labeurs !
L'histoire commence à Sumer. Mais ce commencement n'est pas une origine, il n'est qu'un point de passage : la couture entre la préhistoire et l'histoire.
A Sumer commence la mémoire de l'humanité avec l'invention de l'écriture, 3200 ans av JC.
Tablette d'argile avec écriture cunéiforme
L'épopée de Gilgamesh, écrite mille ans plus tard, ainsi que d'autres textes contemporains, nous racontent la création par le verbe, le chaos primordial, l'ordre de séparation des cieux, des eaux et de la terre, et enfin le déluge.
Le récit est centré sur un effort de dépassement des limites humaines. La quête d’un homme en recherche de sens. En recherche du sens de la vie et de la mort. Il finit par comprendre que la seule forme d’immortalité à laquelle il peut accéder est moins liée à la gloire guerrière qu’au renom que lui confèrent la construction des murailles protégeant la cité et sa connaissance du monde, détenue grâce à un périple extraordinaire.
Gilgamesh aurait été le souverain d'**Uruk** - sans doute la plus grande ville de l'époque - vers 2650 av JC. Uruk est nommée dans le texte Uruk l'enclos, car elle était entourée de remparts. Signe de sa puissance. Trois siècles plus tard, on trouve les premiers fragments de son histoire, en sumérien, sur des tablettes en argile. Le texte atteindra sa forme définitive en akkadien vers -1000 av JC. Il sera recopié et disséminé **pendant deux mille ans**, traduit dans toutes les langues de la région, avant d'être oublié dans l'obscurité de la terre.
Le nom **Gilgamesh**, Ă l'origine Bil-ga-mesh, signifie **Le vieux est un jeune homme**.
En accomplissant une série d'épreuves, Gilgamesh - Le vieux est un jeune homme - réalise une véritable quête initiatique aux confins du monde pour découvrir les secrets de la vie éternelle.
Il explora l'univers entier / En quĂŞte de la vie Poussant avec hardiesse / Jusqu'Ă Utanapishti le lointain.
Voici son épopée, divisée de manière totalement arbitraire, sous la forme de trois voyages.
Uruk avait été bâtie avant le déluge par les sept sages. Gilgamesh lui donna la puissance.
Il fit bâtir l'enceinte d'Uruk l'enclos. [...] Dieu aux deux tiers / Pour un tiers homme, Entre les clos d'Uruk, il va et il vient. Tête haute, pareil à un Buffle, Il étale sa force. [...] Il ne laisse pas un fils à son père, Il ne laisse pas une vierge à sa mère. L'épouse destinée, il la possède, Lui le tout premier, et le mari ensuite. Depuis sa naissance, ce privilège lui est reconnu. [...] En leur logis, les hommes d'Uruk ne cessent de trembler.
Gilgamesh est un tyran. Il abuse de sa force et de son pouvoir, et a instauré le droit de cuissage sur les jeunes mariées. Les dieux finissent par entendre les plaintes des habitants d’Uruk et décident de créer un adversaire à sa taille pour le modérer, un double créé en miroir, dont le visage est de profil comme celui de Gilgamesh. Ce sera **Enkidu** - créature d’Enki. Façonné d'argile par le dieu Enki. Un peu comme Adam, mille ans plus tard.
Revenons Ă Enki.
S'étant lavé les mains, il prit un lopin d'argile, et le déposa dans la steppe.
Un chasseur voit Enkidu :
Velu par tout le corps, il avait une chevelure de femme. A la sauvage, en compagnie des gazelles, il broutait. En compagnie de sa harde, il se régalait d'eau.
Il en parle Ă Gilgamesh, qui lui dit :
Va chasseur, amène avec toi une fille de joie. Lorsqu'au point d'eau il fera boire la harde, qu'elle ôte alors ses vêtements et dévoile ses charmes.
Autant dire tout de suite que ça marche :
Six jours et **sept nuits**, Enkidu excité, posséda la fille.
Elle lui explique alors qu'il est beau et fort, mais que Gilgamesh se croit le plus fort des hommes.
Il n'y a pas de place pour deux coqs sur le mĂŞme tas de fumier :
Je me mesurerai à lui, et la lutte sera sévère Et je proclamerai, en plein Uruk, le plus puissant c'est moi ! [...]Pour Gilgamesh pareil à un dieu/il lui est maintenant un rival
Scène de western.
Un étranger arrive dans une petite ville où la population est terrorisée par un chef de bande.
Toute la population s'attroupe, la fille du saloon est là , aux côtés de l'étranger.
L'Ă©tranger barre la route Ă Gilgamesh qui remonte la grand rue pour une nuit de noce, c'est Ă dire un droit de cuissage.
S'il perd, il se fera lyncher par son peuple. Qui n'attend que ça.
Enkidu bloquait des pieds la porte de la maison nuptiale. Aussi, devant la porte même, s'empoignèrent-ils. Et se battirent-ils, en pleine rue, Si fort que les murs vacillaient.
C'est un vrai gros combat viril, entre hommes. Qui dure jusqu'à épuisement réciproque.
[...] Lorsque Gilgamesh ploya, immobilisé, Sa colère tomba, et il céda. Alors ils s'embrassèrent et firent amitié.
Mine déconfite des spectateurs. Ni vainqueur, ni vaincu. Pas de mise à mort. Pas de tragédie, dans le sens de tragôdia - le chant accompagnant la mise à mort. Pour les deux compères, la fureur est retenue, elle fermente. Gilgamesh trouve un exutoire, l'ennemi extérieur :
Dans la forêt / habite le puissant Humbaba, toi et moi, nous irons le tuer, Pour détruire ainsi tout le mal dans le pays.
Avec Enkidu, Gilgamesh veut réaliser des exploits surhumains, démesurés, pour se faire un nom. Pour montrer à tous leur vaillance. La quête de l'immortalité à travers la gloire.
Détruire tout le mal dans le pays, c'est le pacifier, le réunir contre un ennemi commun. Ils sont poussés et protégés par Shamash, dieu du soleil. C’est un combat des forces de lumière contre celles de l’obscurité.
Des recommandations sont données par les anciens qui connaissent le monstre, terrifiant et horrible, installé par le dieu Enlil dans la Forêt des Cèdres (le Liban). Sa tête est représentée faite de boyaux ou de serpents. Méduse avant l'heure.
Enlil l'a doté des sept épouvantes [...] Son cri, c'est l'épouvante Sa bouche, c'est du feu, Son haleine, la mort. Il entend sur six cent kilomètres les bruits de la forêt.
Le délit de sale gueule ne se questionne pas, celui-là ne mérite pas de vivre. Le combat est homérique. Gilgamesh finit par trancher la tête du monstre. Il rentre chez lui en héro et se met propre.
Quand il eut coiffé sa couronne, Ishtar la princesse fut fascinée Par la beauté de Gilgamesh. Allons, Gilgamesh, épouse-moi ! Offre moi ta volupté !
Et elle lui promet en plus la richesse, la puissance et la gloire. Bref, elle se dit : celui-lĂ , je me le fais !
Mais Gilgamesh lui récite le triste sort de tous ses amoureux, changés en loup, en crapaud, ou frappés, fouettés, ou envoyés en enfer. Il refuse de coucher avec Ishtar, déesse de l’amour libre et de la guerre, en lui jetant au visage la liste de toutes ses ignominies.
Gilgamesh, c'est l'homme révolté contre les dieux, mille ans avant Caïn ou Prométhée.
Furibonde, Ishtar, grimpa jusqu'au ciel, Et s'en fut sangloter devant son père Anu.
La déesse a le réflexe des petites filles de riche, elle réclame l'aide de son père Anu, le dieu du ciel :
Mon père, donne-moi je te prie, le taureau céleste Pour qu'il tue Gilgamesh Et remplisse de feu sa maison. [...] Dans le pays d'Uruk il y aura sept années de famine.
Ishtar amène le taureau au centre d'Uruk. À chaque ébrouement, une crevasse s'ouvre, deux cent habitants y sont engloutis.
Les deux amis, unissant leurs forces, finissent par triompher du taureau et sauvent Uruk de la destruction.
Après qu'ils eurent tué le taureau, ils arrachèrent son cœur, et le déposèrent devant Shamash le dieu du soleil. [...] Ishtar jeta une longue plainte : Gilgamesh m'a humiliée En tuant le taureau céleste ! Enkidu, entendant les paroles d’Ishtar, Arracha la cuisse du taureau, et la lui jeta au visage : Toi aussi, si je t'avais attrapée, Je t'en aurais fait autant.
Bas relief d'Enkidu terrassant le taureau
Enkidu est allé trop loin. Les dieux tiennent conseil, et malgré les protestations de Shamash, ils décident qu'Enkidu doit mourir.
Enkidu meurt. Gilgamesh pleure son ami comme on ne verra héro pleurer, jusqu'à Achille pleurant la mort de Patrocle.
Enkidu mon ami que tant je chérissais Et qui avait avec moi traversé tant d'épreuves, Le sort à tous les hommes l'a terrassé. Six jours et sept nuits je l'ai pleuré et refusé à la tombe Jusqu'à ce que les vers lui soit tombés du nez. Alors je me suis mis à craindre et redouter la mort Et à vagabonder par la steppe.
Gilgamesh prend conscience de la mort. Gilgamesh est seul. Gilgamesh angoisse. Gilgamesh part à la conquête du savoir : comment bénéficier de la vie sans fin comme Utanapishti-le-lointain ?
Sur son ami Enkidu, Gilgamesh, pleure amèrement, en courant la steppe. Vais-je mourir moi aussi ? Vais-je ressembler à Enkidu ? L'angoisse m'est entrée au ventre ! C'est par peur de la mort que je cours la steppe ! Je vais partir, sans tarder, Rejoindre Utanapishti.
Utanapishti signifie "j'ai trouvé la vie sans fin".
Gilgamesh - Le vieux est un jeune homme - utilise désormais moins la force que la persuasion face aux terrifiants hommes-scorpions qui gardent les Monts-jumeaux, face à la tavernière Sidouri devant la mer, et enfin face à Utanapishti. Tous lui demandent les raisons de son voyage.
C'est pour aller trouver Utanapishti le vénérable Qui, admis au grand Conseil des dieux, A obtenu la vie sans fin : Je veux le questionner sur la Mort et la Vie !
Les hommes-scorpions qui gardent le chemin du soleil Ă travers les Monts-jumeaux, le mettent en garde :
Dans le défilé des monts, nul n'est entré ! Sur cent vingt kilomètres y règne l'obscurité. Si profonde y sont les ténèbres Qu'il n'y a plus de lumière.
Un long tunnel venant de l'orient, une sorte de porte basse, d'utérus, par où chaque jour renaît Shamash le soleil.
Gilgamesh - Le vieux est un jeune homme - prend à rebours le chemin du soleil, débouche sur le jardin des gemmes, où arbres, fleurs et fruits sont de pierres fines, puis arrive sur une plage.
Il y rencontre Sidouri, la tavernière, et lui demande la route qui mène à Utanapishti. Elle le met en garde et lui conseille de se résigner à sa condition de mortel.
Celui qui passe la mer, c'est Shamash le héro. Hormis Shamash, qui donc la pourrait traverser ? La passe est resserrée, le parcours très ardu, En outre, d'ici là , il y a l'Eau-mortelle Qui en interdit l'accès.
Le lieu de naissance de Shamash est protégé par l'eau mortelle. Pour passer l'eau mortelle et pour mouvoir la barque, Gilgamesh - Le vieux est un jeune homme - coupe cent vingt perches dans la forêt. A chaque poussée, il lâche la perche avant que l'humidité mortelle ne l'atteigne.
Sur la berge l'attend Utanapishti, qui l'a vu arriver de loin. Il lui demande pourquoi il est là . Gilgamesh - Le vieux est un jeune homme - lui raconte son histoire et sa quête de l'immortalité. Utanapishti - le lointain - n'a pas de bonnes nouvelles. Tous les hommes sont mortels.
Mais Gilgamesh insiste :
Quand je te regarde, Utanapishti, Tu n'es pas différent, tu es pareil à moi. Dis-moi comment tu t'es trouvé dans le conseil des dieux, Comment tu y as obtenu la vie éternelle ?
Et Utanapishti lui raconte.
Gilgamesh, je vais te révéler un mystère, Te confier un secret des dieux.
Les hommes faisaient trop de bruit, alors Enlil décida de s'en débarrasser et les dieux provoquèrent le déluge. Le déluge est une purification par l'eau de l'humanité qui a fauté, une mort et une renaissance de l'humanité. Une initiation de l'humanité.
Enki - seigneur de la terre - créateur de la civilisation, décida de sauvegarder la race humaine, en épargnant Utanapishti et sa famille.
Statuette sumérienne - Utanapishti et son épouse
Il l'instruisit en songe, de construire une arche et d'y amener sa famille, sa maisonnée, et des spécimens de tous les animaux.
L'arche fait **sept** étages. Le soir du **septième** jour, le bateau est achevé.
Lorsque pointa le point du jour, Monta de l'horizon une noire nuée.
Le premier jour, les dieux font déborder les barrages d'en haut, la tempête est terrible, la création est ramenée au chaos primordial. Le déchaînement des éléments est terrifiant, même les dieux prennent peur.
Tous les dieux demeuraient prostrés, En larmes, au désespoir et dans l'angoisse. Six jours et sept nuits, ouragans et déluge Continuèrent de saccager la terre.
Le **septième** jour, c'est le silence, et la mer s'immobilise. Le bateau s'échoue sur un sommet de montagne et y reste coincé **sept** autres jours.
Lorsqu'arriva le septième jour, Je pris une colombe et la lâchai. La colombe s'en fut puis revint, N'ayant rien vu où se poser elle s'en retournait.
Utanapishti fait de mĂŞme avec une hirondelle, qui revient.
Enfin il fait de mĂŞme avec un corbeau, qui trouve la terre et ne revient pas.
Utanapishti offre alors un banquet pour les dieux qui arrivent comme des mouches, par l'odeur alléchés. Mais Enlil découvre le bateau. Il entre en fureur. Les dieux avaient juré de détruire l'humanité et ils sont liés par leur serment.
Alors pour contourner la difficulté, Enlil offre l’immortalité à Utanapishti, ainsi qu’à sa femme. Ainsi, ils ne seront plus vraiment des mortels, mais iront vivre au bout du monde.
Pour que Gilgamesh accède à l'immortalité, il faudrait des circonstances analogues, c'est à dire un nouveau génocide. Le prix est démesuré.
Utanapishti amène Gilgamesh au bain, lui offre une tenue d'apparat, lui met un bandeau neuf à la tête, puis l'invite à rentrer chez lui, après lui avoir fait cadeau d'un dernier secret : une plante de jouvence pousse au fond de la mer. Elle peut transformer le vieil homme en jeune homme.
Piètre consolation. Gilgamesh s'attache de lourdes pierres au pied, saute dans l'eau et ramène la plante du fond de la mer.
Mais sur le chemin du retour, profitant d'un moment d'inattention, un serpent avale la plante, perd sa vieille peau et file. Ainsi s’explique la mue de cet animal. Gilgamesh perd tout espoir de vie prolongée. Retour au point de départ.
Le serpent vole la plante de jouvence Ă Gilgamesh
Le serpent qui frustre l'homme de la vie éternelle, on retrouvera ça dans la bible.
De même qu’Enkidu avait été progressivement conduit vers la civilisation, abandonnant la vie sauvage, Gilgamesh, revêtu d’habits d’apparat à l’issue de cette initiation, est invité à abandonner son errance et à rentrer dans son royaume.
Rentré chez lui, transformé, Gilgamesh - Le vieux est un jeune homme - en prenant conscience de ses limites et en s’acceptant mortel, accède à la sagesse. C'était là l’épreuve la plus difficile à surmonter pour le héros. La fin du poème est claire : **C’est son œuvre de bâtisseur – les remparts d’Uruk – ainsi que le récit de son voyage vers la connaissance qui lui survivront**.