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Déchets, démocratie

Je ne trie pas mes déchets, ou presque pas. Boîtes de conserve, bouteilles, bocaux, emballages divers – tout cela, chez moi, finit souvent dans le sac des ordures résiduelles.

J’agirais plus droitement, bien sûr, si j’envoyais au recyclage les preuves accablantes de ma consommation quotidienne. Cette modeste contribution que je pourrais apporter à la santé de notre planète ne représente pourtant rien au regard des destructions qu’engendre le simple fait que j’existe ici et maintenant – dans la banlieue parisienne, au XXIe siècle.

Pour quelques bonnes actions effectuées consciemment, de combien de dévastations suis-je cause, dont j’ignore, ou veux ignorer, à peu près tout ?

Mon occupation professionnelle consiste à fabriquer – avec le concours d’une des industries les plus énergivores qui soient – des milliers d’articles assez dispensables, puis à convaincre des commerçants de les acheter, afin qu’ils les revendent à des clients dont la plupart n’ont jamais éprouvé durablement le besoin d’en posséder aucun. À quoi bon, alors, jeter dans une poubelle jaune le peu d’emballages que je produis le soir venu quand, de retour chez moi, je peux enfin disposer de mon salaire ?

Le fond de ma pensée – mais je ne prétends pas qu’il s’agisse là d’une pensée bien profonde – est le suivant : le passe-temps qui consiste à vivre plus vert ne sert à rien. Au mieux il est inutile ; au pire il apporte le soupçon de bonne conscience qui permet de continuer comme avant, c’est-à-dire pire qu’avant.

J’ai eu une discussion assez vive avec mes amis H et G. Apprenant que je ne recyclais pas, ils ont entrepris de me faire la leçon : il faut sauver la planète.

Les mêmes H et G s’étonnnent parfois que je m’obstine à voter. C’est pourtant bien connu, disent-ils : les élections ne changent rien.

Cette dernière phrase m’agace – si l’avènement de tel ou tel personnage ne modifie peut-être guère le quotidien des franges de la population qui pratiquent assidûment le tri sélectif, des torts peuvent néanmoins en découler pour quelques-uns des habitants de ce pays.

Le changement, poursuivent-ils, doit passer par d’autres voies : mais lesquelles, je n’arrive pas à le comprendre – il semblerait que ces voies consistent essentiellement en courtes suites de mots postées sur des réseaux sociaux.

Mains propres et tête haute : mes amis ne s’abaisseront pas à choisir entre des partis plus ou moins sales, entre divers individus réputés également pourris. Ces belles âmes n’iront pas se souiller dans l’isoloir.

Refusant de valoriser une ordure plutôt qu’une autre, elles abandonnent aux naïfs de mon espèce le soin faire le sale boulot à leur place – mais elles sont bien contentes que le boulot soit fait. En allant voter, non seulement je m’occupe de mes déchets, mais je me charge aussi des leurs.

D’ailleurs, qui met au point les réglements qui régissent le tri des ordures ménagères ? Qui distribue aux bons citoyens ces poubelles jaunes qui recyclent les consciences ? Des assemblées et des conseils, formés d’hommes et de femmes à l’élection desquels, justement, bon benêt, j’ai participé.

La prochaine fois qu’on me reprochera de ne pas pratiquer le tri, ma réponse est prête : « Je ne cautionne pas. Je ne serai pas complice. Que le papier finisse dans une urne ou dans une poubelle jaune, c’est toujours le même résultat. Pas question de recycler la démocratie. Pas question de recycler mes déchets. »