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ERWAN CARIO
Pour lutter contre le t l chargement ill gal : deux avertissements puis coupure
de l'acc s Internet en cas de r cidive de la part de l'internaute fautif. Le
principe de la riposte gradu e, pilier de la loi Cr ation et Internet, semble
tenir de l' vidence. Mais les d bats, qui commencent aujourd'hui l'Assembl e
nationale, vont tre agit s. Car, du casse-t te juridique aux nombreux probl
mes techniques, en passant par un impact conomique incertain, rien n'est
vraiment simple et le texte reste dans le flou.
Casse-t te juridique
C'est la raison d' tre de la loi : contourner l'autorit judiciaire pour mettre
en place un syst me de sanction semi-automatis . La loi Dadvsi, vot e en 2005,
avait mis en place une sanction pour contrefa on : jusqu' 30 000 euros
d'amende et cinq ans de prison. Evidemment, elle s'est vite trouv e
inapplicable, et on imagine mal les tribunaux remplis de mamies Lucette ayant t
l charg le dernier Adamo. La loi Cr ation et Internet pr voit donc de mettre
en place une Haute autorit administrative, l'Hadopi, charg e de sanctionner
les vils internautes.
Par ailleurs, ces derniers ne seront pas coupables d'avoir r cup r une 'uvre
prot g e sur le Net, car la proc dure pour le prouver est impossible
automatiser, mais d'avoir failli leur obligation de veiller ce que cet acc
s [Internet] ne fasse pas l'objet d'une utilisation des fins de
reproduction, de repr sentation, de mise disposition ou de communication au
public d''uvres ou d'objets prot g s par un droit d'auteur ou par un droit
voisin sans l'autorisation des titulaires des droits . Du coup, dans aucun des
avertissements ne sera pr cis l''uvre soi-disant t l charg e. Et le seul
recours possible (devant le juge) se fera au moment de la sanction. Les modalit
s du recours seront fix es par d cret apr s le passage de la loi. Comme peu
pr s tous les d tails un peu g nants du texte.
Mais cette vacuation de l'autorit judiciaire est loin de faire l'unanimit .
Et un simple amendement, d pos au Parlement europ en dans le cadre de la
discussion sur le paquet T l com pourrait tout faire capoter. D pos
notamment par l'eurod put PS Guy Bono, il pr cise : Aucune restriction aux
droits et libert s fondamentales des utilisateurs finaux ne doit tre prise
sans d cision pr alable de l'autorit judiciaire. D j vot en premi re
lecture par 88 % des d put s en septembre, il devrait tre soumis nouveau en
avril. Et m me si les d fenseurs du texte fran ais soutiennent aujourd'hui que
l'acc s Internet n'a rien d'une libert fondamentale, ils risquent bel et
bien de se retrouver avec une coquille vide en guise de loi.
FLOU conomique
Rep rage des t l chargeurs, envoi de mails et de courriers recommand s, coupure
d'acc s, protection des lignes Internet, recours ventuels : mettre en place
une proc dure aussi complexe co te cher. Et si le minist re de la Culture avait
d'abord estim l'enveloppe budg taire 6,7 millions d'euros, la facture a d j
commenc exploser avant m me la mise en place du dispositif. C'est la phase
d'identification des internautes du c t des fournisseurs d'acc s Internet
(FAI) qui va faire mal. Le minist re pr voyait une enveloppe entre deux et
trois millions d'euros pour cette op ration. Bien tent , mais on se dirige plus
vers un co t autour de dix millions d'euros par FAI. Qui devra tre compens ,
soit par l'Etat, soit par les consommateurs.
Mais ce qui peut vraiment chiffonner, c'est le manque de visibilit sur
l'impact r el de la riposte gradu e sur l' conomie de la fili re culturelle.
D'un c t , l'effet r el du piratage sur les ventes n'a jamais t chiffr ,
comme l'a soulign la Cnil. Dans son avis sur la loi, elle explique d plorer
que le projet de loi ne soit pas accompagn d'une tude qui d montre clairement
que les changes de fichiers via les r seaux "pair pair" sont le facteur d
terminant d'une baisse des ventes dans un secteur qui, par ailleurs, est en
pleine mutation . De l'autre, on voit mal comment une loi r pressive pourra,
un moment o le pouvoir d'achat n'est pas au top, aboutir une augmentation du
chiffre d'affaire d'un secteur en crise.
P pin technique
On pouvait s'en douter, vouloir r guler un environnement technique en perp
tuelle volution, c'est un peu plus compliqu que de contr ler la vitesse des
voitures sur une autoroute. Rep rer les internautes, d'abord, ce n'est pas si
simple. La technologie dite peer to peer est bas e sur la communication des
adresses Internet entre utilisateurs, et permet donc assez facilement
d'identifier les fautifs. Mais les informations recueillies ne sont pas
infaillibles, et on ne compte plus le nombre de cas litigieux travers le
monde.
Par ailleurs, d'autres m thodes de t l chargement sont beaucoup plus difficiles
d tecter. En premier lieu le streaming (lecture directe dans un navigateur
web) et le t l chargement direct sur un site. Ensuite, couper Internet,
d'accord, mais entre les offres triple play (Web, t l phone, t l ), les diff
rentes zones d'acc s (d groupage ou non), et les diff rentes technologies, il
faut s'attendre une jolie collection de rat s.
Enfin, il y a tout ce qu'on ne conna t pas encore, toutes les volutions qui
feront l'Internet de demain. Le r seau est un cosyst me technique qu'il faut
accompagner pour ne pas se faire d passer. Aujourd'hui, on veut essayer d'
radiquer un usage devenu massif au lieu d'essayer d'inventer un nouveau mod le
qui pourrait profiter de cet lan. C'est non seulement un choix inutile, mais
aussi un pari dangereux, car perdu d'avance, pour le secteur culturel.